IgNobel 2016 : et le grand gagnant est...

Les talents d’un chercheur peuvent s’exercer sur des sujets graves et importants... mais pas seulement. Depuis 1991, un prix humoristique est décerné chaque année aux Etats-Unis aux auteurs des recherches les plus surprenantes, celles qui font "d’abord rire, puis réfléchir". La 26ème édition de ces ig-Nobel (jeu de mot entre Nobel et ignoble) avait lieu ce 22 septembre à l'université de Harvard.

Florian Gouthière
Rédigé le , mis à jour le
IgNobel 2016 : et le grand gagnant est...

En 1955, en Israel, le physicien Harry Lipkin et l’éditeur Alexander Kohn lancent le premier numéro du Journal of Irreproducible Results (le "journal des résultats irreproductibles"), revue humoristique "pour scientifiques". Entre deux dessins satiriques et articles dénonçant le manque de rigueur de certains chercheurs, les contributeurs du journal commentaient les publications savantes les plus surprenantes portées à leur connaissance.

Ce n’est qu’en 1991 que le rédacteur en chef Marc Abrahams décide de distinguer par un prix spécial la crème des recherches scientifiques "qui ne peuvent pas, ou ne devraient pas, être reproduites". Ce sont les "IgNobel" (calembour mêlant Nobel et ignoble). Le succès médiatique de l’initiative est tel qu’en 1995, Marc Abrahams crée la revue Annals of Improbable Research, exclusivement dédiée aux recherches surprenantes ou absurdes.

Les IgNobel ne récompensent plus seulement les recherches douteuses, mais aussi et surtout celles dont les énoncés font "d’abord rire, puis réfléchir". Comment ne pas s’étonner qu’une équipe de scientifiques ait publié un compte-rendu sur l’efficacité des cataplasmes en poitrine de porc pour arrêter les saignements de nez [1] ? Ou sur l’aptitude des chimpanzés à reconnaître des congénères en regardant des photographies de leurs postérieurs[2] ?

Tous les IgNobel ne sont pas décernés à des travaux d’une rigueur scientifique à toute épreuve. En 2014, des chercheurs ayant prétendu démontrer que les chiens préféraient "aligner leur corps selon un axe Nord-Sud" pour faire leurs besoins ne résiste pas longtemps à une analyse statistique critique… Mais le principal critère d’élection à un IgNobel reste la dimension insolite des postulats de recherche. Comment diable ces biologistes en sont-ils venus à se poser une telle question ?

Certains IgNobel semblent parfois attribués sur la foi d'un simple communiqué de presse amusant, et non après l'attentive lecture de l'étude scientifique. L'an passé, un prix de chimie avait été attribué à un procédé permettant "de faire rapidement dé-bouillir un œuf dur"... Cette promesse n'était pourtant pas celle des chercheurs, mais celle d'un service de presse un peu trop imaginatif. À noter qu'une vraie méthode pour faire "dé-bouillir les œufs" avait été décrite plusieurs années auparavant par le chimiste français Hervé This (célèbre auprès des amateurs de "cuisine moléculaire"), sans susciter le moindre intérêt de la part du comité IgNobel.

Des prix satiriques émaillent également les cérémonies. En 2014, le gouvernement italien a ainsi remporté l'Anti-Nobel d'économie pour "avoir fièrement rempli le mandat de l'Union européenne, faisant en sorte que chaque pays augmente la taille officielle de son économie nationale en incluant les revenus de la prostitution, des ventes illégales de drogue, de la contrebande et autres transactions financières illégales". Étonnamment, aucun représentant du gouvernement italien n’est venu retirer son prix.

Sans plus attendre, nous vous dévoilons le palmarès 2016 !


[1] Prix IgNobel de médecine 2014.
[2] Prix IgNobel d’anatomie 2012.

Les prix ne sont pas nécessairement décernés à des recherches publiées dans l’année, mais bien souvent à des pépites exhumées par les rédacteurs des Annals of Improbable Research dans les archives de publications scientifiques plus ou moins célèbres (souvent moins que plus !).

Et les grands gagnants de l’édition 2016 sont…

Cette année encore, de nombreuses découvertes médicales ont été primées. Ainsi, le "prestigieux" prix de Médecine a été attribué à des chercheurs allemands, pour avoir découvert en 2013 que "si quelque chose vous démange d’un côté de votre corps, vous pouvez soulager cette sensation en regardant dans un miroir et en vous grattant… le côté opposé.

  • "Itch Relief by Mirror Scratching. A Psychophysical Study," Christoph Helmchen, Carina Palzer, Thomas F. Münte, Silke Anders, Andreas Sprenger. PLoS ONE, déc. 2013, e82756.

Un "prix IgNobel de Reproduction" a été décerné à titre posthume à l’égyptien Ahmed Shafik, pour avoir étudié les effets de différentes matières textiles sur la qualité des rapports sexuels des humains (1992) et des rats (1993).

