"Speculum" : dénoncer les violences obstétricales par le théâtre

Pendant une heure vingt, trois comédiennes reviennent avec décalage sur des années de conception patriarcale de la gynécologie-obstétrique et partagent des témoignages glaçants.

Maud Le Rest
Rédigé le
"Le théâtre pour dénoncer les violences gynécologiques", entretien avec Delphine Biard,  Flore Grimaud et Caroline Sahuquet, auteures comédiennes
"Le théâtre pour dénoncer les violences gynécologiques", entretien avec Delphine Biard, Flore Grimaud et Caroline Sahuquet, auteures comédiennes

Une gynécologue enfile un gant en plastique bleu. A côté d’elle, la patiente attend, l’air vaguement inquiète.

La scène est surréaliste, et pour cause : une visite chez le gynécologue commence rarement de cette façon. C’est pourtant par ce dialogue que s’ouvre la pièce Speculum. Une manière de montrer, par l’absurde, que le consentement est bien trop souvent considéré comme allant de soi lors d’une consultation gynécologique, malgré son caractère éminemment intime.

Le corps féminin relégué au rang d’objet d’étude

D’emblée, Speculum jette un pavé dans la mare. En quelques mots, les comédiennes (qui ont également écrit et mis en scène la pièce, au terme d’un long travail d’enquête) résument les problèmes majeurs de la gynécologie-obstétrique française : la toute-puissance du sachant sur la patiente, et le corps féminin relégué au rang d’objet d’étude ou de simple moyen de procréation.

Pendant une heure vingt, Delphine Biard, Flore Grimaud et Caroline Sahuquet retracent l’histoire de la profession et en dressent un effroyable état des lieux, alternant témoignages de patientes traumatisées et paroles de médecins maltraitants. Sur un ton cru et sarcastique, les trois comédiennes jouent une cinquantaine de personnages, dont des pontes de la gynécologie et de grandes figures du féminisme.

Propos dégradants et manque d’empathie

La pression monte crescendo. Les comédiennes commencent par aligner les remarques désobligeantes subies par les patientes qui leur ont été relatées. Une telle se voit conseiller d’épiler sa toison pubienne, une autre de mincir, une autre encore se voit reprocher son homosexualité car celle-ci favoriserait les infections sexuellement transmissibles… Puis viennent les violences verbales. Le témoignage d’une jeune femme, venue pour un examen de routine et apprenant en 30 secondes que le bébé qu’elle porte est décédé depuis des jours, est particulièrement glaçant.

En parallèle, les comédiennes récitent des propos de praticiens récoltés pendant leur travail d’enquête. Fort heureusement, certains d’entre eux sont emprunts de bienveillance. Mais leur humanité peine à faire oublier les propos choquants de leurs confrères. Un gynécologue considère qu’une femme ayant ses règles lors d’une consultation lui "manque de respect". Un obstétricien affirme que lors d’un accouchement, faire preuve d’empathie et de signes élémentaires de politesse est logistiquement impossible. Un célèbre et médiatique professeur de gynécologie, enfin, dénonce un "gynéco-bashing" et affirme que 99% de la profession traite correctement les patientes.

Benoîte Groult en fil conducteur

Point culminant de la démonstration : une effroyable reconstitution du procès du Distilbène, médicament prescrit entre 1948 et 1977 pour éviter les fausses couches et qui a eu des conséquences dramatiques sur la santé des bébés exposés in utero.

Mais Speculum se veut malgré tout optimiste, et fait la part belle aux idées du Dr Martin Winckler, médecin féministe et militant, Marie-Hélène Lahaye, lanceuse d’alerte sur le sujet des violences obstétricales, ou de Benoîte Groult, philosophe ayant dénoncé les mutilations génitales féminines dans les années 1970. Car les choses bougent, estiment les autrices. "Depuis que nous avons commencé notre travail, le sujet des maltraitances gynécologiques a explosé dans les médias, il se fait emblème du nouvel élan féministe", affirment-elles. Espérons que Speculum fasse avancer la cause, et, comme ses autrices l’espèrent, "muscle notre vigilance".

Speculum

Du 2 janvier au 16 février

Du mercredi au samedi à 19h

Théâtre de la Manufacture des Abbesses

7, rue Véron, 75018 Paris

Pour réserver, rendez-vous sur le site de la Manufacture des Abbesses.

 

 

 

par Maud Le Rest  journaliste à la rédaction d'Allodocteurs.fr