L'antiépileptique qui donne (temporairement !) l'oreille absolue

De récents travaux suggèrent que la prise de valproate, molécule active de plusieurs médicaments utilisés pour traiter l'épilepsie, entraîne un surprenant effet secondaire : l'amélioration de la capacité à identifier les notes. Un talent pourtant très difficile à acquérir à l'âge adulte.

Florian Gouthière
Rédigé le
Schéma de l'oreille interne
Schéma de l'oreille interne

Un diapason vous est inutile pour trouver le ton juste ? Vous savez que votre klaxon beugle en do dièse (tandis que celui du voisin joue plutôt en fa) ? Aucun doute : comme une personne sur dix mille, vous êtes doté d'une "oreille absolue" - c’est-à-dire de l'aptitude à identifier, sans point de référence, une note correspondant à un son entendu.

Ce talent semble malheureusement s'acquérir à force d'entraînement, dans l'enfance. Une fois acquise, l'oreille absolue tendrait même à s'affiner avec l'âge !

Les 9.999 personnes sur 10.000 qui n'ont pas eu la chance d'être très tôt stimulées musicalement (1) semblaient jusqu'à présent condamnées à se voir donner le "la" avant d'entonner la chansonnette. Mais voilà : des chercheurs ont récemment observé qu'une certaine classe de molécules (les "inhibiteurs d'histone-déacétylase", ou "inhibiteurs de HDAC") modifiait les capacités perceptives de souris adultes, leur permettant d'acquérir des capacités à différencier des sons "autrement impossibles à acquérir après la jeunesse".

Fort de ce constat, une équipe internationale (France, Canada, Royaume-Uni et Etats-Uno) a cherché à évaluer si des hommes adultes traités par un inhibiteur de HDAC (en l'occurrence, le valproate, un médicament antiépileptique) différenciaient mieux les sons que les autres...

Douze notes ont été proposées aux oreilles d'une quinzaine d'individus (traités pour partie sous valproate, l'autre recevant un placebo). L'une de ces notes musicales était ultérieurement répétée. Les sujets devaient estimer laquelle des notes initialement jouées lui correspondait. Après une phase d'entraînement d'une semaine, l'expérience proprement dite a été conduite sur une seconde semaine.

Après plusieurs dizaines de jours, le test a été reproduit avec les mêmes personnes. Celles initialement traitées sous placebo ont reçu du valproate, et inversement.

Au terme de la première phase, le taux de bonnes réponses des personnes prenant du valproate surpassait de 25% celui du groupe témoin. Malgré le nombre réduit de participants, les résultats étaient statistiquement tout à fait significatifs.

Le changement ne fut cependant pas durable, au vu des scores moyens obtenus par le groupe ayant troqué le valproate contre un placebo lors de la seconde phase de l'expérience. Par ailleurs, au cours de la nouvelle série de tests, les scores des deux groupes se sont avérés comparables. En d'autres termes : invité à réaliser le même exercice, le groupe ayant enfin reçu du valproate n’a pas réussi à améliorer significativement son score. Apparemment, le fait de s’être préalablement soumis (et donc de s’être déjà entraîné) au test a "annulé" l'effet du médicament.

"Ce résultat n'est pas dû à un changement général de la fonction cognitive, mais plutôt un effet spécifique sur une tâche sensorielle", concluent donc les chercheurs, dans un article publié fin décembre 2013 dans Frontiers in Systems Neuroscience. L’expérience doit désormais être reproduite pour confirmer l’étonnant effet secondaire du valproate sur les sens humains. Si le phénomène était confirmé, le mécanisme d’action de la molécule resterait alors à être élucidé...

A quand les tests anti-dopage à l’examen d’entrée au conservatoire ?

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(1) Certains travaux suggèrent également une prédisposition génétique à l’oreille absolue. Toutefois, les parents possédant ce talent tendent peut-être tout simplement à créer un environnement propice au développement des aptitudes musicales de leurs enfants.

Source :  Valproate reopens critical-period learning of absolute pitch. Gervain J, Vines BW, Chen LM, Seo RJ, Hensch TK, Werker JF et Young AH. Front. Syst. Neurosci. 2013 doi: 10.3389/fnsys.2013.00102

 

Une oreille pas si absolue...

Des travaux, publiés en août 2013, dans la revue Psychological Science, ont démontré que les personnes dotées d'une "oreille absolue" ne sont toutefois pas capables de percevoir un changement lent et progressif de ton.