Handicap : le coup de gueule de François Ruffin était-il justifié ?

Le 11 octobre dernier, le député François Ruffin a dénoncé le rejet par la majorité d’une proposition de loi relative à l'inclusion des élèves en situation de handicap. LREM se défend en clamant que les dispositions du texte sont "inutiles". Mais qu’en est-il vraiment ?

Maud Le Rest
Rédigé le , mis à jour le
Le député FI François Ruffin
Le député FI François Ruffin  —  © Thierry80 sur Wikipédia

"Ce vote, j’en suis convaincu, vous collera à la peau comme une infamie", a asséné François Ruffin à la majorité parlementaire lors d’une séance à l’Assemblée nationale le 11 octobre dernier. Le député France insoumise (FI), qui défendait une proposition de loi relative à l'inclusion des élèves en situation de handicap portée par le Républicain Aurélien Pradié, fustigeait ainsi les députés La République en marche (LREM) pour avoir rejeté le texte sans participer aux échanges.

Une motion de rejet préalable a en effet été déposée par le député LREM Gilles Le Gendre et adoptée par 70 voix contre 54. Parmi ces 70 voix, 58 étaient issues de la majorité. Résultat : le texte ne sera pas examiné. Pour alerter l'opinion, François Ruffin a donc décidé de publier les noms de tous ces députés sur son site Internet.

Que contenait cette proposition de loi ?

Le texte porté par Aurélien Pradié (LR) prévoyait, entre autres, d’améliorer les conditions d'exercice des auxiliaires de vie scolaire (les AVS, des contrats aidés) et des accompagnants des élèves en situation de handicap (les AESH, des CDD), via un "unique statut d’aidant à l’inclusion scolaire". Les AVS et AESH auraient ainsi été "alignés sur le régime des agents contractuels de l’État", d’où une augmentation de leur rémunération. "Cela paraît indispensable quand nous savons qu’un travail à temps plein de près de 41 heures par semaine peut être payé 1.282 euros nets mensuels", estime Aurélien Pradié.

Le texte proposait par ailleurs de raccourcir "les délais dans lesquels les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) traitent les  demandes d’aide aux enfants en situation de handicap" de quatre à deux mois maximum. La proposition prévoyait également que la responsabilité de l’Etat soit engagée si aucune aide n’était apportée à un enfant handicapé qui en faisait la demande. Enfin, le texte visait à mieux former les accompagnants.

François Ruffin avait formulé huit amendements, la plupart acceptés par Aurélien Pradié. FI, comme "les communistes, les socialistes, les UDI et les Républicains" ont déposé "des tas d'amendements en commission" a affirmé Ruffin. "Les Marcheurs, eux, n’ont rien déposé, n’ont pas participé au débat et se sont bornés à tout rejeter en bloc" a-t-il précisé sur son site. Le rapporteur, Aurélien Pradié, a lui-même déploré l’abandon de la proposition, estimant que "personne ne peut décemment regarder dans les yeux ces familles, ces enfants, ces adolescents, ces accompagnants et leur dire que l’urgence est ailleurs".

Que dit LREM ?

Le coup de gueule de François Ruffin, fortement médiatisé, a fait réagir la majorité, dont le ministre de l’Education nationale, qui a refusé d’être "caricaturé comme quelqu’un qui ne voit pas les difficultés actuelles et les pistes d’amélioration". Selon Jean-Michel Blanquer en effet, le statut unique prôné par Aurélien Pradié est "très précisément la feuille de route" de la majorité.

La secrétaire d'Etat chargée des personnes handicapées, Sophie Cluzel, juge de son côté ce texte inutile. "Le statut, nous l'avons déjà. Cette proposition a été étudiée. Ne perdons pas de temps. Nous avons les lois qu'il nous faut, il faut les exécuter et les mettre en action", a-t-elle affirmé. Sophie Cluzel fait ici référence à un décret de 2014, qui indique que les AESH sont des agents contractuels de l’État recrutés par contrat de droit public et qu'ils doivent désormais remplacer les AVS.

Adrien Taquet, député LREM, est même allé plus loin : "Il ne faut pas plus de cinq minutes pour se rendre compte que cette proposition de loi est inutile, quand elle n’est pas dangereuse", a-t-il affirmé dans une tribune publiée dans le JDD. Selon lui en effet, "un délai de deux mois pour une notification d’un accompagnant aura pour effet immédiat de paralyser un système déjà grippé". En outre, il estime que "parler de « parcours inclusif spécialisé »", comme c’est le cas dans la proposition, va "à l’inverse du projet collectif de bâtir une société plus inclusive où cessent les discriminations".

Que disent les accompagnants ?

Sur Twitter, le "Collectif AESH-AVS unis pour un vrai métier" salue la prise de position de François Ruffin. Si l’organisation estime, comme le député, que le texte n’est pas parfait, elle regrette qu’aucun échange ne soit possible sur la situation des accompagnants et dénonce une "grande mascarade" de la part du gouvernement. "Nous le constatons tous les jours sur le terrain : des collègues sans salaire, des élèves en situation de handicap sans AESH, des accompagnants non formés ou très insuffisamment, des contrats précaires", ajoute l’association. Dans un autre tweet, le collectif va même plus loin et dénonce "la volonté du gouvernement de dissimuler les conditions de travail des AESH et le manque de prise en charge des élèves en situation de handicap".

"On s’est sentis humiliés, méprisés", confie le collectif à Allodocteurs.fr. Celui-ci dénonce notamment les propos de Jean-Michel Blanquer, qui définit les AESH comme des "contrats robustes" rémunérés 1.350 euros par mois. "Il se base sur des temps plein. Or, en réalité, on a des temps partiels imposés. Nous travaillons 20 à 24 heures par semaine et gagnons entre 700 et 750 euros par mois", explique l'association.

Quant au statut unique, même s'il reconnaît qu’il est en discussion, le collectif dit "ne rien voir venir". "On parle aussi d’augmentation du nombre de postes, mais sans jamais évoquer le manque de formation. Aucune formation supplémentaire n’est proposée", ajoute-t-il.

"Le gouvernement s’obstine à maintenir [les accompagnants] dans la précarité, avec des salaires indignes et des formations insuffisantes ne leur donnant pas les moyens nécessaires pour accompagner les élèves aussi bien qu’ils le souhaiteraient", conclut le "Collectif AESH en action".

Et l’APF ?

Du côté de l’Association des paralysés de France (APF), les avis sont plus partagés. Bénédicte Kail, Conseillère nationale éducation familles à l’APF, évoque une proposition de loi "maladroite" et "élaborée sans concertation avec les associations". Tout comme Adrien Taquet, elle estime notamment que le terme de "parcours inclusif spécialisé" est "contraire à l’idée que l’APF se fait de l’école inclusive". Elle reconnaît néanmoins que le débat sur cette proposition était indispensable. En outre, même si elle confirme que les AESH sont censés devenir, à terme, le statut unique, elle regrette la lenteur de l’exécutif. "Actuellement, il y a encore 30.000 contrats aidés", déclare-t-elle à Allodocteurs.fr. "Cette situation n’est pas tenable", conclut-elle.