Distilbène : des conséquences sur trois générations

Les résultats d'une importante étude française sur les conséquences de l'exposition au médicament Distilbène, sur trois générations, ont été rendus publics lundi 1er décembre. Confirmant des données antérieures, cette étude révèle en outre un doublement du risque de cancer du sein pour les filles exposées in utero. Les enfants de la troisième génération ont, pour leur part, un risque accru d'infirmité motrice cérébrale, en lien avec un taux de prématurité élévé.

Florian Gouthière
Rédigé le
Distilbène : des conséquences sur trois générations

Contexte

Entretien avec le Pr Michel Tournaire, gynécologue-obstétricien
Entretien avec le Pr Michel Tournaire, gynécologue-obstétricien

Prescrit entre 1948 et 1977 pour éviter les fausses couches, le diéthylstilbœstrol (D.E.S, oestrogène de synthèse commercialisé en France sous les noms de Distilbène et Stilboestrol Borne) a eu des conséquences dramatiques sur la santé des bébés exposés in utero.

Au début des années 1970, constatant une recrudescence de certains types de cancers du vagin ou du col utérin chez des jeunes filles (âgées de 14 à 22 ans), des épidémiologistes ont tiré le signal d'alarme. Dès 1971, les Etats-Unis et le Canada recommandent l'arrêt des prescriptions. En France, le D.E.S. ne sera pas "contre-indiqué chez la femme enceinte" avant 1977.

160.000 enfants Distilbène

En 30 ans, 200.000 femmes enceintes auraient reçu du D.E.S, et 160.000 enfants sont nés de ces grossesses – les "enfants du Distilbène". Outre les cancers génitaux, 40 ans d'études épidémiologiques ont confirmé que les "filles du Distilbène" présentaient un risque accru de malformations génitales et une fréquence élevée d'accidents de reproduction (infertilité, grossesses extra-utérines, fausses couches, accouchements prématurés).

Certains "fils du Distilbène" ont, pour leur part, développé des kystes au niveau de l'épididyme (canaux assurant le stockage des spermatozoïdes nouvellement formés), des hypospadias ou encore des anomalies des testicules comme la cryptorchidie (testicules non descendus à la naissance, on parle également d'ectopie testiculaire).

D'autres sur-risques ?

Concernant les sur-risques de cancer du sein chez les femmes, deux études réalisées aux Etats-Unis et aux Pays-Bas ont présenté des résultats discordants. Certaines malformations congénitales ont également été observées sur des enfants de la génération suivante ("petits-enfants Distilbène"). Afin de préciser la situation sur le territoire français et lever certains doutes, une enquête nationale a été lancée le 16 avril 2013.

Les résultats de ces travaux, réalisés par la Mutualité Française et de l'association Réseau D.E.S. France, ont été présentés le 1er décembre 2014.

Les conséquences pour la première et la deuxième génération

Concernant les mères ayant pris du D.E.S, l'enquête observe une augmentation de 29% de la fréquence du cancer du sein, confirmant des données antérieures (évaluation du sur-risque de 35% et de 40%, dans des études réalisées aux Etats-Unis). L'étude ne révèle aucune augmentation de risque pour les autres cancers.

Concernant les "filles Distilbène", une comparaison de 3.436 d'entre elles avec 3.256 femmes "témoins" (non exposées) a permis d'établir que leur risque de développer un cancer du sein est multiplié par 2,1 (x 2,11 à moins de 40 ans, x 1,72 durant la quarantaine, x 1,88 après la cinquantaine). Une étude nord-américaine avait suggéré que le risque de cancer était corrélé à la dose de D.E.S. reçue par la mère. "Les doses prescrites en France étant inférieures aux doses américaines, nous espérions trouver un risque inférieur au risque américain", notent les auteurs de l'étude. "Ils sont en fait très proches".

Le sur-risque de cancers du vagin ou du col utérin (adénocarcinomes à cellules claires, ou ACC) démontré dans les études antérieures a été confirmé dans cette recherche(1). L'étude n'a pas révélé d'augmentation du taux de cancer de l'endomètre – en dépit du fait qu'il s'agit d'un cancer hormono-dépendant.

Concernant les "fils Distilbène", le nombre limité de participants (326) limite la portée de l'analyse réalisée. Une augmentation du taux de malformations génitales a cependant été constatée, dans les proportions prédites par les études antérieures réalisées exclusivement sur les hommes. Il semble en aller de même pour le cancer des testicules, mais les études sur ce sujet sont pour l'heure rares et contradictoires.

Quels risques pour les ''petits enfants Distilbène'' ?

Les chercheurs ont par ailleurs comparé 4.663 "petits-enfants D.E.S" (2.332 filles et 2.331 garçons) à 6.336 enfants issus des femmes "témoins" (3.114 filles, 3.222 garçons). Les données concernant les enfants des "garçons D.E.S" sont trop peu nombreuses pour tirer des conclusions, les chiffres suivants concernent donc les enfants des "filles D.E.S".

Pour les deux sexes, une importante augmentation du nombre d'atrésies (obstruction) de l'oesophage a été recensée. Dans le groupe des petits-enfants Distilbène, 14 cas signalés (soit 29,8 cas pour 10.000), mais aucun dans le groupe témoin. Dans la population générale, la prévalence d'atrésie de l'oesophage est de 2,3 cas pour 10.000 (2). Une élévation du risque de malformations cardiovasculaires a également été observée ; toutefois, le résultat est à la limite de la signification statistique. Une étude antérieure ayant déjà observé ce "signal", les auteurs appellent à poursuivre les recherches. 


Concernant les petites-filles D.E.S, les données concernant les anomalies génitales sont jugées "rassurantes" par les chercheurs, aucun sur-risque n'ayant été observé, "contrairement à ce qui était redouté". Par ailleurs, aucun sur-risque de cancer n'a été observé dans l'échantillon étudié – mais celui-ci était constitué d'individus encore jeunes, ce qui interdit toute conclusion définitive.

Concernant les petits-fils D.E.S, un risque augmenté de cryptorchidie et une forte incidence des cas d'hypospadias ont été observés, comme prédit par les études antérieures.

 

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(1) Toutefois, ces résultats ne feront pas l'objet d'une analyse détaillée, les chercheurs expliquant que "de nombreuses femmes exposées ayant eu un ACC et [devenues membres de l'association pour cette raison] ont répondu au questionnaire, ce qui pouvait générer un véritable biais".

(2) Une étude néerlandaise de 2007 avait déjà relevé cette augmentation. Cette tendance n'avait pas pu être confirmée par une étude nord-américaine publiée en 2010, les données recueillies ne permettant pas d'exclure que l'augmentation de la prévalence (qui était là aussi observée) soit due au hasard.

Le taux de naissances prématurées et très prématurées étant élevé chez les filles D.E.S, entraînant "mécaniquement" une augmentation du nombre d'enfants Infirmes Moteurs Cérébraux (IMC) dans la troisième génération. Ces femmes pourront avoir des enfants jusqu'autour de 2020.

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