Plus de cancers agressifs de la prostate chez les chauves ?

Depuis quinze ans, plusieurs études ont souligné une association possible entre une perte des cheveux (alopécie) précoce et un risque accru de cancer de la prostate. Selon les résultats d'une large étude nord-américaine publiée ce 15 septembre, l'alopécie serait seulement prédictive des formes agressives de ces cancers. Des résultats à prendre avec des pincettes.

La rédaction d'Allo Docteurs
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De nombreuses études ont démontré que les cellules du bulbe pileux sont sensibles aux hormones masculines, de façon plus ou moins prononcée selon les individus. Certaines formes héréditaires de calvitie ont pour origine cette sensibilité hormonale.

Des biologistes cherchent, depuis plusieurs années, à savoir si les gènes qui rendent ces cellules très sensibles aux hormones pourraient jouer un rôle dans la sensibilité d'autres cellules à ces mêmes hormones : en l'occurrence, les cellules qui composent les cancers de la prostate.

Jusqu'à présent, des travaux de plus ou moins grande envergure penchent tous dans la même direction : il semble bien exister un lien entre calvitie héréditaire et risque de cancer de la prostate. Ce risque reste toutefois difficile à estimer.

39.070 personnes enrôlées

Les derniers travaux en date, publiés mi-septembre dans le Journal of Clinical Oncology, loin d'apporter des réponses tranchées, amène un nouveau lot de questions.

Pour cette étude, des chercheurs ont interrogé 39.070 hommes âgés de plus de 45 ans sur l'âge à partir duquel ils avaient commencé à perdre leurs cheveux. Les participants à l'étude devaient également préciser quelles zones de leur crâne avaient été touchées par cette alopécie. Trois ans après cette première phase de l'enquête, les scientifiques ont recensé les cas diagnostiqués de cancer de la prostate, en prenant en compte la gravité du cancer.

Selon l'analyse de ces données, aucune forme de calvitie n'est prédictive de l'apparition d'un cancer de la prostate (formes peu agressives et agressives confondues). En revanche, les individus ayant souffert d'une calvitie précoce à l'arrière et à l'avant des cheveux (alopécie androgénétique héréditaire) avaient un risque significativement accru de développer un cancer agressif de la prostate, comparé aux autres hommes de même âge(1).

Ces deux résultats suggèrent donc que les gènes impliqués dans l'alopécie précoce ne seraient pas liés à la genèse des cancers, mais plutôt à la prolifération ultérieure des cellules – en lien direct avec leur affinité particulière avec la testostérone.

Biais de mémorisation

Pour le professeur Philippe Giraud, cancérologue et co-auteur d'une étude française sur ce même sujet en 2011, ces résultats doivent être considérés avec précaution. "D'autres études montrent, au contraire, que l'alopécie androgénétique héréditaire est [bien associée à un risque accru de] cancers de la prostate, sans prendre en compte leur caractère agressif ou non."

"Le problème de toutes ces études – des nôtres aussi – est qu'elles se basent sur les souvenirs des personnes", poursuit le cancérologue. "Ils déclarent avoir commencé à perdre leurs cheveux à tel âge, mais il y a une grande incertitude attachée à ces données. Ce biais de mémorisation est difficile à écarter."

Pour l'heure, Philippe Giraud considère donc que l'hypothèse d'un lien entre sensibilité des cellules capillaires et sensibilité des cellules saines de la prostate reste à privilégier. "Pour l'heure, il me semble que les données de la [littérature médicale] pointent plutôt en faveur [d'un mécanisme favorisant] la genèse des cancers, et non pas sur la seule prolifération des cellules cancéreuses. Il faut, à mon sens, conseiller aux personnes [atteintes de ce type d'alopécie] de se faire dépister."

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(1) Un sur-risque évalué entre +7% et +80% – une incertitude liée à l'existence nombreux autres facteurs favorisant le développement des cancers agressifs de la prostate.

Source : Relationship Between Male Pattern Baldness and the Risk of Aggressive Prostate Cancer: An Analysis of the Prostate, Lung, Colorectal, and Ovarian Cancer Screening Trial. Cindy Ke Zhou et coll. JCO, 15 sept. 2014, doi: 10.1200/JCO.2014.55.4279