Cartilages et muqueuses de culture : reconstruire un nez ou un vagin

Deux articles publiés le 11 avril 2014 dans The Lancet présentent les derniers succès, étonnants, de l'ingénierie tissulaire. En prélevant sur des patients des cellules de cartilage ou de muqueuse, les médecins parviennent désormais à recréer des tissus fonctionnels, et à réaliser des greffes d'excellente qualité. Explications en vidéo avec le Dr Michaël Grynberg, gynécologue-obstétricien à l'hôpital Jean-Verdier (Seine-Saint-Denis).

La rédaction d'Allo Docteurs
La rédaction d'Allo Docteurs
Rédigé le , mis à jour le
L'aile gauche du nez de cet homme est un greffon créé par ingénierie tissulaire, un an après l'opération. (Crédit photo : The Lancet)
L'aile gauche du nez de cet homme est un greffon créé par ingénierie tissulaire, un an après l'opération. (Crédit photo : The Lancet)
En haut, portion de cartilage prélevée par biopsie sur un patient. En bas, le cartilage obtenu à l'issue de la mise en culture du prélèvement. (Crédits: The Lancet)
En haut, portion de cartilage prélevée par biopsie sur un patient. En bas, le cartilage obtenu à l'issue de la mise en culture du prélèvement. (Crédits: The Lancet)
Les étapes de la greffe. (A) ouverture du nez, (B) les élements à greffer, (C) & (D) implantation ; (E) après la fin de l'opération ; (F) une semaine après l'opération ; (G) examen de contrôle à six mois ; (H) un an après l'opération (Crédits: The Lancet)
Les étapes de la greffe. (A) ouverture du nez, (B) les élements à greffer, (C) & (D) implantation ; (E) après la fin de l'opération ; (F) une semaine après l'opération ; (G) examen de contrôle à six mois ; (H) un an après l'opération (Crédits: The Lancet)

L'ablation des tissus est parfois la seule façon d'empêcher la propagation d'un cancer. Pour reconstruire un nez, les chirurgiens utilisent généralement du cartilage prélevé dans l'oreille ou les côtes, mais ces prélèvements nécessitent une opération chirurgicale, et peuvent s'avérer douloureux pour le patient.

Quant à la reconstruction d'organes génitaux, les tissus greffés ne sont pas toujours les plus adéquats. Les greffes de cartilage ou de muqueuse développées par "ingénierie tissulaire" (c'est-à-dire à partir de cellules de cartilage ou de muqueuse vaginale prélevés sur les patients) pourraient bientôt constituer une alternative courante, au vu des succès sur le long terme de plusieurs interventions.

Un nouveau nez

Au cours de l'année 2011, des chirurgiens suisses ont réalisé la greffe de cartilages produits par ingénierie tissulaire sur cinq patients opérés d'un cancer de la peau au niveau du nez.

Après avoir prélevé de minuscules fragments de cellules de cartilage provenant de la cloison nasale des patients, l'équipe du Pr Ivan Martin (Université de Bâle) les a fait se multiplier en laboratoire en les exposant notamment à des facteurs de croissance.

Au bout de quatre semaines, les chercheurs avaient fabriqué 40 fois plus de cartilage que la quantité prélevée au départ, ce qui leur a permis de reconstruire le nez de ces patients, au niveau des narines, sans avoir recours aux greffes classiques de cartilage.

Selon les données publiées le 10 avril 2014 dans The Lancet, un an après les interventions, les cinq patients étaient satisfaits de l'apparence des narines reconstruites et de leur capacité à respirer, et n'avaient signalé aucun effet indésirable notable.

Selon le Pr Martin, le cartilage produit par ingénierie tissulaire a non seulement "des résultats cliniques comparables" aux greffes de cartilage, mais il est "mieux accepté" par le système immunitaire de la personne qui le reçoit et "améliore la stabilité et le fonctionnement des narines".

Cartilages et muqueuses de culture

Une seconde étude publiée dans la même édition de The Lancet fait état d'une autre prouesse de l'ingénierie tissulaire. A savoir : le succès de l'implantation (réalisée il y a huit ans) de muqueuses et de muscles vaginaux développés à partir de cellules saines prélevées sur quatre jeunes filles.

Agées de 13 à 18 ans, elles étaient atteintes d'une anomalie congénitale se traduisant par l'absence totale ou partielle de vagin et d'utérus, lorsqu'elles ont été traitées en 2006 par une équipe américano-mexicaine dirigée par le Pr Anthony Atala.

A partir de tissus prélevés au niveau de la vulve, l'équipe a réussi à produire des cellules musculaires et des cellules vaginales en laboratoire qui ont été placées pendant 7 jours sur un moule biodégradable ayant la forme d'un vagin (voir vidéo ci-dessous).

Huit ans après les implantations, les vagins fonctionnent normalement et les quatre jeunes-filles déclarent avoir des rapports sexuels satisfaisants, relève l'étude.

 

 

 

 

 

 

Sources :
- Engineered autologous cartilage tissue for nasal reconstruction after tumour resection: an observational first-in-human trial. I. Martin et coll. The Lancet, 11 avril 2014. doi:10.1016/S0140-6736(14)60544-4
- Tissue-engineered autologous vaginal organs in patients:a pilot cohort study. A. Atala et coll. The Lancet, 11 avril 2014 doi :10.1016/S0140-6736(14)60542-0

Grâce aux progrès de l'ingénierie tissulaire, des substituts de peau ont déjà été greffés à des milliers de personnes dans le monde. Les chercheurs s'efforcent désormais d'élaborer de véritables organes fonctionnels à partir de tissus artificiels. Outre le nez et le vagin, des essais cliniques sont en cours sur des vessies, des cornées, des bronches et des vaisseaux sanguins.