A quoi vos ados sont-ils accros ?

Sur demande de la Mildt (Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie), l’Inserm a dressé un bilan des connaissances scientifiques sur les vulnérabilités des jeunes de 10 à 18 ans à l’usage de substances psychoactives, ainsi qu’aux pratiques sociales pouvant conduire à une addiction (jeux vidéo/Internet, jeux de hasard et d’argent). Les conclusions du rapport d’expertise collective, rendues publiques le 6 février 2014, permettront d'affiner les orientations du Plan gouvernemental 2013-2017 de lutte contre la drogue
 et les conduites addictives.

Florian Gouthière
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Nos ados sont-ils drogués ?

Quels sont les principaux produits auxquels les adolescents sont aujourd’hui "accros" ? Quels sont les facteurs de risque d’addiction ? Quels sont les principaux effets sur la santé, et les dommages sociaux associés à ces consommations ou ces pratiques ?

Pour répondre à la demande de la Mildt, l’Inserm a réuni en 2013 un groupe d’experts en épidémiologie, santé publique, sciences humaines et sociales, addictologie, neurosciences et communication. Ces chercheurs ont analysé la littérature scientifique internationale des dix dernières années, auxquelles se sont ajoutées les données issues des trois grandes enquêtes de consommations réalisées en France depuis 1990.

Une phase de curiosité, de prises de risque et de défi

"C'est principalement à [l'adolescence] que se fait l'initiation à la consommation de substances psychoactives licites (alcool/tabac), mais aussi de certaines substances illicites (cannabis...)", rappellent les chercheurs de l'Inserm dans un communiqué accompagnant la publication du rapport. "Seuls 6,6 % des adolescents de 17 ans n’ont expérimenté aucun de ces 3 produits."

L'adolescence est une phase d'expérimentation et de défi. Mais, selon les sociologues qui ont participé à ces travaux, certains facteurs psychologiques (mauvaise estime de soi, manque de confiance en soi...), familiaux (transmission intergénérationnelle des conduites addictives) ou un parcours scolaire perturbé favorisent fortement le développement de pratiques pouvant conduire à l'addiction.

Les jeunes dont les parents présentent des conduites addictives ont un risque majoré de consommation régulière ou excessive : "les enfants de fumeurs sont deux fois plus souvent eux-mêmes fumeurs, les enfants de consommateurs excessifs d’alcool sont deu fois plus souvent eux-mêmes consommateurs réguliers d’alcool". Il en est de même au sujet de la pratique des jeux de hasard et d’argent.

Des effets neurotoxiques plus prononcés

"Le cerveau [d'un] adolescent [est] dans un état de transition vers l’état adulte", précise l’Inserm. "Les processus de maturation cérébrale (qui se poursuivent jusqu’à environ 25 ans) entraînent une vulnérabilité exacerbée de l'adolescent vis-à-vis de la neurotoxicité des substances psychoactives en général. Une zone du cerveau, le cortex préfrontal, qui permet la prise de décision [ou] l'adaptation du comportement à la situation, est plus particulièrement concernée."

Concernant l’alcool, les effets toxiques se ressentent "aussi bien au niveau structural (par exemple sur la génération de nouveaux neurones/neurogenèse) que fonctionnel, ce qui se traduit par une plus grande interférence avec les fonctions cognitives (apprentissage/mémoire)."

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On distingue l'usage à risque (mise en danger) de l’abus ou usage nocif (préjudiciable à la santé) et de la dépendance.

Si le terme d'addiction est parfois utilisé comme synonyme de dépendance, certains auteurs considèrent que ce terme traduit plus spécifiquement "l’impossibilité répétée de contrôler un comportement et la poursuite de celui-ci, en dépit de la connaissance et de la présence de ses conséquences néfastes". (Source : Inserm)

Tabac, alcool et cannabis

  • Tabac

Le tabac est le premier produit psychoactif consommé quotidiennement à l’adolescence : à 17 ans, 30% des filles et 33% des garçons sont fumeurs quotidiens. En 2011, en France, plus de deux jeunes sur trois âgés de 17 ans (68%) ont expérimenté le tabac. Selon des données de 2011, on observe des usages quotidiens dès le collège (8% parmi les élèves de 4ème et 16% parmi ceux de 3ème). Il est observé une légère augmentation du tabagisme quotidien entre 2008 et 2011.

