Quand le perfectionnisme perturbe la sexualité

Une recherche obsessionnelle de la perfection est susceptible d'affecter tous les domaines de la vie, y compris la vie sexuelle. Les normes sexuelles élevées – que l'on s'impose ou que l'on impose à son partenaire – peuvent altérer la vie sexuelle de celui ou celle qui les subit. Comment reconnaître le perfectionnisme sexuel et s'extraire de son carcan ?

Dr Charlotte Tourmente
Dr Charlotte Tourmente
Rédigé le , mis à jour le
Sexualité : quels risques à placer la barre trop haut ? (Crédits : Pict rider / Fotolia)
Sexualité : quels risques à placer la barre trop haut ? (Crédits : Pict rider / Fotolia)

Le perfectionnisme sexuel, des conséquences positives et/ou négatives

Subir la pression de son partenaire, de soi-même ou de la société pour être "parfait(e)" sexuellement n'est pas anodin, et peut altérer la confiance sexuelle. Le perfectionnisme sexuel conduit à cette pression, dont les conséquences ont été explorées dans une étude [1] publiée en 2016 dans les Archives of Sexual Behavior. Elle portait sur 366 femmes âgées de 17 à 69 ans. Celles-ci ont complété des questionnaires portant sur le perfectionnisme sexuel, l'estime sexuelle, l'auto-blâme en cas de problèmes sexuels, l'anxiété sexuelle et sur divers autres paramètres relatifs à la sexualité (excitation, désir, orgasme). Les mêmes questionnaires ont été remplis une seconde fois 3 à 6 mois plus tard.

Les réponses furent classées alors en quatre formes de perfectionnisme : vis-à-vis de soi-même, orienté vers le partenaire (les normes que le partenaire s'impose à lui-même), prescrit socialement (celles tirées de la société) et prescrit par le partenaire (celles que le partenaire vous impose).

Les deux premiers provoquaient une adaptation à la fois positive et négative. La première forme est associée à une augmentation de l'estime de soi, de "l'efficacité" sexuelle et de la satisfaction de la vie sexuelle ; en revanche, la préoccupation sur les "erreurs" commises durant le rapport était augmentée. La seconde forme est elle aussi associée de façon positive à ces critères, mais l'inquiétude était diminuée. En d'autres termes, s'imposer une certaine exigence dans le domaine sexuel peut avoir un impact positif sur la sexualité, à condition de ne pas se mettre trop de pression !

La pression nocive de la société et du partenaire

En revanche, le perfectionnisme induit par la société et par le partenaire avaient un retentissement négatif sur les différents paramètres évalués.

Dans le premier cas, il apparait corrélé avec l'anxiété, la dépression en lien avec la sexualité, la préoccupation due aux erreurs commises durant le rapport ; l'estime de soi et l'optimisme sur le plan sexuel étaient également diminués.

Dans le cas du perfectionnisme induit par le partenaire, les femmes souffraient davantage d'anxiété sexuelle, et se blâmaient à propos de leurs troubles sexuels. Elles avaient également plus de douleurs durant les rapports et d'anxiété. L'estime sexuelle, le désir, l'excitation, la lubrification et l'orgasme étaient diminués

Une autre étude [2] parue en novembre 2016, confirme l'impact négatif du perfectionnisme induit par le partenaire. La femme a tendance à prêter à son partenaire des attentes démesurées. En découle une pression importante, qui nuit à son orgasme. En effet, être spectatrice du rapport peut conduire à se détacher de ses sensations érotiques, et à s'éloigner de l'orgasme. Si la femme pense à sa cellulite ou à ses bourrelets durant l'amour, elle n'est pas dans les conditions propices et ne peut pas profiter sereinement de l'étreinte. D'après Annette Kluck, auteure de ces travaux, être exigeante avec soi-même n'est pas forcément un problème quand cette observation sert à décupler ses sensations érotiques ou à assouvir ses envies.

Que dissimule le perfectionnisme sexuel ?

En pratique, un perfectionniste a tendance à savoir à l'avance comment doit se passer un rapport et à imposer cette vision à sa partenaire. Il est déçu si cer apport ne se déroule pas de la manière anticipée. Il peut être critique sur les performances de sa partenaire au lit ; il est souvent plus intéressé par la performance sexuelle que par le partage émotionnel (faire l'amour quatre fois par semaine, une fellation de telle façon, avoir un désir permanent et important…) On comprend à quel point cela peut être frustrant et anxiogène pour le ou la partenaire. Mais aussi pour le perfectionniste !

