Quels sont les dangers du blanchiment de la peau ?

Le 27 juin, L’Oréal a annoncé vouloir modifier le nom de certains produits pour y enlever les références à un "blanchiment" de la peau. Cette décision a suscité l'indignation sur les réseaux sociaux en appellant au boycott de la marque.

Lucile Degoud
Rédigé le , mis à jour le

L’Oréal a annoncé dans un communiqué vouloir retirer "Les mots blanc/blanchissant/clair de tous ses produits destinés à uniformiser la peau".

Cette annonce est à remettre dans le contexte des manifestations anti-racistes aux Etats-Unis après le meurtre de George Floyd, cet Afro-Américain mort asphyxié par un policier.

Devant l'explosion du mouvement anti-racisme "Black Lives Matter", les entreprises craignent d’être accusées de racisme si elles ne se positionnent pas. Plusieurs marques annoncent leur soutien au mouvement dont L’Oréal ou encore Sephora, Glossier, autres marques de cosmétiques.

Qu’est-ce que le blanchiment de la peau ?

Le blanchiment de la peau est le fait de rendre sa peau plus claire, de la rendre plus blanche.

Il faut faire une distinction entre :

  • Des produits cosmétiques, des crèmes, des lotions, qu’on peut utiliser pour diminuer l’apparence d’une cicatrice, atténuer des rougeurs de la peau, des tâches. Ce sont des produits éclaircissants autorisés.
  • Et des produits dépigmentants, qui sont interdits en France mais qui se vendent au marché noir ou sur internet. Ça peut être sous forme de crèmes, de savons, mais de plus en plus des injections ou des comprimés. Le but avec ces produits est d’éclaircir la peau pour la changer de couleur.

Le blanchiment de la peau est pratiqué partout dans le monde mais ce sont surtout les femmes noires et les femmes asiatiques qui blanchissent leur peau.

Une femme de 37 ans a publié sur les réseaux sociaux plusieurs vidéos où elle raconte qu’elle a utilisé pendant 20 ans des produits pour blanchir sa peau avant d’arrêter. Il y a réellement un changement de carnation.

Des produits dangereux

Outre l’enjeu de société, il existe aussi un enjeu de santé publique car certains produits de blanchiment de la peau, ceux qui dépigmentent, sont extrêmement dangereux.

Ces produits ne sont pas anodins. Ils sont très agressifs, très décapants, très abrasifs. Ils contiennent des substances toxiques si l'utilisation est régulière : de l’hydroquinone, des corticoïdes, du mercure, du plomb… Certaines femmes utilisent aussi des méthodes artisanales comme de la javel qu’on rajoute directement dans la crème.

En France, l’ANSM, l’agence du médicament et des produits de santé, a alerté sur la dangerosité de ces produits et l’OMS, l’Organisation Mondiale de la Santé, aussi.

Ces produits blanchissants peuvent provoquer de nombreux problèmes de santé : des infections, des troubles de la pigmentation, des brûlures, de l’eczéma, de l’acné, des vergetures, de l’hyperpilosité, des difficultés à cicatriser car la peau est fragilisée, des cancers de la peau.

Dans certains cas, de l’hypertension artérielle, du diabète, de l’insuffisance rénale ou encore des troubles neurologiques et certains effets secondaires sont irréversibles même si on arrête d’utiliser ces produits.

Cela cause aussi des dégâts psychologiques avec une dépendance. Une fois qu’on a commencé à se blanchir la peau, c’est très difficile d’arrêter.

Canon de beauté

Il y a un engouement depuis plusieurs années pour ces produits éclaircissants et blanchissants et ça révèle un certain standard de la beauté.

En effet si ces produits blanchissants sont autant utilisés, c’est pour répondre, se conformer à une certaine norme de beauté. C’est une vision très européo-centrée, très occidentale de la beauté et raciste : pour être belle il faudrait avoir la peau blanche et la plus claire possible et il y a aussi l’idée qu’on réussira mieux sa vie, carrière, mariage, en étant plus clair.

Cette idée est ancrée en Asie, au Japon, en Corée, en Inde, dans beaucoup de pays d’Afrique aussi, où avoir la peau la plus blanche possible est synonyme de beauté et d’un certain statut social, surtout pour les femmes. Cette idée est intégrée dès l’enfance. Parfois ce sont les parents eux-mêmes qui blanchissent la peau de leur nourrisson.

Une véritable pression sociale

Le Japon est en première ligne avec les geishas et l’importance du blanchiment de la peau depuis des siècles.

Beaucoup plus récemment, la célèbre chanteuse franco-malienne Aya Nakamura a révélé qu’un directeur artistique lui a demandé de se blanchir la peau pour plaire à un public plus large.

L'implication de l'industrie pharmaceutique

L’industrie cosmétique participe à cette valorisation du blanchiment de la peau. Tout simplement en fabricant et en vendant ces crèmes blanchissantes, éclaircissantes, cela fait la promotion de la blancheur.

Dans certains pays, comme l’Inde, les publicités pour ces crèmes sont extrêmement racistes. On y voit des femmes à la peau foncée sans emploi, sans mari. Une fois qu’elles commencent à utiliser des produits blanchissants, la vie leur sourit ! Sur une autre, une femme est quittée par son mari pour une femme plus blanche mais à la fin de la pub, une fois que la femme éconduite utilise une crème blanchissante, il retombe amoureux d’elle !

L’industrie cosmétique valorise la blancheur en mettant en avant surtout des mannequins blanches dans les publicités.

De changements qui s'opèrent ?

Cela commence à changer mais ce changement est impulsé par les consommatrices plus que par les marques. Aujourd’hui, il y a une contestation de plus en plus forte de ces diktats, notamment chez les jeunes générations, avec une volonté de retour au naturel et de fierté identitaire, de s’accepter telle qu'on est, de ne plus vouloir subir la pression sociale.

En 2016, par exemple, le hashtag #unfairandlovely est devenu viral sur les réseaux sociaux pour dénoncer l’utilisation de la crème blanchissante "Fair and lovely" qui veut dire "claire et jolie" et donc le hashtag "Unfair and lovely" c’est un jeu de mots puisque unfair veut dire injuste. C’est la crème éclaircissante la plus utilisée en Asie notamment en Inde.

En juin, cette année, la marque a décidé de rebaptiser cette crème, elle s’appelle maintenant "Glow and lovely" qu’on peut traduire par "Rayonnante, lumineuse et jolie". Une pétition en ligne qui a déjà recueilli plus de 15 000 signatures demande à la marque Unilever d’aller plus loin et d’arrêter de commercialiser cette crème.

Même chose pour L’Oréal qui a retiré les mots "clair/blanc/blanchissant" des étiquettes mais la marque a été taxée d’hypocrite puisqu’on retire les mots sur un packaging mais pas les produits des rayons.

La marque Johnson and Johnson est, elle, allée plus loin. Elle a annoncé en juin qu’elle arrête de vendre des produits éclaircissants en Asie et au Moyen-Orient. C’est plus qu’un symbole quand on sait que le blanchiment de la peau est un énorme marché qui concerne des millions de personnes.

Ca va dans le bon sens, mais tant que la société sera raciste, le marché des produits de blanchiment aura encore de beaux jours devant lui.