Une enquête pour viol sur mineur à l'encontre d'un gynécologue parisien

L'AP-HP avait ouvert il y a quelques jours une enquête interne au sein de l'hôpital Tenon et de Sorbonne Université après la publication de témoignages d'internes et de patientes dénonçant les violences qu'aurait exercées le chef du service endométriose de l'hôpital.

La rédaction d'Allo Docteurs
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Une enquête pour viol sur mineur à l'encontre d'un gynécologue parisien
©Kichigin

Une jeune patiente de 17 ans a porté plainte contre le chef du service endométriose de l'hôpital Tenon, selon une information RTL.

Une enquête judiciaire pour viol par personne ayant autorité sur mineur de plus de 15 ans a été ouverte mardi 28 septembre à l'encontre de ce médecin. 

"J'attendais ce rendez-vous comme le Messie"

Cette plainte intervient après la publication de nombreux témoignages d'internes et de patientes ces derniers jours. Selon ces témoignages, ce spécialiste de l'endométriose aurait commis de graves violences lors de ses consultations. 

C'est le cas de Sophie*. Lorsqu'elle arrive en consultation chez le Pr Daraï, Sophie attend ce rendez-vous depuis des mois. Elle est sous ménopause chimique pour traiter son endométriose, mais ce médicament entraîne une sécheresse vulvaire qui la fait saigner à la moindre pénétration. “Je voulais savoir si on pouvait me réparer au niveau vulvaire. J’attendais ce rendez-vous comme le Messie”, raconte-t-elle. 

En entrant dans le bureau du médecin, Sophie veut prendre le temps d'évoquer son dossier médical. Elle veut aussi lui parler d'une suture de la marge anale qui ne cicatrise pas, à cause de complications de son endométriose.

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“Je me débats, je pleure, je supplie”

Mais face au Pr Daraï, elle déchante. Il lui coupe la parole, lui explique qu’il veut voir lui-même ce qui se passe. “Je n’ai pas le temps de finir d’expliquer que ma vulve est très douloureuse et va saigner qu’il insère un spéculum à sec, se souvient Sophie. Je saigne. Il ne me regarde pas, je sens que ça le gonfle que je ne me laisse pas faire”. 

Après cet examen douloureux, le médecin veut procéder à un toucher rectal. Sophie refuse catégoriquement. Son opération de la marge anale est encore trop récente. Mais il ne l’écoute toujours pas et enfonce deux doigts dans son anus. 

J'ai eu plusieurs examens médicaux avec des touchers rectaux, rappelle Sophie, mais là je me débats dans les étriers, je pleure, je le supplie. Je sens les coutures de mon opération qui craquent ! Il me dit d’arrêter de me débattre, il s'emporte”. Le lendemain, Sophie se rend chez sa généraliste qui certifie qu’elle est en état de choc. 

“Il a été encore plus brutal”

Le récit de Sophie est loin d'être unique. Aurélie* a elle aussi très mal vécu une consultation avec le Pr Daraï. Dans son cabinet, le médecin procède à un toucher rectal sans demander son consentement. Il effectue ensuite un toucher vaginal qu'elle vit mal.

Il m’a répondu ‘mais non, un toucher vaginal ça ne fait pas mal’. Je lui ai rétorqué ‘Ah c’est sûr que vous devez en subir beaucoup vous’, et il a été encore plus brutal, comme pour me punir”, raconte Aurélie.

“Il continuait imperturbablement à dicter ses constatations”

Pour Elise*, une troisième patiente, l'examen gynécologique s'est également très mal passé. Elle explique au Pr Daraï qu’un précédent examen a permis de certifier l’absence d’endométriose au niveau du rectum. 

Mais ça ne semblait pas l’intéresser, il tenait à faire un toucher rectal, raconte cette patiente. Il m’a fait encore plus mal. Je criais, je pleurais, je gémissais sur la table d'examen mais ça ne l'a pas arrêté. Il continuait à dicter ses constatations à son dictaphone. J'avais mal et j'étais tellement choquée que j'étais incapable de réagir. J'avais l'impression qu'il remuait un couteau à l'intérieur de moi et que ma tête allait exploser de douleur.” 

Lors de cette consultation, le compagnon d'Elise* est présent. “Il a essayé de me dire qu'il était là mais je ne l'entendais pas vraiment, j'étais trop sous le choc, rapporte-t-elle. Il m'a dit a posteriori avoir été complètement déstabilisé par cette violence, il s'attendait à ce qu'on m'apporte des soins et de l'aide. Selon lui, tout s'est passé assez rapidement, mais j'avais l'impression que ça avait duré des siècles.

