Covid : les prisons dans l’attente de directives nationales

Si les masques sont obligatoires dans la majorité des lieux clos, il y en a un qui échappe à cette règle. En effet, en prison, le port du masque par les détenus n’est pas obligatoire. Alors comment les prisons limitent-elles la propagation du virus ?

Myriam Attia
Myriam Attia
Rédigé le , mis à jour le
Selon le document, 80 à 90% des 74 détenus qui s'y trouvaient au 30 mars 2015 "relèveraient de l'hôpital psychiatrique" s'ils étaient libres.
Selon le document, 80 à 90% des 74 détenus qui s'y trouvaient au 30 mars 2015 "relèveraient de l'hôpital psychiatrique" s'ils étaient libres.

C’est marrant parce que, aujourd’hui, on peut vous envoyer en prison pour non-port du masque. Alors qu’en prison, vous n’en aurez pas”, ironise Me Sébastien Delorge, avocat au barreau de Toulouse.

Malgré la surpopulation très fréquente, en particulier dans les maisons d'arrêt, aucune règle générale, sauf lors des parloirs, n'a été édictée par l'administration pénitentiaire pour régir le port du masque en détention. 

Le 4 septembre dernier, la maison d’arrêt de Seysses (Haute-Garonne) a été sommée par le tribunal administratif de Toulouse de fournir des masques dans tous les lieux clos et partagés, c'est-à-dire dans les salles d'attente, ainsi que sur tous les postes de travail. 

Une alerte lancée par des détenus

Cette décision de justice intervient après une requête déposée le 31 août par quatre avocats toulousains. Ces derniers avaient été notifiés de la situation sanitaire par des détenus qui disaient ne pas avoir de masques. 

Nos clients nous ont alertés de l’absence de masque dans la maison d’arrêt. Ils en ont pour les contacts avec l’extérieur mais pas pour les autres moments : couloirs, activités, promenades…Des moments où il peut y avoir une grande promiscuité”, explique Me Sébastien Delorge, avocat à l’origine de la requête. 

Dans sa décision, le juge des référés déplore “l’absence de masque dans les zones d’attente, les postes de travail et d’activité, les bâtiments socio-éducatifs, les salles de visioconférence, et les cours de promenade”.

Il s’agit de la première décision de justice concernant les prisons depuis le début de la crise de covid-19 en France. Mais entre-temps, ces établissements n’ont pas été épargnés par la crise sanitaire.

Plusieurs cas de covid-19 confirmés ...

En effet, depuis quelques semaines, plusieurs cas de covid-19 ont été recensés dans les prisons françaises : Fin août, onze détenus et neuf membres du personnel ont été testés positifs à la prison de Baie-Mahault (Guadeloupe). Quelques jours plus tard, ce sont six cas positifs qui sont confirmés à la prison de Gradignan (Gironde), ou encore quarante-neuf cas parmi les agents de la prison de Bourg-en-Bresse (Ain).

Malgré ces cas, les 187 établissements pénitentiaires français ne font pas l’objet des mêmes restrictions sanitaire que le reste du pays. 

… mais pas encore de directives nationales 

Si le personnel pénitentiaire est dans l’obligation de porter un masque, pour les détenus c’est différent. En effet, le règlement intérieur des prisons interdit aux détenus de dissimuler leur visage. Ils doivent être identifiables par les surveillants. Le port du masque pose donc problème. 

Pour l’instant, le masque est obligatoire pour les détenus uniquement lorsqu’ils sont en contact avec l'extérieur (parloirs, extraction etc..). Pour le reste, les règles sont différentes selon les établissements. 

Il faut un port du masque obligatoire dès qu’il y a circulation”, soutient Didier Kandassamy, secrétaire pénitentiaire FO de Fleury Mérogis. “C’est incohérent. À Fleury, lorsque le détenu se rend au parloir il doit porter un masque dès sa sortie de cellule. Par contre, s’il va en promenade, il n’en porte pas.” 

C’est une grande incohérence pour les détenus Ils sont dans un environnement propice à la propagation du virus, et pourtant, selon les prisons, ils n’ont pas le droit de porter des masques”, déplore Sarah Bosquet, chargée d’enquête à l’Observatoire international des prisons (OIP). 

Didier Kandassamy espère que la décision du tribunal administratif de Toulouse fera un effet boule de neige. “On attend des directives claires, et nationales. On ne se veut pas alarmistes, mais prévenants. Il ne faut pas oublier que la prison est un lieu clos, où l’air ne circule pas.”  

Du cas par cas 

Mais ces interdictions ne sont pas appliquées partout. “ C’est du cas par cas, comme toujours en prison. Ici, à Rennes, les détenus peuvent porter des masques”, explique Antoine Pétiau, responsable de l’Unité sanitaire du Centre pénitentiaire de Rennes.

Même constat à Nanterre. “Le problème c’est qu’il n’y a pas de directive. C’est énervant”, déplore le docteur François Heulin chef de service de l’unité sanitaire de la maison d’arrêt de Nanterre. Dans cet établissement où aucun cas de covid n’a été recensé, les masques sont fournis uniquement en cas de contact avec l’extérieur.

Eviter de faire entrer le virus

Alors, puisque le port du masque n’est pas exigé pour les détenus, les établissements essaient d’agir en amont. Pour certains directeurs de prison, tout se joue avec les arrivants. “On les teste systématiquement, et on les isole jusqu’aux résultats des tests. Certes à l’intérieur ils ne porteront pas de masques, mais en faisant ça, on s’assure que le virus ne rentre pas”, explique une directrice de maison d’arrêt, qui se veut rassurante. 

Un argument jugé insuffisant par les défenseurs du masque en prison. 

Des masques réutilisables à laver soi-même 

À Rennes, les détenus peuvent porter des masques réutilisables, s’ils en possèdent. Par contre, ils doivent se débrouiller seuls pour les laver. “Le prestataire de la buanderie demande des prix exorbitants pour laver les masques des détenus. Ces derniers les lavent donc eux-même”, précise Antoine Pétiau. Pour rappel, selon l’Académie de médecine, il n’est pas utile de laver un masque réutilisable à 60°. Il faut tout de même le changer au bout d’une journée d’utilisation. 

Bientôt des masques commercialisés en prison ? 

Dans plusieurs des prisons que nous avons contactées, des discussions sont en cours pour mettre en place la vente de masques jetables. Ici encore, un paradoxe que souligne l’OIP puisque les personnes incarcérées ont participé à la confection des masques. De plus, la commercialisation de ces masques pourrait être à l’origine d’une nouvelle inégalité entre les détenus, qui n’ont pas les mêmes ressources financières. 

Malgré l’absence de directives nationales, le personnel pénitentiaire se félicite d’avoir réussi à endiguer le virus par ses propres moyens.

De son côté, l'administration pénitentiaire nous a uniquement indiqué la préparation d'une note sur la covid en prison à l'intention de son personnel. Elle devrait être publiée très prochainement.