Chaussures inadaptées, ce n'est pas le pied !

"Trouver chaussure à son pied" est aussi difficile au sens figuré qu'au sens propre : d'un fabricant à l'autre, les pointures ne veulent rien dire, tandis que la largeur du pied est un paramètre complètement négligé. Les risques médicaux, considérables, sont totalement méprisés, alerte l'Académie de médecine dans un rapport rendu public ce 20 juin.

La rédaction d'Allo Docteurs
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Rédigé le , mis à jour le
Chaussures inadaptées, ce n'est pas le pied !

"Les individus qui portent à l’âge adulte, et pendant toute leur vie, une chaussure trop étroite finissent par devenir des patients", alerte dans un rapport de l’Académie de médecine le docteur Alain Goldcher, spécialiste en podologie et en médecine du sport à l'hôpital La Pitié-Salpêtrière, à Paris. Or, aujourd’hui en France, les fabricants de chaussures proposent leurs modèles en différentes pointures, mais quasiment jamais en différentes largeurs. Pour un modèle donné, les magasins proposent souvent plusieurs coupes de jean, mais seulement une seule "coupe" de chaussures.

"Au lancement de l’industrie, certaines marques proposaient deux à trois largeurs par pointure", explique le praticien. "Pour des raisons économiques évidentes, la majorité des marques ne propose plus qu’une seule largeur, la plus fréquente déterminée statistiquement. Elle est fonction du pays, de la marque, du modèle et du sexe du client."

Or, constate-t-il, "les conflits entre le pied et la tige de la chaussure (partie supérieure qui enveloppe le pied, NDLR) génèrent des pathologies de compression et de pression au métatarse, et des talalgies, en cas de port de pointure supplémentaire. Ces pathologies sont fréquentes en consultation de podologie médicale : hallux valgus douloureux, métatarsalgie, syndrome de Morton, syndrome capitométatarsien, bursopathiefracture de fatigue, dermatoses mécaniques."

Pour éviter le pire, le Dr Goldcher appelle à lutter contre plusieurs idées reçues. La première d’entre elles est que les chaussures de série industrielles conviendraient à toutes les largeurs de pied… Il convient d’être conscient des risques, et de ne pas céder à l’appel de la chaussure trop étroite par coquetterie. À l’inverse, certains profils de chaussures souffrant d’une mauvaise réputation peuvent être sans danger si celles-ci sont de qualité (voir encadré).

Des modèles plus ou moins problématiques

Le Dr Goldcher note que certains modèles de chaussures favorisent la compression de l’avant-pied, comme les escarpins, les ballerines, les zoccoli (qui n’ont pas d’attaches modulables), les sabots, les mules (qui n’ont pas d’attache au talon) ou les bottines cavalières, les mocassins ou les loafers (qui n’ont pas d’attache adaptable à la morphologie du pied, ou de façon limitée).

En revanche, le podologue juge que des coutures sur la tige "ne sont pas nuisibles si le volume du chaussant respecte celui de l’avant-pied et si la tige bénéficie d’une doublure". De même, il note qu'un talon haut ne favorise pas les pathologies de l’avant-pied "s’il respecte un dénivelé de semelle de moins de 5 centimètres et surtout si son assise présente avec l’horizontale une pente inférieure à 10°". Enfin, un bout pointu "n’est pas forcément néfaste, contrairement à l’étroitesse de la tige au niveau du métatarse une chaussure conçue avec une planche dite « tournante » respecte l’alignement de la phalange proximale de l’hallux par rapport à l’axe du premier métatarsien tout en ayant un aspect pointu"… encore faut-il pouvoir mettre la main (enfin, le pied) sur un tel soulier !

"Ça chausse petit"

Le rapport diffusé par l’Académie de médecine s’agace du fait que les pointures affichées sur les semelles (ou sur l’étiquette) des chaussures ne correspondent pas à grand chose. En principe, en France, le chiffre renvoie à une norme simplissime, établie depuis… 1795. La pointure s’exprime en "points de Paris" : le chiffre de votre pointure correspond à la longueur de votre pied multipliée par deux tiers (il y a trois pointures dans deux centimètres, soit une pointure supplémentaire tous les 6,6 millimètres. Si votre pied mesure 26,6 centimètres, vous devriez donc faire du 40. Le test a été fait à la rédaction d’Allodocteurs.fr : en fait de 40, c’est plutôt du 42 ou du 43 qui est affiché.

En outre, à chaque pointure correspond en théorie plusieurs largeurs. Là encore, les règles de calculs sont simples [1] ; mais à quoi bon faire le calcul quand les fabricants n’en font jamais mention ?

Le docteur Goldcher formule donc un souhait : "que chacun connaisse  sa pointure réelle (longueur et largeur en points de Paris) et que les fabricants aient l’honnêteté de marquer cette pointure réelle sur leurs produits. Cela suffirait à éviter la plupart des douleurs des pieds." Il juge qu’une telle norme "devrait déjà être rendu obligatoire pour les chaussures dites thérapeutiques bénéficiant d’une prise en charge sociale"… car, aussi aberrant que cela puisse paraître, aucune contrainte ne pèse aujourd’hui sur les fabricants de tels dispositifs.

Source : Pied et chaussure, un couple à risque médical méconnu. Alain Goldcher. Académie de médecine, juin 2016.

 


[1] La largeur du pied correspond au périmètre de la zone la plus volumineuse du pied, exprimé en millimètres. Elle est plus couramment exprimée par une lettre (ou un quantième de pointure, la 5e largeur correspondant à la lettre E), qui varie selon la pointure (voir ci-dessous).


Source : Pied et chaussure, un couple à risque médical méconnu. Alain Goldcher. Académie de médecine, juin 2016.