Gymnastes de haut niveau : une croissance et une puberté remises à plus tard

A très haute dose, la pratique de la gymnastique chez les petites filles décale le pic de croissance et la puberté. En cause, des contraintes mécaniques extrêmes sur le squelette et des perturbations hormonales, dues à la charge d’entrainement.

Héloïse Rambert
Rédigé le , mis à jour le
Gymnastes de haut niveau : une croissance et une puberté remises à plus tard - Crédit photo : Ministerio do Esporte via Visualhunt / CC BY-NC-SA
Gymnastes de haut niveau : une croissance et une puberté remises à plus tard - Crédit photo : Ministerio do Esporte via Visualhunt / CC BY-NC-SA

Flavia Saraiva : 1, 33 m, 31 kg et un corps d'enfant. Simone Bils : 1,45 m et 47 kg. Gabrielle Douglas : 1,50 m pour 41 kg. Les grandes championnes de gymnastique le sont par leur talent et leur palmarès. Moins souvent par leur taille. Cette constatation fait souvent croire, à tort, que la pratique de la gymnastique bloque la croissance des petites filles et des jeunes adolescentes. Ce n'est pas tout à fait vrai.

Premièrement, seul l'entrainement vraiment intensif a des effets sur le développement staturo-pondéral des filles. Et surtout, le pic de croissance n'est, chez elles, que retardé : sauf exception ou maladie, les gymnastes finiront par "rattrapper" les centimètres et les kilos "en attente" et faire la taille et le poids pour lesquels elles sont génétiquement programmées.

"Le pic de croissance, bien que plus tardif chez les gymnastes, existe toujours, avec une récupération adéquate du potentiel de croissance", explique d'emblée Véronique Bricout, ancienne gymnaste de haut niveau, docteure en sciences, et chercheuse à l’Inserm en physiologie de l'exercice physique.

"Sélection naturelle"

Le patrimoine génétique peut déjà être un biais chez les gymnastes qui "percent".  Pour briller au sol ou à la poutre, mieux vaut être petite et légère.

"Une sélection naturelle se fait. Les filles naturellement petites et fines ont davantage tendance à être attirées par la gymnastique que par d’autres sports. Elles ont des facilités acrobatiques et se font plus rapidement plaisir, souligne Véronique Bricout.

"Jusqu’aux années 2000, les entraineurs russes et d’Europe de l'Est repéraient même les filles dont les parents étaient petits pour les pousser vers la gym. Les caractéristiques morphologiques des gymnastes ne peuvent cependant pas prédéterminer une carrière. Les exemples de grandes gymnastes, hors-normes, comme Nelly Kim ou Svetlana Boguinskaïa, le montrent."

Précocité et intensité, muscles et cartilages sur-sollicités

La petitesse des gymnastes performantes n'est pas due qu'à la loterie génétique. Le corps des jeunes promises à une carrière est façonné par les (nombreuses) heures d'entrainement. "La gymnastique est certainement le sport où les volumes d'entraînement sont les plus importants, constate la chercheuse. En général, 5 heures par jour, 6 à 7 jours sur 7. Soit au moins 30 heures par semaine."

Les filles seules sont soumises précocement à cette rigueur, avant la puberté. "Les garçons qui travaillent avec des agrès de force, comme les anneaux ou le cheval d’arçon, ont tout intérêt, eux, à attendre d’être pubères pour avoir plus de masse musculaire", ajoute-elle. Dans les pays de l'Est, les repérages se font entre 4 et 6 ans. Aux USA, les jeunes gymnastes sont aussi envoyées très jeunes en camps d’entrainement. "La culture française est un peu moins radicale, mais commence tout de même les entrainements intensifs vers  10 ans", explique l'ancienne gymnaste.

En deçà de 18 heures hebdomadaires, l'entrainement est sans effet sur le développement. Au-delà, la croissance peut prendre du retard. Les petites filles et pré-adolescentes sollicitent tellement leur masse musculaire que la croissance osseuse est entravée. "Les muscles tirent considérablement et continuellement sur les insertions ostéo-musculaires. Les contraintes mécaniques sont telles que la croissance osseuse ne peut pas se faire", explique la docteure en sciences.

Les chocs répétés sur le squelette ne sont pas non plus sans conséquences. La croissance se fait à partir de zones osseuses spécifiques (les cartilages de croissance) qui sont des points de fragilité. Soumis aux tractions répétées des tendons qui s'attachent à proximité, ils peuvent être le siège de lésions spécifiques, sources de pathologies de la croissance.

Système hormonal inhibé : croissance et puberté freinée

L'entrainement intensif induit aussi des perturbations neuro-endocriniennes. "La croissance est une fonction complexe liée aux régulations hormonales. Or, les concentrations en IGF-1, un peptide qui stimule la croissance et la maturation des os, sont significativement plus basses dans le sang des jeunes gymnastes de haut niveau que dans celui des autres filles. L’IGF-1 est produit en réponse à l’hormone de croissance, elle-même sous contrôle de l’hypophyse", précise Véronique Bricout.

Les déréglements hormonaux ont aussi une répercussion sur la survenue de la puberté. En moyenne, les gymnastes ont leurs premières règles durant leur quinzième année, alors que les jeunes filles sédentaires sont pubères généralement à 12 ans ou avant. "Plus elles s’entrainent, plus l’axe gonadotrope, au niveau hypothalamo-hypophysaire et ovarien, qui développe les fonctions gonadiques et donc le cycle menstruel, est mis au ralenti", ajoute-elle.

Stress et régime alimentaire restrictif

Ces perturbations sont souvent aggravées par des régimes alimentaires très restrictifs. "L'alimentation des gymnastes est souvent trop pauvre en apports calciques et protéiques. Et leur poids est souvent trop bas. Un défaut de masse grasse bloque aussi les  fonctions ovariennes", note Véronique Bricout. Le stress physique et psychologique auxquels sont soumises les jeunes gymnastes achève de les mettre dans de mauvaises conditions pour grandir normalement. 

Les parents de championnes en herbe ne doivent pas pour autant craindre pour la vie d'adulte de leur fille. "On n’a jamais vu une gymnaste ne jamais grandir si elle était fait pour être grande. Et elle n’a pas plus de risque d’avoir des problèmes de fertilité que les autres", conclut la chercheuse.