  • "Effect of Different Types of Textiles on Sexual Activity. Experimental study," Ahmed Shafik, European Urology, vol. 24, no. 3, 1993, pp. 375-80.
  • "Contraceptive Efficacy of Polyester-Induced Azoospermia in Normal Men," Ahmed Shafik, Contraception, vol. 45, 1992, pp. 439-451.

Deux chercheurs japonais ont remporté le prix IgNobel de "perception", pour avoir exploré une potentielle illusion d’optique – à savoir si les tailles et les distances perçues d’un objet varient si on se baisse et qu’on les regarde entre ses jambes.

  • "Perceived size and Perceived Distance of Targets Viewed From Between the Legs: Evidence for Proprioceptive Theory," Atsuki Higashiyama & Kohei Adachi, Vision Research, vol. 46, no. 23, nov. 2006.

L’IgNobel de biologie est cette année revenue à deux personnalités britanniques, Charles Foster et Thomas Thaites. Le premier a passé plusieurs mois de sa vie dans la nature à vivre "comme des animaux" (blaireau, loutre, renard, oiseau) ; le second a créé des prothèses lui permettant de se mouvoir "à la manière des chèvres", afin de passer du temps avec ces bêtes.

  • GoatMan; How I Took a Holiday from Being Human, Thomas Thwaites, Princeton Architectural Press, 2016, ISBN 978-1616894054.
  • Being a Beast, Charles Foster, Profile Books, 2016, ISBN 978-1781255346.

L’IgNobel de physique a été attribué à une équipe européenne pour deux découvertes : d’une part, que le pelage des chevaux blancs leur permettait de repousser plus efficacement les mouches ; d’autre part, que certaines tombes noires, dans les cimetières, attiraient inexorablement les libellules.

  • "An Unexpected Advantage of Whiteness in Horses: The Most Horsefly-Proof Horse Has a Depolarizing White Coat," Gábor Horváth et al. Proceedings of the Royal Society B, vol. 277 no. 1688, pp. June 2010, pp. 1643-1650.
  • "Ecological Traps for Dragonflies in a Cemetery: The Attraction of Sympetrum species (Odonata: Libellulidae) by Horizontally Polarizing Black Grave-Stones," Gábor Horváth et al. Freshwater Biology, vol. 52, vol. 9, September 2007

L’entreprise Volkswagen a gagné haut la main le prix IgNobel de chimie, "pour avoir résolu le problème des émissions polluantes excessives des automobiles en produisant automatiquement, et éléctro-mécaniquement, moins d’émissions lorsque les voitures sont testées". Oui, certains "prix" sont très, très ironiques…

  • "EPA, California Notify Volkswagen of Clean Air Act Violations", communiqué de l'U.S. Environmental Protection Agency, 18 sept. 2015.

Une équipe internationale a décroché le prix de psychologie pour avoir demandé à un millier de menteurs s’ils mentaient souvent, et pour avoir chercher à évaluer si ces réponses étaient ou non des mensonges.

  • "From Junior to Senior Pinocchio: A Cross-Sectional Lifespan Investigation of Deception," Evelyne Debey et al. Acta Psychologica, vol. 160, 2015, pp. 58-68.

Comme chaque année, les sciences humaines n’ont pas été oubliées. Trois néo-zélandais ont reçu le prix IgNobel d’économie pour avoir évalué quelle "personnalité" était attribuée par l’homme à différents types de cailloux, dans une perspective de commercialiser lesdits cailloux.

  • "The Brand Personality of Rocks: A Critical Evaluation of a Brand Personality Scale," Mark Avis, Sarah Forbes, Shelagh Ferguson, Marketing Theory, vol. 14, no. 4, 2014, pp. 451-475.

La littérature a été honorée en la personne de Fredrik Sjöberg, auteur suédois d’une autobiographie en trois volumes sur les plaisirs de collecter les mouches mortes, et les mouches pas encore tout-à-fait mortes.

  • "En Flugsamlares Vag" F. Sjöberg

L’IgNobel de la paix a été décerné à des chercheurs nord-américains pour avoir conduit, dans le cadre de leurs études, une étude sur la réception et la détection de foutaises apparemment profondes. L’article qui leur vaut cette distinction mérite réellement le détour. Publié dans la revue Judgment and Decision Making fin 2015, il détaille pourquoi il est si facile d’attribuer du sens à des phrases parfaitement creuses, ou par des discours confits de termes vagues, incompréhensibles ou utilisés hors contexte. Un document intelligent, à lire par quiconque souhaite éveiller et entraîner son esprit critique, qui a fait l’objet d'une édition française en juin 2016 (aux éditions Zones Sensibles).

  • "On the Reception and Detection of Pseudo-Profound Bullshit," Gordon Pennycook, James Allan Cheyne, Nathaniel Barr, Derek J. Koehler, et Jonathan A. Fugelsang, Judgment and Decision Making, Vol. 10, No. 6, nov. 2015, pp. 549–563.

L'intégralité de la cérémonie peut être retrouvée ci-dessous :

Palmarès des années précédentes :