Pourquoi les faits d'inceste restent-ils cachés aussi longtemps ?

Les récentes révélations sur les faits d’inceste reprochés au politologue Olivier Duhamel ont soulevé de nombreuses questions. Dont celle-ci : Pourquoi et comment de tels faits ont-ils pu rester cachés aussi longtemps? 

Myriam Attia
Myriam Attia
Rédigé le , mis à jour le
©Shutterstock
©Shutterstock

"Beaucoup savaient et la plupart ont fait comme si de rien n'était". C'est ainsi que Camille Kouchner décrit le tabou autour de l'inceste dont a été victime son frère jumeau.

Dans son ouvrage La Familia Grande elle révèle que pendant plus de deux ans, son beau-père Olivier Duhamel se serait invité dans la chambre de son beau-fils. Les faits remontent à la fin des années 1980. 

Pourtant, ce n'est qu'en ce début d'année 2021 que l'affaire devient publique, soit presque trente ans après. Pour Patricia Chalon, psychologue et rédactrice en chef de la revue Enfance Majuscule, plusieurs mécanismes expliquent l'omerta autour de l’inceste. 

A lire aussi : « Il faut dire qu'on ne touche pas à un enfant. Point, terminé ! »

Préserver l'image de la famille

Par peur de salir leur réputation, les membres de la famille décident souvent de taire ces violences. Regardez l’affaire Duhamel, sa femme savait mais elle n’a rien dit. Elle a choisi de défendre son mari, et donc, l’image de leur famille.”

Tout comme les violences faites aux femmes, l’inceste repose sur une logique d’emprise. Le parent incestueux rassure son enfant, lui assure que “tous les parents font ça”, qu’il ne faut pas en parler. Le parent utilise son statut de “protecteur” pour asseoir son emprise et protéger son secret. 

Si les faits d’inceste prennent du temps à se savoir, c’est aussi parce que ce n’est pas évident pour un enfant de comprendre qu’un de ses parents lui fait du mal. On continue à dire aux enfants que le danger se trouve dehors, qu’il ne faut pas parler aux inconnus, mais on ne les met pas en garde contre les risques qui viennent de l’intérieur”, déplore Patricia Chalon. 

A lire aussi : Où commence l'inceste ?

Mobiliser le système scolaire

Puisque les victimes ne sont pas en sécurité chez elles, il est nécessaire de pouvoir les aider à l'extérieur du foyer familial. Mais encore faut-il pouvoir les repérer. Dans son podcast Ou peut-être une nuit, la journaliste Charlotte Pudlowski pose un constat édifiant. “Sur une classe de trente, deux à trois enfants sont victimes d'inceste”, affirme la journaliste. 

A l’école, le sujet de l’inceste n’est pas (voire jamais) évoqué. “Il y a une croyance qui tend à dire que si l’on parle de ce sujet à des enfants qui ne sont pas concernés, ils vont être traumatisés. Alors, on n’en parle pas”, regrette Patricia Chalon. 

Or, c’est à l’école que les victimes peuvent trouver de l’aide. Parfois, lorsque la psychologue intervient dans des établissements pour parler de violences faites aux enfants, les langues se délient. Des élèves viennent la voir après le cours, pour se confier. 

Je pense que si les professeurs et les médecins, posaient la question des violences à leurs patients ou élèves, ils seraient atterrés par l’ampleur de ce problème”, affirme la psychologue qui souhaite que ces professionnels soient mieux formés à ces questions.

Une lente prise de conscience

Dans les années 1990 déjà, Patricia Chalon publiait un clip vidéo pour alerter sur l’inceste. “Ce qui me saute aux yeux c’est que malgré sa réalisation Has been ce clip est toujours d’actualité. On alerte sur ce sujet depuis plus de trente ans... ” 

Aujourd’hui, l’inceste est inscrit dans le code pénal comme circonstance aggravante du viol ou de l’agression sexuelle. Il ne constitue pas une infraction à lui tout seul. Pour parler d'inceste, il est donc nécessaire de prouver dans un premier temps qu'il y a eu viol ou agression sexuelle, une démonstration qui n'est toujours évidente faute de preuves. 

La zone grise autour du consentement

Un problème juridique cette fois-ci peut expliquer les blocages qui empêchent les victimes d'inceste d'être reconnues. A l'instar de Face à l’incestede nombreuses associations réclament que le consentement hypothétique de la victime ne soit jamais examiné. "Les lois sur les agressions sexuelles occultent un point crucial : celui de l'amnésie traumatique", rappelle Arnaud Gallais, président de l'association Enfant Présent. En effet, une victime peut avoir besoin de nombreuses années pour se souvenir de ce qu'elle a vécu. C'est pourquoi les activistes exigent que les crimes sexuels sur mineur(e)s soient imprescriptibles.

Malgré les nombreuses demandes des professionnels de protection de l’enfance, la loi peine à évoluer. En 2018, un projet de loi porté par Marlène Schiappa devait introduire la notion de présomption de non-consentement pour les victimes de moins de 15 ans.

Mais après avis du Conseil d'Etat, la loi n'a pas été adoptée en ces termes. Il est donc toujours nécessaire de prouver qu'un enfant de moins de 15 ans n’avait pas le discernement nécessaire pour comprendre ce qu’il subissait. Un frein juridique de plus pour les victimes.

Une lenteur administrative et juridique que regrette Patricia Chalon. Toutefois, la psychologue souligne un point positif: "les langues se délient, petit à petit les gens parlent! A nous à présent d'aider ces personnes."

A l'image du livre de Camille Kouchner, les récits de victimes d'agressions sexuelles se multiplient depuis plusieurs années. Une libération de la parole nécessaire qui témoigne de l'ampleur du problème dans nos sociétés. 

Inceste : quels sont les signaux qui peuvent alerter ?  —  Allodocteurs