  • Alcool

La consommation d’alcool - en particulier les épisodes de forte consommation - tend à se développer chez les adolescents. En 2011, 91% des garçons et des filles avaient déjà bu de l’alcool au jour de leur majorité. Parmi les élèves âgés de 11 ans, 58% ont déclaré en 2010 avoir déjà expérimenté une boisson alcoolisée.

Des usages réguliers d’alcool (au moins dix fois par mois) apparaissent dès la fin du collège : "en 2010, 7% des élèves de 3ème ont déclaré avoir consommé une boisson alcoolisée au moins dix fois dans le mois précédant l’enquête", rappellent les chercheurs de l'Inserm. "En 2011, ces usages réguliers d’alcool concernaient 15% des garçons et 6% des filles de 17 ans ; toutefois, la consommation quotidienne d’alcool concernait moins de 1% des jeunes de 17 ans."

  • Cannabis

En France, le cannabis est le premier produit psychoactif illicite consommé à l’adolescence. "En 2011, 42% des adolescents de 17 ans ont déjà fumé du cannabis au moins une fois (39% des filles et 44% des garçons)", rappellent les chercheurs.

Les premières expérimentations ont généralement lieu "dès les dernières années de collège (11% des élèves de 4ème, 24% des élèves de 3ème)" et concerneraient près d’un lycéen sur deux en 2011.

Les usages réguliers de cannabis (au moins dix fois dans le mois) concernent 2% des élèves de 3ème en 2010-2011, 6% des élèves de 2nde, 7% des élèves de terminale. Parmi les adolescents âgés de 17 ans, 5% présenteraient en 2011 un risque d’usage problématique voire de dépendance.

La consommation régulière de cannabis a "des effets à long terme qui peuvent altérer les résultats scolaires, et les relations interpersonnelles". Les épidémiologistes de l’Inserm rappellent que l’usage de cannabis peut également précipiter la survenue de troubles psychiatriques (troubles anxieux, troubles dépressifs, symptômes psychotiques et schizophrénie) chez l’adolescent.

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En France, la consommation de boissons énergisantes est aujourd’hui de 20% en 6ème à 36% en 2nde. Les chercheurs de l’Inserm observent que, d’un point de vue épidémiologique, "l’association des boissons énergisantes à des boissons alcoolisées […] augmente les conséquences de l’alcool, et notamment le risque de rapports sexuels non protégés." Un lien potentiel entre la consommation de boissons énergisantes associées à l’alcool et la survenue ultérieure d’une dépendance à l’alcool est également évoquée.

Médicaments psychotropes et autres produits illicites

En 2011, "41 % des jeunes de 17 ans déclarent avoir pris au cours de leur vie au moins un médicament psychotrope", notent les experts de l’Inserm. "Les médicaments psychotropes les plus fréquemment expérimentés sont les anxiolytiques (15 %), les somnifères (11 %), puis les antidépresseurs (6 %)."

Les expérimentations de produits illicites autres que le cannabis, (amphétamines, champignons hallucinogènes, LSD, cocaïne, héroïne…) n’apparaissent "qu’à la fin de l’adolescence", dans des proportions comprises entre 3 % pour les champignons hallucinogènes et la cocaine, et 0,8% pour l’héroïne. La plupart de ces expérimentations sont en baisse sur la période 2008-2011, en particulier celle de l’ecstasy.

"À 17 ans, on n’observe quasiment pas d’usage répété dans le mois de substances illicites autres que le cannabis. Seuls les produits à inhaler comme les colles, les solvants ou les poppers présentent des niveaux d’expérimentation relativement élevés à cet âge (9% disent avoir expérimenté ces derniers)", commentent les chercheurs.

 

Jeux vidéos, Internet, jeux de hasard

"Dans le cas des jeux vidéo/Internet et des jeux de hasard et d’argent, on parle de pratique sociale ou récréative (c’est-à-dire d'usage simple), de pratique à risque ou problématique (c’est-à-dire d'abus) et de jeu pathologique ou excessif (c’est-à-dire la dépendance)", distinguent les chercheurs de l'Inserm.

  • Jeux vidéo /Internet

Selon les outils de mesure utilisés et les pays, la prévalence d’utilisation problématique d’Internet par les adolescents varierait de 2 à 12%. En France, en 2011, des premières estimations révèlent que 3 à 5% des adolescents de 17 ans seraient concernés.

