Nouveaux médicaments anticancéreux : les preuves de leur efficacté encore attendues

Plusieurs années après leur arrivée sur le marché, des dizaines de coûteux médicaments contre le cancer n'ont pas démontré leur intérêt pour les patients. Une situation des plus problématiques, comme le souligne la revue Prescire.  

Héloïse Rambert
Rédigé le , mis à jour le
Nouveaux médicaments anticancéreux : les preuves de leur efficacté encore attendues

Cette dernière décennie, nombre de nouveaux médicaments contre le cancer, présentés comme "innovants", ont obtenu une autorisation de mise sur le marché (AMM) par les autorités sanitaires américaines et européennes. Certains coûtent des milliers d’euros et sont remboursés à 100% par la sécurité sociale. Le moins qu’on pourrait attendre de ces médicaments, c’est qu’ils apportent un véritable bénéfice aux malades. Problème, leur efficacité est souvent particulièrement mal évaluée. La revue indépendant Prescrire s’en alarme dans son numéro de septembre.

Les études sur l’absence de preuves d’efficacité s’accumulent

Déjà en 2017, une étude anglaise s’était intéressée à ces médicaments sur la période 2009-2013, rappelle les auteurs de Prescrire. Sur 68 indications  de 48 médicaments dans des cancers autorisées sur avis de l’Agence européenne du médicament (EMA), 44 l’avaient été sans preuve d’allon-
gement de la durée de vie. Environ 3 ans après commercialisation, il n’y avait toujours pas de preuve d’une amélioration,ni de la durée ni de la qualité de vie pour 42 indications. Devant le bas niveau de preuve avec lequel ces nouveaux anticancéreux avaient été mis sur le marché, l’Agence Européenne du Médicament s’était dit ouverte à tout "nouveau débat" sur les preuves étayant l’intérêt les médicaments anticancéreux.

En 2019, les choses n’ont guère bougé. Une nouvelle publication, à laquelle ont collaboré diverses autorités de santé autrichiennes, confirme les conclusions de l’étude anglaise et de nombreuses autres.

Absence de données sur l'allongement de la durée de vie

Les scientifiques autrichiens, qui publient dans la revue European Journal of Cancer ont prolongé l’analyse sur 102 médicaments antitumoraux mis sur le marché européen de janvier 2009 à mai 2015. "Pour seulement une minorité d’entre eux (38), au moment de la mise sur le marché, on avait des données sur l’amélioration de la durée de vie. Alors que c’est tout de même le but recherché dans les traitement des cancers", note Pierre Chirac, membre de la rédaction  de Prescrire. Et pour 5 médicaments, il y avait même une réduction de cette durée."

Les résultats obtenus les années suivantes sont plutôt mauvais.Trois ans au moins après leur AMM, 27 nouveaux essais étaient disponibles sur ces 38 médicaments : un allongement de la durée de vie était observé pour 14 médicaments seulement.

Des effets indésirables négligés

Parallèlement, les firmes, mais aussi les évaluateurs se focalisent sur les éléments plaidant pour l’efficacité des produits, au détriment des effets indésirables.

"Beaucoup de publications montrent cela très clairement, affirme Pierre Chirac. C’est un problème car ces effets indésirables, les patients les subissent. Et il est évident qu’ils jouent un rôle très important dans la détérioration de la qualité de vie."

Un douteux "pari" sur l’avenir

Comment expliquer que les agences soient aussi laxistes avec les firmes qui développent des anticancéreux ? La maladie cancéreuse et les représentations que nous nous en faisons semblent lui conférer une place à part. "Tout le monde a envie de voir arriver de nouveaux médicaments contre le cancer, domaine où la médecine est souvent en échec et où les besoins sont grands. C’est normal, concède Pierre Chirac. Et les malades en ont besoin rapidement." D’où un certain empressement des agences. "En Europe comme aux Etats-Unis, les antitumoraux qui ont été mis sur le marché l’ont été, largement, de manière accélérée. Les agences privilégient l’espoir. Elles acceptent donc des dossiers légers, pour encourager la recherche", explique le journaliste de Prescrire.

"Elles font un pari. Mais le pari, c’est tout de même la santé des gens", déplore-t-il.

Les preuves d’efficacité avant l’accès au marché

En pratique, les agences demandent souvent aux firmes de continuer les essais cliniques en post-AMM. Mais cette demande reste le plupart du temps lettre morte. "Les laboratoires les font assez en retard, et parfois ne les font pas du tout. En fait, ils n’ont pas tellement intérêt à mener ces études, analyse Pierre Chirac. A Prescrire, nous espérons que les agences vont se donner les moyens d’exiger des données d’efficacité avant la mise sur le marché, surtout dans les domaines où on a déjà des médicaments corrects."

Les auteurs de l’étude autrichienne estiment que les médicaments antitumoraux dont il n’est pas démontré qu’ils allongent la durée de vie plusieurs années après leur mise sur le marché devraient en être retirés du marché. Il y a déjà un précédent : en avril 2019, l’EMA a retiré l’olaratumab (Lartruvo°, non commercialisé en France), officiellement pour ce motif.

"Il faut dire, et répéter, que dans l’innovation contre le cancer, tout n’est pas rose : on parle aux patients de progrès extraordinaires. Il y a quelques progrès, mais surtout beaucoup d’incertitudes", martèle Pierre Chirac