"J'ai beaucoup de patients qui sont concernés, davantage chez les hommes que chez les femmes", commente Joëlle Mignot, psychologue sexologue. "Les hommes sont très sensibles au perfectionnisme, notamment par rapport à l'érection. On retrouve ce perfectionnisme dans la sexualité féminine aussi mais cela prend d'autres formes, plutôt autour du corps et de la norme, des critères physiques". Dans les deux cas, le perfectionnisme est très délétère pour la sexualité, d'après la sexologue. "Plus il y a une quête de performance et de perfection, plus il y a de l'anxiété derrière cette quête." Or, l'anxiété fait mauvais ménage avec la sexualité et le plaisir…

Trop d'exigences vis-à-vis de soi-même

Le perfectionnisme bloque entrave parfois profondément la vie sexuelle. Chez l'homme, il peut s'agir d'exigences comme avoir une érection sur demande. "Finalement ils ne s'écoutent pas, analyse Joëlle Mignot. Ils sont pris dans des schémas sociétaux, ou liés à leur propre histoire (en rivalité avec un père ou un frère), ou encore en lien avec une représentation de l'homme construite à partir des films pornographiques".

Les femmes sont tiraillées entre des exigences multiples : être une bonne mère, une collaboratrice efficace, une bonne amante, etc. Et d'après la sexologue, les magazines féminins décrivent une image qu'elles ne reconnaissent pas et qui les angoissent : elles ne se sentent pas dans la norme. "Mais la perfection sexuelle n'existe pas !" s'exclame-t-elle.

Pour la psychologue, la question du narcissisme est aussi au cœur de la quête de perfection, avec la volonté d'être le meilleur. "Il y a derrière un schéma inconscient, décrypte-t-elle. Mais être le meilleur par rapport à qui, à quoi ?"

Autre concept se cachant derrière le perfectionnisme : la volonté de satisfaire l'autre. Si l'intention est bonne en théorie, elle peut en pratique être excessive, et source d'angoisse et d'insatisfaction. Conséquence : on ne vit plus sa sexualité pour soi. "Les gens trop tournés vers l'autre s'oublient, et quand on s'oublie dans sa sexualité, on n'est pas heureux..."

Le perfectionnisme, un moteur dans l'apprentissage, parfois risqué

Chaque personne va développer des goûts particuliers, des préférences spécifiques suivant ses apprentissages et ses expériences. Certains développeront une sensualité, d'autres une sexualité plus animale. Le perfectionnisme peut intervenir comme un moteur dans cette recherche. "Mais ce moteur peut s'emballer, avec un risque : toujours chercher plus", explique Joëlle Mignot.

Comment sortir du perfectionnisme ?

L'amélioration de la situation passe par le dialogue. Mais il peut être difficile avec un perfectionniste, qui redoute d'être vulnérable en abandonnant ses normes. Et un perfectionniste a rarement conscience de son "travers" d'après la sexologue. La (ou le) partenaire peut alors lui suggérer gentiment que la vie sexuelle s'enrichirait sans doute de davantage de spontanéité. Une autre option est d'inviter les jeux de rôle dans la chambre : la partenaire prend le pouvoir et dirige les rapports, qui seront moins codifiés et plus surprenants. Cette alternative a le mérite de lui faire du bien en augmentant sa confiance sexuelle, et de faire découvrir au partenaire l'excitation de ne pas être en charge du déroulement du rapport. S'il l'accepte…

On peut aussi proposer à son partenaire de consulter. "Au départ, les patients ne viennent pas pour leur perfectionnisme, ils n'en ont pas conscience, estime Joëlle Mignot. En parlant, on se rend compte qu'ils se sont mis dans un système dont ils sont prisonniers." Et pour en sortir, la thérapeute fait prendre conscience du caractère vivant de la sexualité, comme se nourrir ou dormir. "On ne dort pas toujours pareil, on ne mange pas pareil, il y a aussi une variabilité dans la sexualité qu'il faut accepter, constate la sexologue. Et cela dédramatise beaucoup la faille. Alors plus c'est vivant, mieux c'est pour eux !" Le thérapeute travaille donc avec son patient pour voir de quelle façon dont ils peuvent faire autrement, en adaptant à leur façon d'être. Les techniques comme l'hypnose ou la relaxation sont intéressantes parce qu'elles ouvrent le champ des possibles, qui est rétréci chez le perfectionniste. Elles aident à modifier le mode de fonctionnement, et à réinjecter de la spontanéité et du vivant dans la sexualité…


[1] Multidimensional sexual perfectionism. J. Stoeber, et al. Archives of Sexual Behavior (2013), 42, 1593– 1604.


[2] Sexual Perfectionism in Women: Not as Simple as Adaptive or Maladaptive. Kluck. Arch Sex Behav (2016) 45: 2015. doi:10.1007/s10508-016-0805-4