Mediator : Irène Frachon témoigne à la barre

La pneumologue du CHU de Brest a raconté pendant plus de 7 heures comment elle avait mis au jour les risques mortels provoqués par ce médicament des Laboratoires Servier.

La rédaction d'Allo Docteurs
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Il a fallu attendre la 4ème semaine du procès du Mediator pour que tribunal recueille, hier, le témoignage du Dr Irène Frachon. L’émotion était grande dans la salle au moment où cette dernière est entrée avec sa valise pleine de documents. Une salle où il ne restait plus une seule place libre. En particulier sur les bancs réservés aux très nombreuses victimes du Mediator qui se sont portées parties civiles dans ce procès pénal.

Chacune voulait entendre le témoignage de celle qui a révélé la dangerosité de ce médicament., comme l’a très bien traduit un de leurs avocats, Maître Jean-Christophe Coubris : « sur une très longue audience de 6 mois, l’intervention du Dr Frachon est un des moments les plus importants… Il faut bien comprendre que sans le Dr Frachon il n’y aurait sans doute pas eu de procès et le Mediator serait encore commercialisé. »

Atteinte des vaisseaux reliant le cœur au cerveau

Hier, le Dr Irène Frachon a presque tout raconté. Comme ce jour de février 2007 où elle a accueilli Joëlle dans son service de pneumologie du CHU de Brest. Joëlle souffrait d’une maladie très grave au nom un peu barbare : l’HTAP, hypertension artérielle pulmonaire.

C’était justement la spécialité du Dr Frachon. Elle a expliqué, en la mimant, cette atteinte des vaisseaux reliant le cœur aux poumons. Avec des termes simples : nous sommes ici au cœur de la « station service » de l’organisme, sa source d’oxygène. L’atteinte de cette « station service » peut-être mortelle. 

Le Dr Frachon a fait un récit glaçant des conditions dans lesquelles les victimes décèdent si une prise en charge très précise n’est pas faite en urgence : le cœur n’arrive plus à envoyer le sang dans les poumons et assez  brutalement, les personnes s’étouffent, elles crachent une sorte de mousse.

Exactement les circonstances du décès de Pascale Sarroléa qui est morte dans les bras de sa fille Lisa le 8 mars 2004. Lisa et sa famille sont à l’origine d’une des premières plaintes pour homicide involontaire qui a ouvert ce procès pénal. Elle était là hier et a été très émue par le récit du Dr Frachon.  Pascale est décédée car les pompiers n’ont pas eu le temps de faire le diagnostic d’HTAP et la famille a passé des années sans connaître ce diagnostic, ni son lien avec le Mediator.

Irène Frachon, la première à faire le lien avec le Mediator

Le Dr Frachon est la première à avoir fait le lien entre cette maladie et le Mediator. Dans la liste des traitements de Joëlle, accueillie en février 2007, il y a le Mediator. Et cela a fait « tiquer » le Dr Frachon selon ses propres termes, parce qu’elle s’est rappelée de ses années d’internat… Dans les années 1990 quand elle arrive pour se former avec une équipe spécialiste de l’HTAP à l’hôpital Antoine Béclère près de Paris. Le service accueille alors de plus en plus de femmes jeunes gravement atteintes.

Et l’équipe explique à la jeune interne qu’ils soupçonnent un médicament coupe-faim des Laboratoires Servier, l’Isoméride. Les patientes en prenaient pour maigrir après une grossesse, ou pour rentrer dans leur robe de mariée, raconte le Dr Frachon qui n’a rien oublié des drames dont elle a été le témoin à cette époque. Car sans greffe, les patientes décédaient en deux ans… Les soupçons envers l’Isoméride viennent de sa nature chimique proche de l’amphétamine dont les risques sont connus. Il faudra des études internationales pour confirmer sa culpabilité en 1997 : ce médicament et tous ceux de sa famille sont alors interdits.

Mais le Mediator n’est pas touché par cette interdiction car selon son acte de naissance, son AMM, c’est un anti-diabétique et non un coupe-faim. Faire le lien entre la molécule du Mediator et l’Isoméride ce sera le cœur de l’enquête du Dr Frachon. Elle reçoit l’aide du Dr Jobic, un de ses collègues cardiologues au CHU de Brest,  pour y parvenir.

Faire le lien avec l'Isoméride

C’est lui qui permettra de faire le lien « clinique » entre les deux médicaments. Car en faisant l’échographie d’une patiente gravement essoufflée, il découvre que le Mediator provoque aussi des dégâts au niveau des valves cardiaques… Comme l’Isoméride. Des dégâts qui peuvent entraîner le remplacement des valves par une chirurgie à cœur ouvert.

Alors pendant son enquête, le Dr Frachon est souvent allée au bloc opératoire pour voir photographier les dégradations provoquées par les valves… Ces photos, elle les a montrées au procès ainsi que celle du cœur entier de Marie-Claude après son autopsie.

Une enquête méthodique

Il a fallu un peu plus de deux ans pour que cette enquête méthodique conduise au retrait du Mediator. Avec d’autres moments glaçants pour des raisons différentes au fil du témoignage du Dr Frachon. Quand elle essaie d’alerter l’agence du médicament de l’époque, l’AFSSAPS, au début de l’année 2009 par exemple.

Selon ses termes, elle se fait « tacler »… Elle a la sensation d’avoir en face d’elle un bloc uni où il est impossible de discerner les experts de l’agence… des experts des Laboratoires Servier. Ce n’est qu’en novembre que le retrait sera finalement décidé. Notamment grâce à la réalisation d’une étude en urgence à partir des dossiers de Brest.

Le Dr Irène Frachon ne s’arrête pas là

Quand elle a découvert que les patients qui avaient pris du Mediator ne recevaient aucune information des autorités sanitaires elle a décidé de prendre le relais en écrivant un livre. Ce livre. Pour les alerter. Mais il fait tout de suite l’objet  d’une censure obtenue par les Laboratoires Servier contre ce sous-titre : « Combien de morts ».

Mais elle a résisté à tous ceux qui essayaient de la décourager pour soutenir les victimes. Car ensuite, les demandes d’indemnisation réalisées par les victimes se sont confrontées à une forte résistance des Laboratoires Servier. C’est d’ailleurs ce qu’a vécu Micheline. Elle a découvert que ses valves étaient abîmées par le Mediator en 2010. Au point de devoir les remplacer en 2015, en pleine procédure… et avec le soutien d’Irène Frachon.

Micheline : «  J’ai été opérée le 30 juin 2015 et Mme Frachon a assisté à mon opération parce que les Laboratoires Servier ou en tout cas les experts, doutaient de ma valvulopathie par rapport au Mediator. Donc elle a fait analysé mes valves à l’Hôpital Européen Georges Pompidou. Mais elle s’est battue ! Enormément ! Je la défendrai toujours parce que c’est mon sauveur ! C’est quelqu’un de formidable ! »

Des victimes présentes mais très affaiblies

Micheline était trop fatiguée hier pour tenir jusqu’à la fin de l’audience… mais d’autres victimes étaient encore là lorsqu’Irène Frachon est sortie. Il y a eu de chaleureuses embrassades… Cela permettait, si besoin de comprendre encore mieux les paroles de la pneumologue devant le tribunal. Elle a tenu à rappeler à quel point ils étaient tous inconsolables, en deuil des victimes décédées et incapables d’oublier les épreuves vécues quotidiennement par les survivants.