Transparence-santé, un site pas si transparent

Cette base de données en libre accès recensant les liens d'intérêts entre entreprises et professionnels de santé a été lancée en juin 2014. Quel bilan peut-on en tirer trois ans plus tard ?

Rudy Bancquart
Rédigé le
Chronique de Rudy Bancquart du 5 décembre 2017
Chronique de Rudy Bancquart du 5 décembre 2017

En 2010, l'affaire du Mediator a jeté le discrédit sur les autorités sanitaires, les médecins et les laboratoires pharmaceutiques. Pour regagner la confiance des Français, le gouvernement de l'époque crée alors la première base de données publique Transparence santé. Il s'agit d'un site Internet sur lequel il est possible de vérifier les liens entre les médecins, les pharmaciens et les laboratoires pharmaceutiques.

Pour cela, il suffit d'entrer le nom d'un médecin pour savoir s'il a reçu un avantage de plus de 10 euros (repas, billets d'avion, nuits d'hôtel, inscriptions à des congrès) de la part d'un laboratoire. Et depuis 2017, apparaît aussi le montant des rémunérations et des conventions (essais cliniques, participation à un congrès) perçues par le médecin. Mais c'est au laboratoire de faire la déclaration.

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Un site au contenu douteux

Trois ans après son lancement, ce site Internet n'est pas vraiment convaincant. Ainsi, lorsque l'internaute entre le nom d'un médecin, ce dernier apparaît plusieurs fois avec des variantes selon la façon dont il a été déclaré par le laboratoire. Difficile donc de s'y retrouver. Par ailleurs, pendant longtemps, il était impératif d'entrer les noms des médecins un par un, ce qui n'était pas pratique pour recouper des informations ou réaliser des statistiques (290.000 médecins en France).

Les statistiques obtenues avec cette base de données permettent d'avoir une vue d'ensemble et par exemple, de comptabiliser les sommes versées par les laboratoires aux médecins ou aux associations de patients. Depuis 2015, le ministère de la Santé a mis à disposition un fichier "open data", autrement dit le site sous forme d'un document Excel. Il est donc désormais possible de faire des petits calculs. Depuis 2012, on estime que 619 millions d'euros ont été déclarés par les laboratoires pharmaceutiques et les fabricants de dispositifs médicaux. Les laboratoires les plus "généreux" ont été Novartis (34 millions d'euros), MSD (30 millions), AstraZeneca (20 millions), Roche (19 millions), Bayer (18 millions) et Sanofi (15 millions).

Un site truffé d'erreurs

Transparence santé est toutefois truffé d'erreurs comme l'a révélé le journal Le Monde. En mars 2014, le docteur Raymond Azar a ainsi participé au "Symposium Nephro Agora" à Paris. Selon la base de données, ce néphrologue aurait bénéficié d'un repas évalué à 8.406 euros. Joint par nos soins, ce dernier a nié l'existence de ce repas au prix astronomique. A priori, il s'agit donc d'une erreur. Le labo aurait déclaré les repas de 200 personnes sur un seul nom, celui du Dr Azar.

Depuis, l'erreur a été réparée mais le cas du Dr Azar est loin d'être isolé. Des repas à 8.000 euros, des frais de transports à plus de 9.000 euros sont légions mais aussi improbables ou alors cela cache autre chose. Cette base de données n'est donc pas très fiable.

Des failles à corriger

L'idée d'un contournement a germé au sein de Medtech, une organisation rassemblant des fabricants de matériels médicaux. Ils ont alors pris la décision de ne plus inviter de médecins à des congrès à partir du 1er janvier. Mais en réalité, ils vont réaliser à un tour de passe-passe. Ils vont rémunérer un tiers qui fera ces invitations. La société francophone du diabète recevra en mars 2018 de l'argent des laboratoires Roche et Aboot (fabricants de lecteurs de glycémie) pour inviter des médecins à leurs congrès. De ce fait, les noms des bénéficiaires n'apparaîtront plus sur le site.

Cette pratique est tout à fait légale. Des médecins peuvent également recevoir de l'argent des labos via les conventions. Cet argent ne va pas forcément dans la poche des médecins, parfois il profite aussi à l'hôpital.

Concernant l'éthique et la transparence, il y a donc de quoi être dubitatif. La base a été créée pour éviter de nouveaux scandales et redonner de la confiance, mais pour cela il faut jouer le jeu. Personne n'a intérêt à ce qu'un nouveau scandale éclate, ni les médecins, ni les labos. Il est donc primordial de ne pas fausser cette base en inscrivant n'importe quoi, ou pire en la contournant.