"Près de 40% des malades du cancer devraient bénéficier d'un traitement antidouleur"

Dans son livre blanc, la Société Française d'Etude et de Traitement de la Douleur (SFETD) s'alarme de l'insuffisance de la prise en charge de la douleur en France.

La rédaction d'Allo Docteurs
La rédaction d'Allo Docteurs
Rédigé le , mis à jour le
Entretien avec le Pr Serge Perrot, président de la Société Française d'Étude et de Traitement de la Douleur
Entretien avec le Pr Serge Perrot, président de la Société Française d'Étude et de Traitement de la Douleur

Douze millions de Français souffrent de douleurs chroniques. Pourtant, 70% d'entre eux ne reçoivent pas un traitement approprié. Les explications du président de la SFETD, le Pr Serge Perrot, spécialiste de la douleur à l’hôpital Cochin - Hôtel Dieu à Paris.

  • Pourquoi la douleur n'est-elle pas bien prise en charge par les médecins ?

Pr S. Perrot : "La douleur reste un symptôme, une maladie qui n'est pas encore suffisamment prise en charge pour plusieurs raisons. D'abord, parce qu'elle n'est pas reconnue. La douleur est une expérience invisible donc il faut se plaindre. Il faut que les médecins et les professionnels du soin l'entendent. Ensuite, il faut l'évaluer. Enfin, il faut la traiter et on a peu de traitements. Les médicaments ne sont pas toujours efficaces. Les approches non médicamenteuses ne sont pas toujours disponibles."

  • Pourquoi les médecins sont-ils encore réticents à utiliser des médicaments morphiniques pour traiter les douleurs liées au cancer ?

Pr S. Perrot : "Dans la douleur des cancers, on estime qu’il y a encore près de 40% des patients qui devraient bénéficier d’un traitement par la morphine et qui n'ont pas accès à ces traitements. Je pense que c'est d'abord un manque de temps. Les cancérologues sont débordés. C'est aussi un manque de connaissances. Prescrire de la morphine est compliqué en terme d'efficacité, de suivi des effets indésirables. Souvent, on préfère ne pas en donner parce qu'on serait embêté par les effets indésirables, pour éviter le suivi. Il y a une vraie carence dans ce domaine."  

  • Au-delà du bien-être du patient, la prise en charge de la douleur est aussi un enjeu économique. Quelles sont les conséquences sur notre système de santé ?

Pr S. Perrot : "La douleur chronique coûte très cher. Quand vous avez mal, vous avez un défaut de productivité, un plus fort d'absentéisme… Il y a aussi du présentéisme, c'est-à-dire que vous allez au travail mais vous n'êtes pas capable de faire tout ce que vous devriez faire. Ça coûte très cher. On estime qu’il y a environ 80 millions de journées perdues à cause de la lombalgie par exemple. La migraine, la fibromyalgie c’est pareil. Toutes les maladies douloureuses représentent un coût énorme. Prendre en charge la douleur permettrait de faire des économies en terme de santé publique et de productivité."

  • Comment améliorer l'enseignement du traitement de la douleur aux futurs médecins ?

Pr S. Perrot : "On milite pour qu’il y ait des professeurs de médecine de la douleur. La douleur est une vraie spécialité, avec un corpus scientifique, avec des connaissances précises. À l’heure actuelle, il n’y a que 20 heures d’enseignement dédié non seulement à la douleur mais aussi aux soins palliatifs en six ans d’études de médecine (NDLR : les études de médecine durent 9 ans au minimum pour la médecine générale, davantage pour une spécialité). C’est vraiment trop peu pour un problème qui touche près de 80% de la population."