Ovidie : "Je ne veux plus me faire mal avant, pendant et après le rapport !"

Quatre ans de grève du sexe... C'est ce que raconte sans tabou Ovidie dans son livre La chair est triste hélas. Au-delà du simple témoignage, la documentariste, réalisatrice et spécialiste des questions de sexualité, signe une critique implacable de l'hétérosexualité et de la société.

Dr Charlotte Tourmente
Dr Charlotte Tourmente
Rédigé le , mis à jour le
Ovidie, réalisatrice, documentariste et autrice du livre La chair est triste hélas
Ovidie, réalisatrice, documentariste et autrice du livre La chair est triste hélas  —  ©Charlotte Krebs

La chair est triste hélas* est probablement votre ouvrage le plus intime mais aussi le plus militant. Quelle est l'origine du livre ?

C'est un texte qui devient militant malgré lui car énormément de femmes se reconnaissent dedans. Mais ce texte n'est pas un manifeste ou un projet de société. C'est un texte personnel sur mon retrait de l'hétérosexualité, pas simplement en tant que rapport sexuel mais en tant qu'ensemble d'un système.   

Cet arrêt a modifié toutes mes interactions sociales. Nous sommes dans une société très sexualisée, qui repose sur les codes de l'hétérosexualité et les normes de l'hétérosexualité. C'est lorsque l'on sort du jeu de l'hétérosexualité, que l'on constate que toutes nos interactions sont basées sur la séduction et l'érotisme.  

Notre baisabilité, en tant que femmes, est le pôle de notre existence et détermine notre valeur sociale. Ce qui explique que les femmes se rendent malades quand elles commencent à vieillir ! J'ai constaté que faire la grève de l'hétérosexualité vous transforme en anomalie sociale...

Vous dénoncez le système de l'hétérosexualité, de la séduction aux infections urinaires post-coïtales, en passant par la lingerie, l'épilation intégrale ou les pénétrations à rallonge. Pourquoi ce ras-le-bol radical ?

La raison principale de mon arrêt de la sexualité a été de ne plus jamais me faire mal avant, pendant et après le rapport.   

 Je ne veux plus me faire mal lors des préparatifs, comme l'épilation des poils pubiens et du sillon inter-fessier ou l'évanouissement lors de séances de cardio pour perdre du poids. Mais on peut aller plus loin, avec les sacrifices de certaines pour correspondre à des normes : la chirurgie esthétique, les injections ou brûler sa peau avec un peeling. Tout cela pour rester séduisante...   

Ensuite, c'est le rejet des douleurs pendant le rapport. Nous avons intégré que la douleur était normale. Il y a plein de femmes qui ont mal et qui ne disent rien pour que cela se termine plus vite (cela ne veut pas dire que l'autre est un monstre). Mais il ne devrait jamais être normal d'avoir mal !

Enfin, je ne veux plus supporter la douleur après, avec les cystites et les mycoses, tout le service après-vente. À la réflexion, toutes ces contraintes m'ont fait sortir de l'hétérosexualité. Le jeu n'en vaut pas la chandelle à mes yeux.

Pour vous, l'hétérosexualité est "un système vénal, où les femmes échangent le sexe contre des biens matériels, de la sécurité, de l'amour, de la revalorisation ; tout cela pour la simple raison que les hommes hétéro baisent mal" ?

Ce n'est pas agréable à entendre comme formule. Mais j'ai trop souvent la sensation qu'on a un rapport sexuel, non pas en échange d'un pur plaisir, mais d'une revalorisation.   

Notre plaisir est trop souvent optionnel : on a été élevées à faire plaisir et non pas à prendre du plaisir. Donc les femmes n'ont pas de rapport sexuel pour le sexe et le plaisir mais en échange de quelque chose, pas forcément de l'argent, mais de l'amour, une revalorisation, une sécurité matérielle ou un capital social.   

D'ailleurs, on nous enseigne assez tôt à trouver un bon parti, un homme avec "une bonne situation" : il y a bien cette idée de l'échange économico-affectif...      

Est-ce la raison pour laquelle les femmes acceptent un rapport peu ou pas satisfaisant ? Deux-tiers des femmes hétéro ont un orgasme contre 95% des hommes (et 86% des femmes lesbiennes). Et d'après une enquête de 2019, près de 4 femmes hétéro sur 5 rapportent une difficulté à jouir...

