Androcur : "J'ai décidé d'attaquer Bayer car ils connaissaient le risque de méningiomes"

Véronique Dujardin se bat pour faire reconnaître le rôle du traitement dans le développement de ses trois méningiomes au cerveau. La justice vient de nommer des experts afin d'établir ou d'écarter le lien de causalité. 

La rédaction d'Allo Docteurs
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Rédigé le , mis à jour le
C’est la première fois qu’un juge se prononce sur ce dossier
C’est la première fois qu’un juge se prononce sur ce dossier

"C’est bon, le juge a nommé un collège d’experts composé d’un neurochirurgien, d’un endocrinologue et d’un pharmacologue." Véronique Dujardin est satisfaite de la décision rendue ce 31 juillet 2019 par le Tribunal de Grande Instance de Poitiers. "J’ai attaqué Bayer en justice parce qu’ils connaissaient les risques de développer un méningiome sous Androcur au moins depuis 2008 et qu’aucune information n’a été faite correctement avant l’automne dernier", explique cette conservatrice du patrimoine à la Région Nouvelle-Aquitaine qui lutte chaque jour contre les séquelles des trois tumeurs découvertes dans son cerveau en 2013.

"Obtenir l'indemnisation de mon préjudice"

C’est la première fois qu’un juge se prononce sur ce dossier, pour lequel d’autres juridictions ont été saisies.  "Je me suis lancée dans cette procédure pour moi, pour obtenir l’indemnisation de mon préjudice mais aussi en pensant aux autres victimes, femmes et hommes, qui ont pris ce traitement", poursuit Véronique. 

Il y a bientôt 30 ans qu’un médecin lui a prescrit de l’Androcur pour la première fois à cause d’un syndrome des ovaires polykistiques. "C’est sûr que ce traitement m’a aidée à faire face à des symptômes très difficiles, une "virilisation" avec des poils partout", se souvient-elle. "Mais on ne m’a jamais informée des risques associés."

Trois méningiomes dont deux qui comprimaient les nerfs optiques

Jusqu'au 1er juillet 2013, où elle se rend  aux urgences à causes de graves troubles visuels et des maux de tête. "J’ai passé un scanner. Ils ont vu trois méningiomes dont deux qui comprimaient les nerfs optiques et m’ont tout de suite dit d’arrêter l’Androcur", raconte Véronique.  "J’ai alors appris que c’était contre-indiqué, mais pas que cela pouvait même provoquer le développement de ces tumeurs !"

Ce lien, elle le découvre seulement en septembre 2018, lorsque son médicament se retrouve à la une de l’actualité. "Quand j’ai appris que l’alerte sur les méningiomes avec été lancée dès 2008 par le Pr Froelich, j’ai décidé de me battre et de mettre en cause toute la chaîne de responsabilités, pas seulement le laboratoire Bayer", explique-t-elle. "C’est-à-dire le médecin prescripteur, le pharmacien - car dès 2011 c’était signalé sur la notice -, mais aussi l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament, qui aurait dû prendre plus tôt les mesures lancées en juin dernier, le Ministère de la Santé, et même l’Assurance Maladie… "

Des experts désignés pour établir ou écarter le lien de causalité

Le TGI de Poitiers qu’elle a sollicité vient de lui accorder la désignation d’experts pour établir, ou écarter, le lien de causalité entre la prise d’Androcur et ses méningiomes. Véronique sait  que cela n’est que le début d’un long parcours mais elle est prête et souhaite faire reconnaître l’importance de son préjudice. "J’ai dû subir une intervention chirurgicale lourde avec un risque de mortalité de 5% et des séquelles importantes", souligne la conservatrice du patrimoine aujourd’hui contrainte de travailler à 80% après 10 mois d’arrêt en longue maladie.

D’autant qu’un seul des trois méningiomes a été retiré. Les effets secondaires de l’opération et les symptômes provoqués par les deux qui restent ont transformé le quotidien de cette cadre. Elle a perdu l’odorat, doit s’arrêter de travailler toutes les heures pour reposer ses yeux et faire des exercices spécifiques de rééducation. Une des tumeurs encore en place, située juste derrière l’œil, le projette vers l’avant et altère la vision… L’autre provoque une sorte d’hémiplégie partielle avec un déficit musculaire.

Encore un risque d'opération

"Je vais chez le kinésithérapeute plusieurs fois par semaine, et j’ai fait plus de 100 séances d’orthophonie pour atténuer les troubles du langage dont je souffrais après l’opération !", décrit Véronique. En plus de ce préjudice, du poids financier déjà réel de la maladie avec le temps partiel imposé qui impactera sa retraite, la bientôt cinquantenaire s’inquiète aussi pour l’avenir. "Je vois régulièrement toute une équipe de spécialistes qui suivent mes tumeurs de très près pour savoir s’il faut opérer ou si les risques sont trop grands. C'est toujours l'inconnu... "

Un parcours partagé par un grand nombre de femmes, très majoritaires parmi les patients qui ont pris de l’Androcur pendant des années. Souvent pour de l’endométriose, en dehors de l’Autorisation de Mise sur le Marché de ce médicament. Cet usage devrait disparaître avec les nouvelles règles strictes qui encadrent désormais sa prescription. 

L’Assurance Maladie vient d’ailleurs d’envoyer plus de 100 000 courriers d’information sur le risque de méningiome à tous ceux qui ont eu une ordonnance de ce traitement depuis deux ans, aux médecins prescripteurs et aux établissements de santé. Une lecture forcément stressante pour les personnes concernées. Elles peuvent trouver de l’aide auprès de l’Amavea, l’association de soutien aux victimes de l’Androcur.