Mieux comprendre le ''ras-le-bol'' des internes en médecine

15 000 internes de France assurent 16 millions de consultations par an. Leurs conditions de travail, qui ne sont pourtant pas au coeur des revendications, suffiraient à justifier une grève. Et elles permettent de comprendre le ras-le-bol des internes. Zoom sur des étudiants en blouse blanche, que l'on considère comme des médecins à part entière.

Dr Charlotte Tourmente
Dr Charlotte Tourmente
Rédigé le
Mieux comprendre le ''ras-le-bol'' des internes en médecine
Les internes en médecine : des étudiants avec des responsabilités de médecins
Les internes en médecine : des étudiants avec des responsabilités de médecins

Des conditions de travail éprouvantes


Carole, interne en cardiologie, a accepté de nous en raconter le déroulement d'une de ses journées.


"Je commence à 8h30 par un point avec les infirmières puis un tour du service pour voir l'ensemble des patients. Je suis la seule interne pour m'occuper de vingt malades, alors la visite prend du temps!", raconte Carole. "L'après-midi, je vois les nouveaux patients, ce qui nécessite de 20 minutes à plusieurs heures pour chacun, selon la complexité du cas. La journée se finit vers 19h30, sauf si je suis de garde. Alors là, j'enchaîne 12 heures de garde aux Urgences de 18h30 à 8h30. Dans certains services, l'interne repart sur une nouvelle journée après sa garde. Je travaille du lundi au samedi matin, avec deux gardes 12 heures durant la semaine et une de 24 heures le week-end une fois par mois".


Les internes flirtent donc davantage avec les 70 à 80 heures hebdomadaires que les 48 heures fixées dans les textes de loi... "Cela correspondrait à une garde et deux journées. C'est infaisable !", énonce Carole, philosophe. "Le CHU, le centre hospitalo-universitaire, c'est très prenant, c'est une grosse machine où il n'y a pas de place pour le patient", analyse Marie, en dernière année de psychiatrie. "On n'a pas le temps de faire tout à fond !".



Un repos de sécurité qui n'est pas toujours respecté


C'est le temps de repos, censé être obligatoire, après une garde. Une enquête de l'Inter Syndicat National des Internes des Hôpitaux (ISNIH) a indiqué que 20% des internes ne pouvant pas prendre ce repos, notamment en chirurgie et en gynécologie-obstétrique.


Alors que les internes ont la vie des patients entre leurs mains, la fatigue, la pression, manque d'expérience parfois peuvent conduire à des erreurs. "Et dans certains services, on t'invalide ton stage ou on pourrit ta carrière si tu prends ton repos de sécurité." Mais sans repos, la fatigue s'accumule, le jugement devient moins clair et les conséquences peuvent alors être dramatiques : 15% des internes ont déclaré avoir commis une erreur de prescription, de diagnostic ou encore opératoire au-delà de la 24ème heure de garde. "C'est certain, je détesterais que mon frère soit hospitalisé en réanimation si l'interne n'a pas dormi depuis 36 heures...”, commente Marie.

 

Et c'est sans compter l'impact sur les internes eux-mêmes. "Il n'y a pas de vrai break, cet été, j'ai enchaîné 21 jours d'affilée sans week-end...", explique Carole. D'après l'enquête de l'ISNIH, 11% ont eu un accident de voiture en sortant de garde... Certains vont jusqu'à prendre des médicaments comme les benzodiazépines, les corticoïdes, voire des substances illicites telles que les amphétamines. "Tout interne passe par des phases où il se sent, nul, dépassé, incapable de gérer le patient. On est en formation, on ne peut pas tout savoir, mais on est censé tout savoir ! En début de cursus, c'est très stressant..."

 

Mais difficile d'imposer ce temps de repos dans un système hospitalier où les patients sont de plus en plus nombreux et les médecins de moins en moins. "On ne nous l'interdit pas vraiment, mais on nous fait sentir que si on le prend, il n'y a personne pour voir les patients", explique Carole. Marie va plus loin et donne l'exemple de chefs de service qui invalident le stage ou mettent des bâtons dans la carrière de leurs internes s'ils prennent leur repos, pourtant imposé par la loi.


Alors certains font une pause dans leur cursus pour se remettre de cette cadence infernale. "On n'a personne à qui en parler, hormis ses collègues internes et ses amis internes. Ce sont eux qui apportent le soutien psychologique. Les médecins du travail ou de l'université sont inexistants !". Le rythme de travail et la pression qui pèse sur les épaules de ces jeunes médecins en formation, aussi bien pour gérer le service que pour garder un contact humain avec les patients, provoquent un burn out, cet épuisement physique et moral, qui peut conduire à une issue dramatique, le suicide...


