Benzodiazépines : les Français en consomment trop !

Les benzodiazépines sont des molécules utilisées pour les troubles du sommeil ou contre l'anxiété notamment. Et depuis plusieurs années, leur consommation ne cesse d'augmenter alors que les effets indésirables de ces médicaments restent sous-estimés. Les explications avec le Pr Alain Astier, chef du service pharmaceutique de l'hôpital Henri-Mondor AP-HP (Créteil).

La rédaction d'Allo Docteurs
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Rédigé le , mis à jour le
La surconsommation des benzodiazépines, un mal très français
La surconsommation des benzodiazépines, un mal très français

Les benzodiazépines sont une catégorie de principes actifs de structures chimiques proches dont le prototype est le diazépam. Le diazépam a été synthétisé par les laboratoires Roche dans les années 1960 et a été mis sur le marché en 1973. 

Il existe actuellement, en incluant des molécules apparentées comme le zolpidem ou la zopiclone, 22 molécules différentes. Les activités pharmacologiques sont essentiellement à visée anxiolytique (un des plus classiques est le bromazépam et l'alprazolam), hypnotique et anticonvulsivante (notamment le clonazépam).

Les benzodiazépines sont-elles utiles ?

Les benzodiazépines sont utiles. L'indication hypnotique est par exemple limitée aux troubles sévères du sommeil liés à des insomnies légères et transitoires. Certaines sont utilisées en injectable à l'hôpital pour une sédation profonde ou une anesthésie (flunitrazépam, midazolam). Pour les anxiolytiques, c'est le traitement symptomatique, mais très limité dans le temps, de l'anxiété ou de crises d'angoisse. Comme tout médicament, il faut considérer le bénéfice/risque.

Les anxiolytiques sont cependant en France mal utilisés. C'est tout le problème. Il existe des différences énormes de consommation entre les pays européens. La France est le deuxième consommateur d'anxiolytiques (derrière le Portugal) et d'hypnotiques (derrière la Suède). On trouve un facteur 100 entre l'Allemagne et la Suède pour les hypnotiques et 160 comparé au Portugal pour les anxiolytiques. Cela est totalement incompréhensible en termes médicaux.

La structure de la consommation est inquiétante. On a notamment des caractéristiques démographiques très typées : les femmes âgées et une évolution très claire en fonction de l'âge. Un tiers des femmes de plus de 65 ans prend régulièrement des benzo anxiolytiques (un sixième chez l'homme) et 18% des hypnotiques (11% pour les hommes).

Un autre fait étrange et très problématique est la durée des usages. Que ce soit pour les anxiolytiques ou pour les hypnotiques, 50% poursuivent un traitement après cinq ans. C'est considérable et hors de toutes recommandations.

Les risques d'une consommation de benzodiazépines à long terme

Les effets indésirables des benzodiazépines ne semblent pas majeurs, mais si on poursuit un traitement longtemps, cela peut devenir grave. Les effets indésirables sont d'ordre neuropsychiatrique et très aggravés par l'utilisation concomitante d'alcool (effet one-shot), l'usage prolongé, l'association entre benzodiazépines et d'autres médicaments.

Parmi les effets indésirables des benzodiazépines, on peut citer :

- l'amnésie antérograde : base de l'utilisation de ces molécules pour des usages de soumission (viols etc). Le sujet ne se souvient plus de ce qui s'est passé après la prise…

- des troubles du comportement : agressivité, hallucinations, comportements antisociaux, le tout corrélé avec l'amnésie et risques pour le patient ou autrui

- des altérations de fonctions neuromotrices comme la somnolence, risques avec la conduite automobile

- une dépendance, une accoutumance et un syndrome de sevrage comme une véritable drogue.

Par exemple, chez la personne âgée, inhibée d'anxiolytiques, avec des fonctions d'élimination réduites donc des concentrations élevées dans le sang pour des doses standards, on note classiquement un état de confusion permanent, d'oubli que l'on qualifie bien vite d'Alzheimer alors qu'elle est tout simplement "droguée".

Le risque de chutes est également un très gros souci. Les études montrent très nettement un accroissement du risque de chutes en cas de traitement prolongé (plus de deux semaines), passant de 0.7% à 3% soit un risque multiplié par quatre. Les conséquences sont graves : hospitalisation, pose de prothèse, risque majeur d'infection, notamment urinaire, complications pulmonaires, ATB, décès… Tout cela en raison d'un surdosage ! Les RCP (résumés des caractéristiques du produit) recommandent de réduire par deux les posologies.

Réduire les prescriptions de benzodiazépines

L'ANSM est beaucoup investie dans ce domaine. De nombreuses actions ont porté leurs fruits. Il faut réduire les prescriptions et éviter les détournements. Pour cela, l'information accrue des professionnels de santé est primordiale. Il faut un encadrement des prescriptions : douze semaines pour les anxiolytiques et quatre semaines pour les hypnotiques mais il y a de nombreux échappements.

Il faut des ordonnances sécurisées pour les benzodiazépines détournées : flunitrazépam, clorazépate, clonazépam... On a observé une chute drastique des utilisations. Astuces techniques : colorant bleu dans comprimés de flunitrazépam et gouttes de clonazépam.

Mais la consommation repart et il est prévu d'aggraver les contraintes, notamment l'usage des ordonnances sécurisées et de plus encadrer la durée de prescription.