Cela explique que l'on tolère que le rapport se termine après l'éjaculation, même si on n'a pas pris de plaisir... 

Le rapport hétéro classique commence avec l'érection et se termine avec l'éjaculation. C'est tout de même aberrant, non ? Dans le sens inverse, si c'était l'orgasme de la femme qui clôturait le rapport, ils ne supporteraient pas cela !

Pourquoi est-ce que l'on trouve cela normal ? Pas parce que l'on a eu un échange de plaisir mais parce que l'on est bien en attente d'une autre forme de revalorisation... On a besoin d'être la plus belle, la plus bandante, la plus aimée. Mais on fait parfois face à une immense désillusion : "l'homme vient juste de se masturber avec mon corps..." 

Le plaisir féminin est-il accessoire aux yeux des hommes ?

Quand on pose la question aux hommes, ils sont persuadés d'être des bons amants et affirment que le plaisir de la partenaire est important pour eux. Oui mais ils veulent nous faire jouir selon un certain schéma, leur schéma, par exemple en pensant qu'ils sont le roi du cunnilingus.

Il est vrai que les femmes ne disent pas forcément ce qu'elles veulent mais parce qu'elles savent que ça ne correspondra pas à ce qui les exciterait, à leurs fantasmes.       

En quoi votre expérience est-elle représentative de celles d'autres femmes ?

Ce qui me fait dire que je tape juste, ce sont les réactions des femmes depuis la sortie du livre. J'ai reçu des milliers de messages de femmes en pause de sexualité, qui m'écrivent "moi aussi", ou "je comprends ce que tu ressens". 

Elles en sont au même désenchantement que moi. Elles racontent toutes un sentiment de honte vis-à-vis de cette pause et n'en parlent pas... Il y a même des femmes que je connais bien, qui n'en avaient jamais osé en parler avant la sortie du livre !

Quelle est la réaction des hommes en vous lisant ou écoutant vos interviews ?

Certains ne sont pas prêts à entendre mon message, tiennent des propos misogynes et ne veulent pas se remettre en question.

Il y a des réactions viscérales de certains, qui ne supportent pas que l'on se refuse à eux... Cela revient à afficher que nous n'avons pas besoin de leur bite - c'est à l'origine de la lesbophobie. Or ils devraient se demander pourquoi nous en sommes arrivés là, et se remettre en question.

Comment sortir de cette chair triste, réinventer le rapport sexuel et la relation hétéro ?

Peut-être qu'un jour il y aura une sortie et une issue de secours... Est-ce possible pour des gens de ma génération d'être un couple respectueux et dans l'égalité, "dans une hétérosexualité qui trahirait le patriarcat" pour reprendre la formule de Mona Chollet ?   

J'ai des doutes... Je n'entrevois pas la sortie pour moi. La déconstruction est indispensable mais le problème, c'est que j'ai tellement déconstruit que je ne sais plus comment reconstruire.

Pour certaines femmes, la reconstruction passera par le dialogue et elles s'en sortiront ! D'ailleurs, mon livre devient un support de discussion pour les couples : des mecs accompagnent leurs copines en signature, c'est bien le signe de leur intérêt.

Et pour les jeunes générations ?

Ce n'est pas perdu pour la gen-Z (NDLR : les personnes nées entre 1997 et 2010). Les garçons sont plus à l'écoute et ont grandi avec la notion de consentement. Je constate que les filles ont envie de s'affranchir des codes et des normes de l'hétérosexualité, par exemple sans s'épiler...   

Avant, on nous poussait à faire couple, on avait honte si on ne répondait pas à cette obligation. Aujourd'hui, on revalorise l'amitié, aussi intense que l'amour, et de nombreuses jeunes femmes sont dans la valorisation de la sororité.

On ne nous a pas appris à être épanouie et heureuse seule, à faire des choses intéressantes sans faire couple (certaines ne font rien si elles ne sont pas en couple). Mais je constate aussi une soif d'indépendance dans la génération Z, cette idée de s'auto-accomplir, avant de passer par un épanouissement dans le couple...   

La route est encore longue mais je crois qu'un autre amour et surtout une autre forme de relation entre hommes et femmes sont possibles.

La chair est triste hélas par Ovidie. Editions Julliard, collection Fauteuse de trouble.