Troubles bipolaires, focus sur les traitements et la recherche

Les troubles bipolaires, qui atteignent 1 à 2% de la population, se traduisent par une fluctuation excessive de l'humeur, lors de phases maniaques et dépressives. Euphorie, excitation, projets démesurés, ou tristesse, perte du plaisir sont le lot des patients qui doivent apprendre à gérer ces humeurs capricieuses et invalidantes. Quels sont les traitements proposés ? Quels axes suit la recherche à l'heure actuelle ? Qu'appelle-t-on psycho-éducation et hygiène de vie ? Le point avec le Dr Esposito.

Dr Charlotte Tourmente
Dr Charlotte Tourmente
Rédigé le , mis à jour le
Troubles bipolaires, focus sur les traitements et la recherche

Les différents troubles bipolaires

Autrefois appelés "maladie maniaco-dépressive", les troubles bipolaires sont caractérisés par des variations excessives de l'humeur, avec  l'alternance de phases maniaques, de phases dépressives et de stabilisations entre deux phases.

Lors des phases maniaques, le patient peut présenter une exaltation, une excitation, une accélération des pensées et des actions, des projets démesurées, des dépenses excessives, une logorrhée avec un débit de parole accéléré, une hyperactivité sexuelle… Les dépressions sont caractérisées par une tristesse, une perte du plaisir et du désir, un manque de confiance en soi, une dévalorisation, des pensées noires et suicidaires, des troubles du sommeil et de l'appétit.

Il existe plusieurs troubles bipolaires selon les symptômes : le trouble est dit de type I en présence d'un épisode maniaque ou mixte (dépression et manie) ;  le trouble bipolaire de type II s'il y a eu un ou plusieurs épisodes dépressifs et au moins un épisode d'hypomanie (c'est-à-dire un épisode moins franc sur le plan maniaque) ; le trouble bipolaire non spécifié.

Fréquent, le trouble bipolaire touche 1 à 2% de la population, soit près de 1.300.000 Français, autant les hommes que les femmes. Le diagnostic est encore trop tardif et nécessite en moyenne dix ans pour être posé. La prise en charge est ainsi retardée, au détriment des patients. Cette maladie est la sixième cause de handicap dans le monde. La souffrance morale des patients est intense, la vie affective est perturbée par cette maladie, tout comme la vie professionnelle, émaillée de problèmes. La maladie peut également être à l'origine de conduites addictives, de comportements à risque et elle pousse 25% des patients à commettre une tentative de suicide (fatale dans 15% des cas).

Les génies bipolaires...

De grands noms de l'histoire, de la peinture, de la science, du cinéma ou encore de la musique, ont été bipolaires. Ainsi Napoléon, Vincent Van Gogh, Isaac Newton, Marylin Monroe, Vivian Leigh ou Frédéric Chopin auraient souffert de cette affection, qui n'a pas diminué leur talent pour autant.

La prise en charge en détails

La prise en charge comporte des médicaments, prescrits dès le diagnostic, mais également une thérapie avec un psychiatre et une bonne hygiène de vie.

"La base du traitement pharmacologique des troubles de l'humeur sont des médicaments nommés normothymiques ou thymorégulateurs", explique le Dr David Esposito, psychiatre, il s'agit des sels de lithium, des antiépileptiques, tels que le valproate, de la carbamazépine et de la lamotrigine."

Les différentes classes préviennent toutes les récurrences, mais certains agissent davantage sur le côté maniaque (lithium, valproate de sodium, antipsychotiques atypiques) et d'autres sur le côté dépressif (lamotrigine). Pour le médecin, il est illusoire de penser contrôler la maladie bipolaire sans traitement, il faut absolument un thymorégulateur.

Le lithium

"Le traitement de base de la maladie bipolaire est le lithium, un sel qui a la propriété de stabiliser l'humeur", détaille le médecin. Il nécessite avant sa prise de faire un bilan évaluant les cellules sanguines, les ions, le taux de glucose dans le sang (glycémie), la fonction des reins, de la thyroïde. Un électrocardiogramme et un électroencéphalogramme sont réalisés. Et chez une patiente, il faut également vérifier qu'elle n'est pas enceinte.