Une formation sacrifiée sur l'autel de la rentabilité


La formation des internes est censée être à la fois pratique via les stages à l'hôpital et les gardes, mais aussi théorique avec des cours à la faculté. Carole est plus que circonspecte à propos de cette cette formation théorique. "Officiellement, nous avons deux demi-journées de formation par semaine. Moi, j'ai eu 3 jours et demi en 2 ans !". Les internes se forment sur le tas, pour reprendre leur mots. Ils apprennent tous les jours avec les patients et ils s'auto-forment avec les recommandations officielles et avec les médecins qui sont disponibles.


Selon Emmanuel Loeb, président de l'ISNIH, plusieurs explications contribuent au délabrement de la formation des internes. Le compagnonnage (le fait qu'un médecin senior transmette son savoir pratique à l'étudiant) se heurte au départ massif à la retraite des praticiens, alors qu'il y a de plus en plus d'internes à former. Les étudiants ont donc de plus en plus de mal à trouver un médecin aguerri pour les accompagner dans l'apprentissage des gestes techniques.


D'autre part, l'évolution du mode de rémunération des internes ampute le temps consacré à la formation (la moitié du coût hospitalier de l'interne est financée par son activité les 3 1ères années et les 4/5 le sont les dernières années). "A terme, le risque est que l'interne devienne un agent hospitalier rentable et non plus un agent en formation", conclut le président du syndicat. En sachant que la rentabilité laisse peu de place à l'apprentissage des connaissances théoriques...


Un salaire d'interne, mais des responsabilités de médecin


Les internes touchent un peu moins de 1 379 euros nets (soit un salaire horaire équivalent aux deux-tiers d'un smic) et 1 900 euros nets en fin d'internat, auxquels s'ajoutent le montant des gardes 119,02 euros pour 12 heures de travail de nuit...


La grève ne porte pourtant pas sur le salaire des internes. "Il est difficile dans la conjoncture actuelle d'avoir des exigences sur ce point", confirme E. Loeb. "Mais il faut savoir que les rémunérations des internes ne sont pas même pas indexées sur l'inflation". Car les étudiants en médecine ont des avantages, à commencer par le prix des études qui est bas (500 euros par an pour l'inscription à la faculté, auxquels s'ajoute le prix de diplômes universitaires, à raison de plusieurs centaines d'euros, si l'étudiant souhaite suive une formation supplémentaire). Ils ont aussi la certitude d'avoir du travail en sortant de la faculté, un avantage non négligeable à l'époque actuelle.


"Notre salaire est tout de même confortable par rapport à la majorité des Français", commente Carole, lucide. "Mais si l'on fait 10 ans d'études éprouvantes, c'est aussi pour avoir plus tard un métier qui mérite salaire, même s'il reste avant tout un métier de vocation".


Un double statut, à la fois étudiant et salarié


Les internes sont considérés comme des étudiants en ce qui concerne leur rémunération ou l'application de la législation du travail, mais comme des salariés quand il s'agit d'enchaîner les heures à l'hôpital, de payer des impôts, d'endosser des responsabilités pour lesquelles ils ne sont pas forcément préparés.


"En début d'internat, on a tout à apprendre. Mais aux yeux des patients, nous sommes des médecins à part entière !", se souvient Carole. "Il vaut mieux apprendre à être autonome très vite car les seniors ne sont pas toujours là". Alors comment gérer cette angoisse d'accueillir ses premiers patients en tant qu'interne, alors que l'on n'a pas toutes les connaissances pour le faire ? En dernière année de psychiatrie, Marie estime que c'est très variable selon les personnes. "Pour certains, c'est comme ça que l'on apprend son métier, pour d'autres c'est vraiment chaud", confirme-t-elle. "Mais avoir un senior derrière soi au début, c'est tellement plus rassurant pour l'interne et mieux pour le patient". Quand ils sont présents évidemment...

Et la grève dans tout ça ?


Marie soutient le mouvement de grève du 17 octobre 2012, car la fin du secteur 2 et de la liberté d'installation, sur lesquelles est centrée la grève, sont sources de vives inquiétudes. Carole se déclarera gréviste par principe. Mais elle ira tout de même dans le service, avant de défiler dans l'après-midi. 

 

C'est elle qui a le mot de la fin : "Je ne regrette pas mon choix, j'aime ce que je fais, même si ce n'est pas toujours facile. Et je sais que j'exercerai mon métier différement, en consacrant plus de temps aux patients, en prenant le temps de l'écouter vraiment". Le patient est toujours et encore au coeur des préoccupations des internes. Un élément rassurant pour l'avenir de la médecine.


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