Vaccination des SDF : “ Le coronavirus est un révélateur d’inégalités dramatiques”

Danemark, Roumanie, Russie… De plus en plus de pays commencent à vacciner les sans domiciles fixes (SDF). Mais en France, où on compte pourtant près de 300 000 SDF, la vaccination de ces populations précaires n’est pas prévue avant la phase 3. 

Alicia Mihami
Rédigé le , mis à jour le
Les SDF sont les laissés pour compte de la vaccination
Les SDF sont les laissés pour compte de la vaccination

Plus de trois millions de Français ont déjà reçu le vaccin contre le Covid-19. Mais alors que la campagne de vaccination suit lentement son cours, une population, pourtant largement à risque, reste sur le carreau. Selon la Haute Autorité de santé (HAS), la vaccination des sans domicile fixe (SDF) n’est pas prévue avant la phase 3 de la stratégie vaccinale, qui devrait débuter, au mieux, fin mars. Mais au vue des retards déjà accumulés, tout porte à croire que cette échéance sera repoussée. 

Pourtant, les personnes SDF sont une population à risque. Leur situation était déjà “extrêmement délétère” avant le début de la pandémie selon le Dr Philippe de Botton, président de Médecins du Monde. Mais depuis la fin de l’été, c’est de pire en pire. “Ce sont des populations dont l’état de santé est globalement déplorable”, confirme Corinne Torre, cheffe de mission France chez Médecins sans Frontières (MSF). “Il y a beaucoup de maladies chroniques, de problèmes d’addiction, des pathologies comme la tuberculose etc.", explique-t-elle. Autant de facteurs qui font des populations sans-abri des personnes à haut risque de développer “des formes extrêmement sévères du Covid-19”, conclut le Dr de Botton. 

Les conditions de vie des SDF jouent aussi un rôle dans leur précarité sanitaire. Centres d'hébergement bondés, difficultés d’accès à des points d’eau, à du savon, manque de masques de protection, ce contexte rend difficile le respect des gestes barrières pour ces personnes extrêmement démunies. Pour Corinne Torre, “à partir du moment où il y a une notion de vie à la rue ou en hébergement précaire, il y a un risque élevé.” En matière de vulnérabilité face au coronavirus, le critère de pauvreté extrême dépasse le critère d’âge. 

Un double défi

Pour le Dr de Botton, ce qui freine la vaccination des plus démunis aujourd’hui, c’est l’ampleur du défi logistique. Car les SDF ne sont pas une population comme les autres. Souvent totalement en dehors du système de santé, il est difficile d’identifier les plus fragiles. Et lorsqu’on vit dans la rue, la priorité ce n’est pas forcément la vaccination contre le coronavirus. “Il faut d’abord survivre, manger, trouver un endroit sûr pour dormir…”, explique Corinne Torre. “Il y a un vrai travail de sensibilisation à faire, et ça prend du temps.”  

Aller au devant de ces populations nécessite une certaine expertise, renchérit Philippe de Botton : “On n’entre pas comme ça dans un squat, un campement ou un bidonville… Il faut donner les moyens aux équipes mobiles qui connaissent le terrain,” insiste-t-il. Si les ONG refusent de se substituer au ministère de la Santé, elles sont prêtes à apporter leur aide pour assurer le meilleur accès possible au vaccin. 

Autre défi d’ampleur : la question du suivi médical. Pour l’heure, les vaccins autorisés se font en deux injections. Un vrai casse-tête pour ces populations peu habituées à un suivi de santé et difficiles à tracer : “Un migrant qui reçoit la première dose du vaccin et qui passe la frontière, on ne va pas le retrouver” assène le Dr de Botton. Pour Corinne Torre, “protéger, c’est d’abord héberger. Si on veut être sûr de retrouver un patient, il faut le loger et le garder en observation jusqu’à la deuxième dose”. Dans un contexte de crise sanitaire grave, la question de l’hébergement inconditionnel pour tous “ne devrait même pas se poser”, soupire-t-elle.

Combien de doses pour les SDF ? 

L’hypothèse d’une autorisation prochaine du vaccin de Johnson & Johnson, qui se fait en une seule injection, est une piste de réflexion. Mais elle soulève une autre question : “Combien de doses seront disponibles pour les plus démunis ?” s’inquiète le président de Médecins du Monde. “Quand on voit le peu de doses mises à disposition actuellement, le taux de vaccination très faible… Que peut-on attendre pour les sans-abri ? Les associations et les ONG se tiennent prêtes. Mais il faut des moyens”, insiste Philippe de Botton. 

“Aujourd’hui, notre premier problème, c’est qu’on ne sait pas où diriger les personnes qui auraient besoin d’un vaccin”, confirme la cheffe de mission de MSF. “Si j’ai un patient en face de moi qui rassemble tous les critères, qui a été informé et qui veut se faire vacciner, je suis incapable de l’orienter.” Les associations déplorent un flou total sur les lieux de vaccination, bien difficiles à trouver sans passer par l’application Doctolib, inaccessible aux populations les plus précaires. Surtout, elles s’inquiètent du manque de doses. Et tant qu’il n’y aura pas suffisamment de doses pour la population “régulière”, il est peu probable que les SDF aient accès au vaccin. 

Entre bonne volonté politique et désorganisation

Lors d’une réunion avec les ONG et les acteurs du domaine social la semaine dernière, Olivier Véran aurait affirmé qu’il souhaitait faire des plus précaires une priorité. Si les associations veulent croire à la bonne volonté du ministre de la Santé, la désorganisation qui règne autour de la campagne de vaccination semble pour le moment dominer. 

Pour le président de Médecins du Monde, la problématique de la vaccination n’est que la partie émergée de l’iceberg. “ La situation des SDF n’est pas nouvelle, ça fait 20, 30 ans que ça dure ! Le coronavirus est simplement un révélateur d’inégalités dramatiques.” Le médecin parle même d’un échec éthique et déontologique : “Tout le monde devrait avoir un accès égal à la vaccination ”