Le dosage du lithium dans le sang, appelé lithiémie, va permettre d'évaluer la dose efficace et de vérifier l'absence de surdosage.  Il est réalisé deux fois par semaine au début du traitement. Puis les dosages seront espacés et d'après le dr Esposito "en phase de stabilisation, les lithiémies sont trimestrielles ou bi-annuelles". Le taux minimal efficace est fixé à 0,5 à 0,8 mEq/litre pour la forme classique et 0,8 à 1,2 pour la forme LP (libération prolongée).

Un bilan complet, identique au premier bilan, est réalisé tous les ans. Le patient doit être attentif aux signes de surdosage : maux de tête, vomissements, vertiges, troubles de l'équilibre, diarrhées, tremblement, soif, fatigue, confusion et dysarthrie (difficultés à parler, à émettre des sons).

Les principaux effets secondaires sont neurologiques, comme la sédation et les tremblements, digestifs et endocriniens (hypo ou hyperthyroïdie). Il existe des contre-indications telles que l'insuffisance rénale, un traitement par diurétiques, un régime sans se. Attention à certains médicaments, comme les anti-inflammatoires.

Le lithium augmente le risque de malformations du fœtus. Il est toutefois faible, et si une grossesse survient lors du traitement, et que celui-ci est bien équilibré, la grossesse peut être poursuivie, moyennant un dépistage par échographie. Et s'il est possible, le traitement sera arrêté entre le 1 et le 2 mois de grossesse.

Les anti-épileptiques

Egalement appelés anticonvulsivants, ces médicaments sont largement utilisés et sont en pleine expansion en tant que régulateurs de l'humeur. Il s'agit du valproate de sodium, de la carbamazépine, de la lamotrigine mais aussi de la gabapentine et du topiramate.

Le valproate de sodium ou Théralite® est un traitement de première intention. Sous la forme de divalproate (Dépakote®), il traite l'épisode maniaque  et sous celle du valpromide (Dépamide®) dans la prévention des rechutes dépressives.

Les effets indésirables sont une atteinte du foie qui se traduit par l'augmentation de certaines enzymes, les transaminases, ou une sédation. Il est contre-indiqué durant la grossesse car il multiplie par trois à quatre le risque de malformations.

La carbamazépine (Tégrétol®) est nettement moins utilisée et réservée aux échecs des traitements d e première intention. Elle est contre-indiquée en cas de glaucome, d'adénome, d'insuffisance hépatique, et doit être arrêtée enc as d'éruption cutanée (qui peut signer une affection grave).

La lamotrigine, ou Lamictal®, est indiquée dans la prévention des épisodes dépressifs chez les patients atteints de type 1 avec une prédominance des phases dépressives. Ce n'est pas un traitement aigu de la crise en revanche. Il est bien tolérée par les patients, et ne présente pas de risque de malformation chez le fœtus. Des réactions cutanées grave peuvent survenir, notamment lorsqu'il est associé au valproate de sodium, et nécessite son arrêt immédiat dans ce cas.

Les antipsychotiques atypiques

Cette autre classe de médicaments comprend l'olanzapine (Zyprexa®), la rispéridone (Risperdal®) et l'aripiprazole (l'Abilify®). Ils sont utilisés pour traiter les épisodes maniaques ou mixtes, mais aussi prévenir les récidives maniaques pour les patients chez qui ils ont été efficace lors d'un épisode maniaque. Ils peuvent être donnés sous forme de comprimé (ou sous forme orodispersible, à faire fondre sous la langue) ou en injection. En ce qui concerne la quiétapine (Xéroquel®), la HAS estime qu'elle est intéressante pour traiter les épisodes maniaques et les épisodes dépressifs, mais que les données sont insuffisantes dans la prévention des récurrences. Parmi les effets secondaires, on  retrouve un diabète, une prise de poids, une dyslipidémie (anomalies des lipides).

Les traitements non médicamenteux

Les médicaments ne sont pas les seuls traitements : "La prise en charge comporte une triade : les stabilisateurs de l'humeur, l'hygiène de vie (routine) et un travail personnel (via la psychoéducation). Ils sont généralement le chemin vers la stabilité",  estime le Dr Esposito.

