Vente de médicaments : la guerre des lobbies

Le lobbying, c'est travailler en coulisses, tenter de faire pression, d'influencer les pouvoirs publics et plus concrètement la réglementation. Et la vente de médicaments sans ordonnance n'échappe pas à la règle. Dans ce domaine, les choses sont en train d'évoluer et les lobbies s'activent. Pour quelles raisons ? Les explications avec Rudy Bancquart.

La rédaction d'Allo Docteurs
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Rédigé le , mis à jour le
Chronique de Rudy Bancquart, du 31 octobre 2013
Chronique de Rudy Bancquart, du 31 octobre 2013

La vente de médicaments en France est très encadrée par le code de la santé publique. Seuls les docteurs en pharmacie peuvent vendre des médicaments avec ou sans ordonnance dans leur officine. Il y a donc une situation de monopole, et les monopoles attirent les convoitises.

Des médicaments sans ordonnance désormais en vente sur Internet

En réalité, la ministre de la Santé, Marisol Touraine, n'a pas vraiment autorisé la vente de médicaments sans ordonnance sur Internet. Elle y a été contrainte par une directive européenne qu'elle devait traduire en droit français avant 2013 sous peine d'amende. L'origine de cette directive remonte à 2003, il s'agit de l'arrêt DocMorris. La France était le dernier pays à ne pas l'appliquer et pour cause les pharmaciens n'en voulaient pas. Pendant dix ans, ils ont fait du lobbying auprès des différents gouvernements pour que cette loi ne passe pas.

Avec l'autorisation de vente de médicaments sur Internet, les pharmaciens craignaient la contrefaçon. Mais un autre argument, plus difficile à avouer publiquement, était la crainte de voir des prix qu'ils fixent librement s'effondrer face à la concurrence.

Des pharmaciens résignés ?

La loi a été adoptée par ordonnance mais les pharmaciens n'ont pas été complètement obligés de se résigner. Les syndicats et l'Ordre des pharmaciens ont été consultés avant la rédaction de la loi par le ministère de la Santé. Ils ont fait un certain nombre de propositions et beaucoup d'entre elles ont été retenues comme par exemple celle de devoir posséder une officine pour pouvoir vendre des médicaments sur Internet (ce qui coûte très cher).

Au final, le texte est très contraignant par rapport aux autres pays européens. Seulement 60 des 23.000 pharmacies se sont lancées dans l'aventure. Certains disent même que le texte final aurait été relu et validé par les syndicats de pharmaciens, ce que démentent les intéressés.

Pourquoi les pharmaciens ont-ils une telle influence ?

Les pharmaciens font partie du réseau de distribution de médicaments très sécurisé en France, un réseau qui fonctionne bien. Par ailleurs, cette profession a toujours été présente à l'Assemblée, elle a donc de l'influence. Enfin et surtout, près de trois millions de personnes poussent la porte des officines chaque jour, ce sont des relais d'opinion et cela compte pour les hommes politiques.

Quid de la vente de médicaments en grandes surfaces ?

Les e-pharmacies ont ouvert une brèche car à la suite de cette décision, l'Autorité de la concurrence a demandé l'examen de vente de médicaments dans les grandes surfaces, ce qui représenterait un pas de plus pour casser le monopole des pharmaciens. Une personne se réjouit de cette annonce : Michel-Edouard Leclerc, le plus vieil ennemi des pharmaciens.

Michel-Edouard Leclerc a d'ailleurs été auditionné par l'Autorité de la concurrence il y a quelques semaines. Cela fait des années qu'il lorgne sur le monopole des pharmaciens. En 1957 déjà, Edouard Leclerc encore inconnu déclarait au journal La Croix : "la vente directe au prix de gros des médicaments réduirait notablement le déficit des assurances maladies. Il n'y aurait même plus de difficultés financières dans les caisses".

Mais il faut attendre 1987 pour la première offensive. En 1987, Leclerc crée les parapharmacies dans les supermarchés. Il va provoquer les pharmaciens en vendant de l'eau oxygénée, des produits dermatologiques, de l'aspartame ou encore de l'alcool modifiée. Ces produits étaient jusqu'alors vendus exclusivement dans les pharmacies.

Les pharmaciens sont alors furieux qu'on s'en prenne à leur monopole et attaquent Leclerc. Leur défense est simple : il faut le conseil du professionnel pour vendre ces produits. Le Tribunal de commerce de Honfleur leur donne raison mais pour un an seulement car en 1988, Leclerc gagne la bataille. Il en gagnera d'autres avec le lait maternisé ou encore les préservatifs.

Leclerc, champion du lobbying ?

Leclerc ne fait pas exactement du lobbying pour gagner. Contrairement aux pharmaciens qui utilisent leurs relais à l'Assemblée, un lobbying plus classique, la technique de Leclerc c'est la communication d'influence. Il cherche avant tout à gagner l'adhésion de l'opinion publique à coup de publicité et de buzz dans les journaux pour infléchir et susciter des décisions politiques.

Pour être clair, Leclerc souhaite casser le monopole de l'officine mais pas le monopole des pharmaciens. Son argument : vendre les médicaments "25% à 30%" moins chers que dans les pharmacies traditionnelles, en soulignant le peu de concurrence entre les officines. Il assure qu'il ne vendra pas d'aspirine à côté de boîtes de conserve.

Depuis, Leclerc a fait appel à des cabinets de lobbying. Et cette stratégie est payante puisque le Sénat a accepté la vente des tests de grossesse en supermarchés ainsi que des produits de lentilles. Le texte doit encore être validé à l'Assemblée début décembre 2013. Du coup, on s'agite beaucoup du côté des pharmaciens comme des lobbyistes de Leclerc. Le monopole des pharmaciens est bel et bien en train de s'effriter.

Vers la fin du monopole des pharmaciens ?

Depuis 2011, Leclerc a été rejoint par un autre allié. Les associations de consommateurs militent aussi pour une ouverture du secteur à la concurrence. En mars 2012, l'UFC Que Choisir avait estimé que l'élargissement de la distribution des médicaments non remboursés aux grandes surfaces permettrait de réduire de 16% la facture des ménages.

Enfin l'Europe a récemment demandé à la France de réfléchir à l'ouverture du marché dans les grandes surfaces ce que fait l'Autorité de la concurrence. On attend désormais l'avis en fin d'année 2013 de l'Autorité de la concurrence sur la vente de médicaments dans les grandes surfaces.

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