Comment le XV de France est-il préparé mentalement à la Coupe du monde de rugby ?

Un premier trophée à domicile ? C'est l'espoir du XV de France lors de cette Coupe du monde de rugby. Pour y parvenir, les Bleus misent autant sur le travail physique que psychologique. Entretien avec Mickaël Campo, le préparateur mental de l'équipe de France.

Muriel Kaiser
Muriel Kaiser
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Depuis quatre ans, Mickaël Campo travaille avec les joueurs de l'équipe de France
Depuis quatre ans, Mickaël Campo travaille avec les joueurs de l'équipe de France  —  Marco Iacobucci Epp / Shutterstock

Transformer l'essai demande-t-il autant de qualités mentales que physiques ? Alors que les Bleus tentent de marquer l'histoire lors de la Coupe du monde de rugby qui se déroule actuellement en France, nous nous sommes entretenus avec Mickaël Campo, chercheur en psychologie du sport et préparateur mental de l'équipe de France de rugby. 

Depuis quatre ans, sa mission est d'aider les joueurs du XV de France à comprendre, analyser et gérer leurs émotions dans le but d'être le plus performant possible. Son encadrement vise à la bonne santé mentale de chaque joueur mais aussi à la cohésion d'équipe.

Allo Docteurs : En quoi consiste la préparation mentale ?

Mickaël Campo : "Dans la préparation mentale, on vient optimiser les ressources du joueur pour qu'il soit capable d'être dans son état optimal sur le terrain. Mais cette gestion émotionnelle est aussi collective : il s'agit d'arriver à ce que l'équipe ne craque pas sous la pression.

Concrètement, en période de compétition, tout se joue autour des matchs. Le lendemain d'une rencontre est un jour de récupération physique et émotionnelle. Au même titre que les soins physiques, tous les joueurs passent un entretien, un moment d'échanges durant lequel ils racontent leurs émotions durant le match et analysent leurs ressentis. Le but est de déposer les émotions."

La préparation mentale se fait-elle aussi en groupe ?

"Oui. Le lendemain de ces entrevues individuelles, on fait ce qu'on appelle un practice, c'est-à-dire la gestion mentale de la compétition. On revoit d'abord le vécu émotionnel collectif, qui est essentiel. Il s'agit par exemple d'éviter un phénomène de contagion émotionnelle, c'est pourquoi vous voyez des bulles de maîtrise après chaque essai. 

Ensuite, on travaille par groupes de plusieurs joueurs sur une thématique précise liée aux émotions. Ça peut être sur la frustration par exemple. Comment sortir d'un vécu de frustration ? Comment l'éviter ? Comment y faire face collectivement lors d'un match ?

On anticipe aussi le contexte du prochain match pour le préparer au mieux. On étudie nos propres émotions mais aussi celles de nos adversaires. Tout comme on analyse leurs tactiques et les techniques, on se penche aussi sur leur mental en étudiant le langage corporel des autres équipes, par exemple."

Les émotions collectives ont-elles une influence sur le jeu ?

"Elles ont une énorme influence !  En 2019, j'ai mené une étude démontrant que les émotions collectives ont plus d’impact sur la performance individuelle que les émotions propres aux joueurs. Cela vient questionner toute l'approche individuelle qui est faite traditionnellement. 

En effet, l'émotion qu'un joueur véhicule sur le terrain touche ses partenaires de jeu et aussi ses adversaires, d'ailleurs. C'est pourquoi il est capital de travailler sur les émotions collectives."

La préparation mentale a donc une place conséquente ?

"J'ai envie de dire qu'on y consacre 100 % du temps ! Tout participe à la dimension mentale. La manière dont le staff parle aux joueurs, par exemple. Je dis souvent que l'entraîneur est le premier préparateur mental et physique. Penser que les entretiens et les practices font que l'équipe est solide mentalement, c'est se tromper.

C'est tout ce qui est mis autour qui y participe : la dynamique de groupe travaillée, la mise en confiance... Le travail de préparation mentale tel que je le fais vient peaufiner tout le reste."

Sur le terrain, quels sont les moments les plus forts en émotions ?

"Il y a des situations qui sont plus émotiogènes que d'autres, c'est-à-dire qu'elles provoquent davantage d'émotions. L'avant-match est ainsi un moment particulier. Pendant le match, cela peut arriver lors des temps faibles, quand on commence à déjouer, qu'on est mené au score, qu'on enchaîne les fautes... ces moments amènent des émotions plus intenses.

D'un point de vue individuel, ce sont surtout les erreurs qui provoquent des émotions négatives. Mais tout dépend de l'entourage : si en face, j'ai 14 bonhommes qui m'en veulent et qui m'engueulent, ce n'est pas pareil que s'ils disent que ce n'est pas grave et qu'on va faire mieux par la suite ! C'est toute la force de l'équipe de France. Le groupe a été façonné, construit petit à petit, les joueurs s'entendent bien."

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Le capitaine, Antoine Dupont, s'est fracturé la mâchoire lors du match contre la Namibie. Les joueurs sont-ils préparés à faire face à un tel événement ?

"Les blessures graves sont assez difficiles à vivre. Les sportifs passent par plusieurs phases comme le déni et la colère avant d'arriver à accepter la situation et à maîtriser leur vécu de blessure et affectif. Mais ils sont entourés par un staff médical et technique très à l'écoute, qui gardent le lien pour les accompagner.

Ils bénéficient aussi d'un espace d'échanges, s'ils le souhaitent, où on est deux à intervenir : une psychologue et moi. L'objectif est de faire verbaliser le joueur sur ce qu’il ressent, réinterpréter son vécu pour évacuer les émotions désagréables comme l'anxiété et la frustration.

Quant aux coéquipiers, ce n'est jamais agréable de perdre un joueur. D'autant plus que l'équipe de France cumule les blessures : Romain Ntamack (forfait pour le mondial), Cyril Baille (revenu lors de France-Namibie), Julien Marchand (blessé lors du match d'ouverture de la Coupe du monde)...

C’est perdre un membre de la famille. Mais il faut se rappeler le contexte : les joueurs connaissent ce risque et ne tremblent pas face à ça. On ne peut pas s’engager dans une Coupe du monde en niant que ça puisse arriver, on anticipe et on s’adapte au moment venu."

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