La psychoéducation

La psychoéducation consiste à délivrer au patient des informations structurées, elle relève de l'éducation du patient, essentielle à la gestion d'une maladie chronique. Elle se réalise via des groupes d'apprentissage, destinés au patient et à sa famille. Elle favorise également la prise du traitement. Le patient est ainsi associé à la gestion de sa maladie, il devient acteur : et d'après la Haute Autorité de Santé, il apprend grâce à la psychoéducation à mieux connaître son trouble, à reconnaître les signes qui annoncent un épisode dépressif ou maniaque, à respecter une bonne hygiène de vie, à développer des capacités d'auto-surveillance et à mieux gérer le stress.

Une bonne hygiène de vie

Il est conseillé d'avoir un rythme de vie régulier, de pratiquer une activité physique, de prendre soin de son sommeil, d'avoir une alimentation équilibrée et variée et de réduire son stress. La pratique de la pleine conscience peut être d'une bonne aide pour apprendre à apprécier le moment présent, à analyser ses émotions, à trouver un certain apaisement. Les psychostimulants tels que l'alcool ou le cannabis sont à éviter du fait des risques qu'ils présentent vis-à-vis des symptômes et des rechutes.

Les thérapies

"Une place particulière doit être laissée aux prises en charge basées sur l'information et l'éducation adressées aux patients bipolaires et à leur famille, analyse le psychiatre.  Ces thérapies sont basées sur le fait de renseigner les patients bipolaires sur leur pathologie et les traitements qui s'y rapportent. L'accent est mis sur la reconnaissance des signes précurseurs des rechutes et la connaissance des meilleures stratégies auxquelles les patients peuvent recourir afin éviter la majoration des symptômes."  Pour certains auteurs, ce type de prise en charge devrait être proposée systématiquement aux patients bipolaires.

Vivre avec une maladie chronique psychiatrique est source d'une grande détresse morale et nécessite un soutien psychologique. L'alliance thérapeutique entre le patient et le psychiatre est donc essentielle et il existe différents types de thérapie.

La psychothérapie peut aider à mieux comprendre la maladie, à limiter certains facteurs de stress et certains comportements à risque, comme l'abus d'alcool ou de stimulants.  "Pendant la crise, le psychothérapeute utilise une approche comportementale qui permettra de limiter les agissements inappropriés chez la personne atteinte, développe le Dr Esposito. Il lui offre du soutien et des renseignements, organise des rencontres avec sa famille, l'implique dans le processus d'acceptation de sa maladie." Et après la période de crise, la personne atteinte du trouble bipolaire peut entreprendre une thérapie plus en profondeur, commencer une démarche thérapeutique qui nécessite la participation des proches et participer, avec ou sans ses proches, à des groupes de soutien et d'entraide.  

La psychothérapie sera aussi intéressante pour le conjoint ou les proches. "Des thérapies familiales spécifiques peuvent également être utiles : les familles développent des stratégies permettant de réduire l'hyper- expressivité des émotions souvent rencontrée au sein des familles bipolaires", ajoute le médecin.

Les thérapies cognitives et comportementales peuvent aussi être proposées pour apprendre à reconnaître les comportements inadaptés et les aider à modifier ces modèles de pensées inappropriés ou les comportements associés aux troubles de l'humeur.

L'électroconvulsivothérapie 

L'électroconvulsivothérapie, anciennement appelée électrochocs ou sismothérapie, se déroule sous anesthésie générale et curarisation, à l'hôpital. "Il s'agit d'un traitement sûr et très efficace pour les états dépressifs et maniaques du trouble bipolaire. Il est utilisé parfois comme traitement d'entretien à long terme pour éviter les rechutes"