Plusieurs cas dévoilés

Marie-Rose Galès explique avoir reçu une centaine de témoignages, dont vingt qui pourraient relever de la justice pénale. Cette patiente experte de l’endométriose a été juriste. Elle cherche à rendre cette affaire publique depuis 2018. 

 “Cela fait trois ans que je hurle à la mort. Quand j’ai commencé à en parler, on m’a dit que ça durait depuis des années. Il est indéboulonnable", raconte-t-elle. Après avoir réuni ces témoignages, et avec l'aide des patientes, Marie-Rose Galès a tenté de saisir le médiateur de l’hôpital et l’Ordre des médecins. "Sur les trois courriers au médiateur, deux n'ont pas reçu de réponse et seul Daraï lui-même a répondu au dernier", ajoute-t-elle.

Des témoignages d'internes

En tant que chef du service gynécologie de l’hôpital Tenon, le Pr Daraï est souvent accompagné d’internes durant ses consultations. Mi-septembre, l’association Stop aux Violences Obstétricales et Gynécologiques (StopVOG) a publié des témoignages de ces anciens étudiants sur les réseaux sociaux.

Par la suite, FlushMag et FranceInfo ont publié des enquêtes sur le sujet, respectivement le 21 et le 23 septembre. Ces révélations ont poussé l'hôpital Tenon a ouvrir une enquête interne, le 23 septembre. L’association recherche toujours des témoignages, qu’ils proviennent d’internes ou de patientes.

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Un système qui préserve un agresseur

Si Marie-Rose Galès a réuni les premiers témoignages de patientes en 2017, pourquoi les autres médecins n’ont-ils pas réagi plus tôt ? A cause de la confraternité, selon Marie-Rose Galès. Ce principe de la déontologie médicale stipule que “les médecins se doivent assistance dans l'adversité”. Autrement dit, “si un médecin dénonce, c’est lui qui est suspendu, s’exclame Mme Galès. L’Ordre ne protège pas les bonnes personnes”.

Pour Sonia Bisch, fondatrice et porte-parole de StopVOG, ce principe empêche les médecins de dénoncer ceux qui ont de mauvaises pratiques dans leurs rangs. “Il faudrait que la médecine se désolidarise de ces gens au lieu de les protéger”, regrette Mme Bisch. 

Pour des internes dont la carrière dépend du chef de service hospitalier, parler à visage découvert demeure très difficile. “Il y a cette idée que, si on dit, on va se faire massacrer”, explique Marie-Rose Galès. 

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Le "spécialiste" de l'endométriose

Connu comme un spécialiste de l'endométriose, le Pr Daraï recevait des patientes qui attendaient beaucoup de sa consultation. Cette pathologie douloureuse est souvent accompagnée d’une longue errance médicale. En moyenne, une endométriose met dix ans avant d’être diagnostiquée.

Pour la plupart, ces patientes attendaient leur rendez-vous depuis longtemps, elles étaient persuadées de rencontrer leur sauveur. Alors elles sont tombées d'encore plus haut. Aujourd'hui, bon nombre d'entre elles souffrent d'un syndrome de stress post-traumatique", confie Marie-Rose Galès.

Une plainte en cours

Même si ces trois patientes ne sont pas encore décidées à porter plainte elles-mêmes, elles soutiennent la plainte de Marie-Rose Galès et de l'association StopVOG. “La logique serait d’aller jusqu’au pénal. La France est un pays de droit, nous avons confiance en la justice”, espère Sonia Bisch.

En sortant de sa consultation avec le Pr Daraï, Sophie* a hésité à se rendre à l'unité médico-légale pour porter plainte. "Finalement je n'y suis pas allée, je me suis dit qu'ils allaient me rire au nez et me dire que c'était un simple examen. Et je ne voulais plus que qui que ce soit me touche à cet endroit", se souvient-elle.

Cette patiente réfléchit encore à déposer plainte. “Mais je suis prête à témoigner pour les autres et je les soutiens absolument, précise-t-elle. Je fais ça pour les suivantes. Et si ça arrivait à ma fille, dans le futur ?

Selon FranceInfo, le Pr Daraï a fait savoir via l'AP-HP qu'il "conteste les faits dont on l’accuse et récuse des propos qu’il juge diffamatoires". Il a précisé qu'il "s’en remet à l’enquête interne". 

*Les prénoms ont été modifiés