Mort de Naomi Musenga : retour sur le dernier appel de la jeune femme

Patrick Pelloux, président de l’Association des médecins urgentiste de France (Amuf) réagit à la révélation des enregistrements de l’échange entre Naomi Musenga et les opératrices du Samu.

La rédaction d'Allo Docteurs
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Naomi Musenga est décédée le 29 décembre 2017 après avoir appelé le Samu pour de violentes douleurs abdominales.  Au standard, elle explique qu’elle "va mourir". Mais l’opératrice ne la prend pas au sérieux, et lui conseille de contacter elle-même SOS Médecins. Naomi réussira à joindre les urgences au bout de cinq heures. Elle est morte quelques heures plus tard au CHU de Strasbourg, des suites d’une "défaillance multiviscérale sur choc hémorragique". Le Docteur Patrick Pelloux répond aux questions du Magazine de la santé.

Les révélations de ces derniers jours à propos du décès de Naomi Musenga ont soulevé une indignation générale. Quel est votre premier sentiment ?

La compassion avec la famille de Naomi et une profonde tristesse comme à chaque fois que le système de santé ne fonctionne pas. Nous sommes tous faillibles car c’est le propre de la médecine mais les grosses fautes comme celle-là doivent être condamnées et entraîner des mesures pour les éviter.

Ecoutons l’enregistrement de l’échange téléphonique entre Naomi Musenga et l’opératrice du Samu.

Que se passe-t-il au juste dans ce que nous venons d’entendre ?

Tout le monde peut téléphoner aux pompiers en faisant le 18 et au SAMU en faisant le 15. Actuellement, ce sont deux régulations différentes. Dans ce cas, la femme sapeur-pompier passe l’appel au Samu estimant que ce n’est pas un secours à personne qui nécessiterait l’envoi des sapeurs-pompiers. De fait, ce passage en procédure dite « verte » est une orientation pour dire que ce n’est pas du ressort des pompiers mais ça ne veut pas dire que ce n’est pas urgent. Mais, en quelque sorte, c’est un piège ! Car elle oriente l’avis de la permanencière du Samu. Elles se redonnent les informations car il n’y a pas d’interconnexion entre les deux systèmes pompiers et Samu. Ceci se passe par téléphone car les systèmes informatiques ne sont pas compatibles. On sent qu’elles ne parlent pas des problèmes de la malade mais qu’elles jugent la patiente.

Quelles sont les conditions de travail dans ces permanences du Samu ?

Il faut se replacer dans le contexte d’une activité chargée car c’était l’époque de la grippe. L’augmentation d’activité et le stress cumulés à la fatigue sont les talons d’Achille du système. La banalisation de multitude d’appels que l’ont croit tous semblables les uns aux autres et qui en fait sont tous différents, tous singuliers avec un masque immense sur le malade qu’est celui du téléphone. Les personnels ne voient rien de l’état du patient ils ne font qu’écouter pour entendre… Mais ici ça n’est pas le cas. Les permanencières n’entendent pas la plainte de la malade. Le système n’entend pas la malade.

Ecoutons la suite de l’enregistrement de l’échange téléphonique entre Naomi Musenga et l’opératrice du Samu.

Comment interprétez-vous le discours de la malade ?

La malade demande de l’aide. Il y a des gémissements, une plainte mal systématisée. Notons qu’elle a téléphoné avant à la police et aux pompiers qui repassent l’appel au Samu. Ses plaintes doivent alerter sur des urgences graves comme la grossesse extra-utérine, la torsion des annexes, la rupture de gros vaisseaux, les syndromes occlusifs, un choc sceptique qui sont des urgences vitales… La patiente supplie pour avoir de l’aide et elle le fait avec détermination et elle fera ce que la personne du Samu va lui dire puisque c’est elle-même qui va téléphoner à SOS médecins alors que la personne du Samu aurait pu le faire directement.

Quel est votre avis sur la réponse apportée par l’assistante de régulation ?

La réponse est totalement inadaptée. Le discours de la permanencière est typique de la personne qui est en « burn-out » ou qui n’arrive plus à faire son travail, ce qui ne l’excuse pas, avec une banalisation de l’urgence, ce qui est une faute. Elle fait une faute car elle ne passe pas l’appel au médecin et oriente d’elle-même sur un autre standard de réponse à la permanence des soins SOS médecins qui quelques heures après alertera le Samu. Il y a une perte de temps très grave. C’est un métier terriblement compliqué que celui de permanencier et c’est l’enquête qui va déterminer les responsabilités de chacune et chacun. La médecine d’urgence est la plus compliquée car il faut penser à tous les drames et les éliminer les uns après les autres. Elle doit faire face à toutes les demandes tout le temps.

Qui sont ces régulateurs ? Quelle formation ont-ils ?

Le régulateur, c’est le médecin urgentiste, c’est lui qui va coordonner la réponse. C’est le seul responsable du centre d’appel. La jeune femme qui a répondu à cette patiente est une permanencière. Les permanenciers n’ont pas de formation nationale, ce sont des formations locales, régionales. Ils ont des parcours très divers. Certains viennent du monde médical, ils ont été aides-soignants, agents hospitaliers, infirmiers et certains viennent du parcours administratif. La durée de formation est très aléatoire.

Quelles conséquences tirer de ce drame et est-il possible d’empêcher que cela se reproduise ?

Il faut améliorer la formation des personnels et faire en sorte qu’ils soient en nombre suffisant afin de répondre correctement aux demandes des usagers et des malades. Revoir leur mode de travail pour ne pas qu’ils soient saturés et trop fatigués afin d’être toujours disponibles aux demandes.

Mais vous savez, en médecine d’urgence, après des heures de travail, tous les personnels, tous les urgentistes même moi, nous devenons fatigués, irritables, saturés par les appels ce qui signifie qu’on doit revoir les critères de qualité de réponse aux secours. Il existe une pénibilité du métier qu’il faut prendre en compte afin de toujours avoir la meilleure réponse.