Par ailleurs, 5% des adolescents de 17 ans joueraient aux jeux vidéo entre 5 et 10 heures par jour. "Alors que les jeux vidéo peuvent présenter des aspects positifs, notamment sur le développement des fonctions cognitives et spatiales, ils peuvent entraîner une perte de contrôle et un comportement problématique", détaillent les experts. "Parmi les différents types de jeux, les MMORPG (Massive Multiplayer Online Role Playing Games) auxquels les garçons jouent le plus souvent, sont décrits comme potentiellement très addictogènes."

Parmi les joueurs (tous types de jeux vidéo) de 17 ans, 26% disent avoir rencontré au cours de l’année écoulée, à cause de leur pratique de jeu, des problèmes à l’école ou au travail et environ 4% des problèmes d’argent.

"Au-delà du temps passé qui s’avère parfois très long, des problèmes d’ordres psychique et somatique peuvent survenir en cas d’usage excessif : troubles du sommeil, irritabilité, tristesse, anxiété, isolement, baisse des performances scolaires, difficultés rencontrées avec les parents", précise l'Inserm. Une pratique problématique des jeux vidéo semble favoriser "l’usage de substances (tabac, cannabis, alcool, boissons énergisantes...) et augmenter le risque de sédentarité et de surpoids."

  • Jeux de hasard

Officiellement, la pratique des jeux de hasard et d’argent est illégale avant 18 ans. En France, la pratique des jeux de hasard et d’argent chez les adolescents de 17 ans a été explorée pour la première fois en 2011 : 44% ont déjà joué au cours de leur vie et 10% ont joué au cours de la semaine. Parmi les jeunes de 17 ans ayant joué dans la semaine écoulée, 14% seraient des joueurs à risque modéré et 3 % des joueurs excessifs. "On peut donc considérer que 1,7% des adolescents de 17 ans pourraient présenter une pratique des jeux à risque modéré ou excessive", expliquent les scientifiques.

En France, les adolescents jouent principalement à des jeux de grattage et de tirage achetés dans un bureau de tabac. "La possibilité de jouer en ligne est particulièrement attractive pour les jeunes, même mineurs", détaille le communiqué de l’Inserm. "Près de 14% des adolescents de 17 ans ont déclaré avoir joué à un jeu de hasard et d’argent sur Internet au moins une fois dans l’année écoulée."

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Quelle stratégie de prévention ?

Le groupe d'experts constate que "[les adolescents sont "peu sensibles à la mise en garde vis-à-vis des risques sanitaires à long terme, car ils ne les perçoivent que comme un risque très lointain ne les concernant pas vraiment." En revanche, ils recommandent de sensibiliser "parents [et] intervenants du secteur scolaire, parascolaire ou médical à la vulnérabilité de l'adolescent et aux dangers associés à une initiation précoce." Les scientifiques rappellent que la cohésion familiale (entente entre parents et enfants, connaissance qu'ont les parents de l'entourage et des activités de leurs enfants) réduit le risque de conduites addictives des adolescents."

Les experts notent également le rôle influent du cercle amical et de l'ensemble des produits marketing et des informations publicitaires déployés par les industriels qui incitent les jeunes à acheter les produits addictifs licites (tabac, alcool, jeux dans leur globalité). Ces publicités et outils marketing peuvent par ailleurs limiter l’efficacité des programmes de prévention destinés aux jeunes."

"Plusieurs stratégies d'interventions ont montré des effets bénéfiques sur la prévention ou la diminution de la consommation de substances psychoactives", notent les chercheurs de l'Inserm. "En particulier, trois types d’intervention sont le plus souvent présents dans les programmes validés comme efficaces : le développement des compétences psychosociales des jeunes (gestion des émotions, prise de décisions, estime de soi) et de leurs parents (amélioration de la communication, gestion des conflits) ; les stratégies à composantes multiples (intégrant au niveau local d’autres acteurs que l’école et les parents en plus du développement des compétences des jeunes et des parents)."

Les interventions d’aide à distance (ordinateur ou téléphone mobile), les campagnes dans les médias (notamment pour la réduction du tabac) ou encore les actions législatives et réglementaires visant à limiter l'accès aux produits addictifs, peuvent également participer d'une stratégie effiace de prévention et d'accompagnement des adolescents.

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