Alimentation : à la recherche du point de félicité

Hommes et femmes se plaignent parfois d'avoir par moments, un rapport compulsif à l'alimentation (grignotages intempestifs, ne pas pouvoir s'arrêter quand on a mis le nez dans quelque chose de gras, salé ou sucré…). Il faut dire que tout est fait, dans notre alimentation, pour nous donner envie de manger ces aliments en grande quantité. Les explications avec Laurence Haurat, psychologue nutritionniste.

La rédaction d'Allo Docteurs
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Rédigé le , mis à jour le
Chronique de Laurence Haurat, psychologue nutritionniste, du 28 mars 2016
Chronique de Laurence Haurat, psychologue nutritionniste, du 28 mars 2016

Howard Moskowitz, un éminent psychologue américain, s'est intéressé depuis très longtemps à nos façons de consommer certains aliments. Il a fait une découverte qu'il a vendue très cher aux industriels. Cette découverte leur assurait de rendre addicts leurs consommateurs et d'écouler beaucoup plus de leurs produits.

La découverte du point F

Howard Moskowitz a remarqué que si on met trop de sucre dans un aliment, on le rend écoeurant et donc moins désirable. Si on n'en met pas assez, il sera fade et pas très excitant. Il s'est en fait rendu compte que le plaisir augmente avec la quantité de sucre, mais arrivé à un certain niveau, il plafonne et même si on continue à ajouter du sucre, on n'obtient plus de plaisir. Ce plafond, c'est l'orgasme des papilles qu'on appelle le point de félicité (point F).

Le point F fonctionne un peu comme le point G et le plaisir sexuel. On stimule, le plaisir monte, augmente, plafonne (orgasme), et retombe inéluctablement, même si on continue la stimulation, qui peut d'ailleurs devenir presque désagréable. Howard Moskowitz a donc proposé aux marques d'améliorer leurs recettes pour déclencher le point F lorsque les consommateurs mangent leurs produits.

Du plaisir intense à l'écoeurement

Dans un premier temps, plus la quantité de sucre augmente, plus le plaisir augmente. D'ailleurs, le plaisir existe déjà dans l'anticipation de ce qu'on va manger. Le plaisir commence à grimper, puis on mange jusqu'à atteindre le point F. Même si on continue de manger, le plaisir ne sera plus aussi intense qu'au démarrage.

D'ailleurs, on continue souvent à manger dans le souvenir des premières bouchées car on ne veut pas que le plaisir se termine. On se dit alors que la bouchée suivante sera aussi bonne que la première, la plus intense. Comme cela ne marche pas, on en prend une autre et une autre... Alors qu'il suffirait de s'arrêter et se dire qu'on en remangera une autre fois, quand on en aura envie et dans la quantité suffisante pour obtenir le maximum de plaisir.

Le fait d'en manger trop amène souvent à l'écoeurement et à la culpabilité. De nombreux patients expliquent qu'ils mangent quelque chose censé leur faire plaisir, mais qu'ils terminent pour se débarrasser du problème. Et finalement ils se sentent terriblement coupables d'en avoir trop mangé. Et cela est vrai pour la plupart des personnes, qu'elles aient – ou pas – des problèmes de poids.

Trouver le bon équilibre

Pour s'arrêter au bon moment, il faut se mettre dans les conditions d'une dégustation. Il faut prendre le temps de manger, de ressentir du plaisir, de stimuler ses sens, tous ses sens (regarder ce qu'on mange, sentir avant même de porter l'aliment à sa bouche...), se poser la question de ce qu'on aime ou pas dans ce qu'on mange (l'aliment, le type de chocolat, le morceau de fromage... sont-ils à la hauteur de nos attentes ?). Il faut se donner l'espace psychologique et mental de profiter du plaisir pour repérer le moment où ce plaisir commence à être moindre. Le point F est atteint. À ce moment-là, on sait qu'on ne pourra plus ressentir plus de plaisir, si ce n'est en se souvenant de ce délicieux moment.

Il n'est pas nécessaire de s'isoler et de créer un contexte très calme pour ressentir tout cela. En réalité, c'est une petite boucle entre soi et soi-même. Un peu du même ordre que celle que font les amateurs de vin lorsqu'ils goûtent un vin. Pendant quelques secondes, ils sont tout entier dans leurs sensations. Ils sont conscients de ce qu'ils sont en train de vivre et de ressentir. Si un aliment est censé nous apporter du plaisir, alors il doit nous en apporter, nous devons pouvoir le ressentir, l'évaluer… Lorsque l'on fonctionne de cette manière, on a la possibilité, dès qu'on en a envie, de retrouver l'aliment qu'on aime tant, en faisant un beau pied de nez à ceux qui voudraient nous en faire manger plus… C'est top !