Son effet secondaire principal est l'amnésie des séances et elle se réalise souvent à raison de 3 séances par semaine, durant 4 à 6 semaines. D'après la Haute Autorité de Santé, elle offre une amélioration rapide et à court terme des symptômes sévères après l'échec des traitements médicamenteux. Elle est indiquée chez les patients dont le pronostic vital est mis en jeu par des troubles dépressifs sévères, en cas de contre-indications aux autres traitements ou lors d'un épisode maniaque sévère et prolongé. "Même si elle parvient très efficacement à mettre fin aux épisodes de dépression et de manie, l'ECT ne procure des effets bénéfiques que pendant quelques semaines ou quelques mois, précise toutefois le Dr Esposito Les patients doivent donc généralement commencer ou continuer à prendre des psychorégulateurs ou d'autres médicaments après le traitement." Il ajoute que le traitement d'entretien peut être administré lorsque les médicaments n'ont pas permis d'éviter une rechute ou ne sont pas tolérés en raison de leurs effets secondaires.

Où en est la recherche ?

Le principal objectif de la recherche est de mieux comprendre les troubles bipolaires d'un point de vue à la fois épidémiologique, biologique, chimique, psychologique, social et génétique, commente le Dr Esposito.

L'IRM, pour mieux comprendre le trouble

"Les études utilisant l'IRM concernent la recherche d'anomalies de structure ou de fonction de certains circuits cérébraux qui seraient impliqués dans la régulation de l'humeur, développe le médecin. Une meilleure connaissance de ces dysfonctionnements pourrait servir d'aide au diagnostic et bien sûr influencerait le développement de nouvelles stratégies thérapeutiques." Il explique que deux techniques, le SPECT (Tomographie à émission de simples photons) et le PET (tomographie à émission de positrons) permettent d'évaluer l'activité cérébrale en mesurant le flux sanguin ou la consommation de glucose. 

Ainsi, au cours des dépressions, les études montrent une diminution de perfusion de certaines régions du cerveau telles que le cortex préfrontal, le système limbique et certaines régions paralimbiques au cours des dépressions. Lors des états maniaques, il s'agit le plus souvent d'asymétries de perfusion entre des régions droite et gauche du cerveau tel qu'un plus haut débit dans le cortex temporal droit dans sa partie dorsale.

De surcroît, ces techniques permettent de mieux comprendre les modifications cérébrales induites par les traitements.

Les gènes en question

"La recherche a bénéficié des progrès conjoints de la génétique moléculaire et de la génétique épidémiologique, mais se heurte à des obstacles comme l'hétérogénéité (clinique, étiologique et génétique) de la maladie et la méconnaissance du mode de transmission génétique (nombre de gènes impliqués par exemple)", raconte le médecin. Selon lui, les troubles bipolaires ne sont pas encore tout à fait compris par les chercheurs, mais ils impliqueraient plusieurs gènes, rendant ainsi les symptômes et les traitements différents pour chaque individu. De plus, cela explique l'incidence plus élevée dans une même famille. "Le risque de présenter un trouble bipolaire si l'un des parents de premier degré est atteint est de 10-15 % (par rapport à la prévalence de 1 à 2% dans la population générale)."

Les causes des troubles bipolaires sont complexes et les facteurs génétiques interagiraient avec des facteurs environnementaux.  "L'identification de ces gènes et des protéines cérébrales pour lesquelles ils codent, devrait rendre possible l'amélioration des procédures diagnostiques, le développement de nouveaux traitements ainsi que le développement de stratégies préventives, explicite le spécialiste. La recherche concerne par exemple des gènes codant pour la tyrosine hydroxylase (enzyme limitant la synthèse des catécholamines), la monoamine oxydase A (enzyme responsable de la dégradation de la sérotonine, la dopamine et la noradrenaline), ou encore des gènes impliqués dans la neurotransmission sérotoninergique (5HTT, TPH)."

Une meilleure compréhension des facteurs environnementaux

En ce qui concerne les facteurs environnementaux, l'utilisation de stimulants ou de drogues, un niveau élevé de stress et le manque de sommeil joueraient un rôle déclencheur de la maladie chez les personnes vulnérables génétiquement. "Donc depuis quelques années, on redécouvre l'influence des facteurs saisonniers et du rayonnement solaire dans l'éclosion des troubles de l'humeur (la manie étant plus fréquente en l'été et à l'automne, la dépression pendant l'hiver)", ajoute le médecin.

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