Pesticides : « Le gouvernement est prêt à protéger les firmes »

Paul François, qui a fait condamner Monsanto en 2015, craint que la proposition de loi créant un fonds d'indemnisation pour les victimes de pesticides ne soit jamais votée.

Maud Le Rest
Rédigé le , mis à jour le
Les agriculteurs français pourront écouler leurs stocks de Basta F1 jusqu'en juillet 2018.
Les agriculteurs français pourront écouler leurs stocks de Basta F1 jusqu'en juillet 2018.  —  Photo © Sauletas - Fotolia

"La consigne du gouvernement envers les députés est de voter contre cette proposition de loi, on n’est pas dupes." Paul François est en colère. Avec son association Phyto-victimes, il réclame la création d’un fonds d’indemnisation pour les victimes des produits phyto-sanitaires. Le Sénat a accepté l’idée en février dernier, votant une proposition de loi portée par Nicole Bonnefoy. Après de longs mois, le texte passera finalement devant l’Assemblée nationale fin mai. Mais pour Paul François, il y a peu de chances qu’il soit adopté. Mardi 15 mai, son association a tenu une conférence de presse pour interpeller le gouvernement.

Paul François est la seule personne à ce jour à avoir fait condamner Monsanto. Il était l'invité du Magazine de la Santé le 24 février 2012.

"Un déni scientifique"

Lors d'une conférence de presse qui s'est tenue mardi 15 mai, l'association Phyto-victimes a dénoncé en particulier l’opposition d'Agnès Buzyn. La ministre de la Santé avait affirmé, lors d’une audition au Sénat, que les connaissances sur les liens entre les pesticides et les maladies du travail sont "insuffisantes". Une prise de position incompréhensible pour Paul François : "Ce n’est pas normal qu’une ministre de la Santé tienne de tels propos en 2018. C’est scandaleux, c’est un déni scientifique."

En 2012, l’Inserm a en effet publié une méta-analyse évoquant un lien entre pesticides et maladies professionnelles. "Il semble exister une association positive entre exposition professionnelle à des pesticides et certaines pathologies chez l’adulte : la maladie de Parkinson, le cancer de la prostate et certains cancers hématopoïétiques (lymphome non hodgkinien, myélomes multiples)", note l’Inserm. Qui indique en outre que "les expositions aux pesticides intervenant au cours de la période prénatale et périnatale ainsi que la petite enfance semblent être particulièrement à risque pour le développement de l’enfant".

Mais ces études ne semblent pas convaincre les ministres, qui avancent par ailleurs que le coût d’un fonds d’indemnisation serait trop élevé. Absurde, pour Paul François : "Le fonds prévu par la proposition de loi serait financé par une taxe sur les produits phyto-pharmaceutiques, il n’est pas question d’argent public. Cet argument n’est pas recevable", résume-t-il. Pour cet ancien céréalier, cette opposition systématique ne fait aucun mystère : "Le gouvernement est prêt à protéger les firmes. Car si, pour la première fois, un fonds d’indemnisation pour les victimes des produits phyto-pharmaceutiques est mis en place, on reconnaîtra la dangerosité de ces produits."

Les Inspections des Finances, des Affaires sociales et le Conseil général de l'agriculture vont dans le sens de Phyto-victimes

A ce jour néanmoins, le gouvernement se dit favorable à un élargissement du tableau des maladies professionnelles, à un meilleur financement de la recherche et à une amélioration de l'indemnisation. "Ces propositions, bien qu'indispensables, ne sont pas suffisantes", estime Phyto-victimes. "Nous constatons qu’aujourd’hui, les agriculteurs dont on reconnaît les maladies professionnelles ont des indemnisations très, très faibles", explique Paul François. Des montants en tout cas insuffisants pour couvrir des frais de justice : "Un agriculteur est souvent seul sur son exploitation. Quand il tombe malade, l’exploitation s’arrête, et sa famille est ruinée." La reconnaissance de nouvelles maladies professionnelles prendrait par ailleurs des années, et ne permettrait pas forcément une meilleure indemnisation.

Trois inspections d'Etat (Finances, Affaires sociales, Conseil général de l'agriculture – CGAAER) vont dans le sens de Phyto-victimes, fait valoir Paul François. Elles affirment en effet qu’un fonds sur le modèle du Fiva (Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante) est nécessaire. En ce sens, elles jugent la proposition de loi de Nicole Bonnefoy "recevable". Dans un rapport commun, ces inspections estiment qu’il pourrait être financé par une hausse de la taxe sur les produits phytopharmaceutiques. Mais la parution de ces rapports a elle-même été bloquée en interne, explique Paul François : "Ils devaient initialement sortir en octobre. On sait que c’est brûlant, et qu’on va mettre le problème au grand jour." Les députés devraient se prononcer la semaine prochaine.

Paul François, céréalier charentais, a été intoxiqué à l’herbicide Lasso en 2004. Pendant 12 ans, il a mené un combat sans relâche contre Monsanto, avant que la justice ne lui donne raison en appel, en 2015, évoquant un "défaut d’étiquetage". Il est la seule personne, à ce jour, à avoir fait condamner le géant des pesticides. Son procès sera bientôt renvoyé en cassation, et une décision est attendue pour la fin de l’année 2018. Aujourd’hui encore, Paul François est hospitalisé régulièrement.

Le réalisateur Pierre Pézerat a retracé son combat dans le documentaire Les Sentinelles, sorti il y a quelques mois.