Sexualité : existe-t-il des normes ?

A l'heure où une vidéo intime fait la une de l'actualité, Sophie Cadalen, psychanaliste, s'interroge sur le poids de la pression sociale et de la pornographie en matière de "normalité" sexuelle. Comment chacun peut s'y retrouver et préserver sa part de liberté ?

La rédaction d'Allo Docteurs
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Rédigé le , mis à jour le

Les hommes de pouvoir ont-ils une sexualité "hors normes" ?

Vendredi 14 février, Benjamin Griveaux s'est retiré de la course à la mairie de Paris suite à la diffusion de vidéos intimes privées. Une information judiciaire est en cours pour "atteinte à l'intimité de la vie privée par enregistrement ou transmission de l'image d'une personne présentant un caractère sexuel" et "diffusion sans l'accord de la personne d'un enregistrement portant sur des paroles ou images à caractère sexuel et obtenues avec son consentement ou par elle-même."

Pour Sophie Cadalen, cette vidéo, cette prise de risque, traduirait une forme de fragilité, un besoin de valorisation propre aux hommes de pouvoir 
« Il y a une différence essentielle qu'on ne peut pas occulter entre les hommes et les femmes, c'est la différence d'"appareillage". L'organe génital des hommes se voit, leur désir se manifeste, ce qui créé d'ailleurs un certain mythe d'une forme de puissance mais aussi une extrême fragilité. Cet organe, ce désir qui se voit, demande à être attesté sans cesse. 
Et beaucoup d'hommes, des femmes aussi, peuvent trouver leur plaisir dans une forme d'exhibition. Mais un grand nombre d'hommes, et peut-être plus encore dans des sphères de pouvoir, ont également besoin qu'on les complimente sur leur sexe, "elle est grande, elle est belle, elle est forte". Cela peut paraître extrêmement puéril mais c'est une espèce de contrepoids de cette supériorité, de cette force qu'un rien peut démonter, ce qui s'est confirmé aujourd'hui ».

Qu'est-ce qui dans la sexualité est normal ou pas ?

Les gens cherchent des normes, ils les réclament. Se demander ce qui nous plaît, ce qu'on veut, dans la sexualité, sans savoir vraiment ce que les autres font, ce que notre partenaire préfère, est une responsabilité effrayante. Même si, apparemment, c’est un espace de liberté formidable, cette liberté n’est pas confortable. Il peut être délicat de ne pas être sûr, parfois, de la bonne réception de nos initiatives dans un domaine où les frontières entre le convenable, le "sale", le "permis" et la perversion sont extrêmement floues et subjectives. 
C’est pourquoi il est souvent difficile d’être audacieux dans la sexualité, sauf quand il n’y a pas d’enjeu. Quand on se connaît bien, on n’en est pas forcément plus libre , on ne se risque pas à "froisser " l’image que l’autre a de soi.
D’où la recherche de ces normes, telles que nous les proposent, insidieusement les magazines, par exemple.  

De nouvelles pratiques présentées comme de nouvelles normes

Des pratiques se présentent comme "nouvelles" avec par exemple une dénomination anglo-saxonne... Il y a ainsi les "cougars", pour les femmes en couple avec des hommes plus jeunes ou les "milf" (mother I'd like to f...) c'est-à-dire "mère avec qui j'aimerais faire l'amour".

Mais ce n'est pas si nouveau puisque l'écrivain Colette, avait déjà des jeunes partenaires masculins. 
Le polyamour serait aussi "tendance", comme si c’était une invention récent d’avoir plusieurs partenaires, voire de faire ménage à 3 ou 4. 
La mode de l’échangisme a aussi eu un "regain", donnant des complexes à ceux, nombreux , que ça n’attirait pas du tout. Autre sorte d'injonction actuelle : il faut avoir des fantasmes, sinon on n’est pas normal…

Une des normes les plus ancrées, et dont on peine encore à se débarrasser, est enfin la norme genrée . Les femmes auraient un désir moins immédiat avec davantage de goût pour de longs préliminaires, et des sentiments. Tandis que les hommes désireraient eux d’une autre façon, plus "mécanique ", plus pressante... 
Des normes qui changent selon les époques, selon les cultures, mais qui freinent souvent la possibilité de dire "ce que je veux n’est pas toujours ce qu’on en raconte".  

Des limites à ne pas dépasser, certaines normes à respecter

Les limites à respecter sont celles posées par la loi, même si cette loi est à interroger sans cesse. Être responsable de ses propres désirs ne veut pas dire les imposer à l’autre, surtout si avec cet autre nous ne sommes pas dans une relation d’altérité, qu’il est dominé  par le contexte social, par une position de pouvoir, par l’âge. C’est ce qui est arrivé dans l’affaire Gabriel Matzneff, écrivain adoubé par le tout-Paris dans les années 70, dont l’écriture sulfureuse n’avait rien de fantasmatique . Il racontait ses goûts et ses exploits de pédophile. Ce qui faisait " chic" à l’époque est considéré à présent comme la main mise d’un homme mûr et en vue sur une jeune fille évidemment vulnérable, une proie facile.  

Il existe des interdits

S’il est difficile, voire impossible de normer la sexualité, il y a des interdits induits par toute culture – et qui peuvent varier – des interdits fondamentaux, comme celui de l’inceste. Fondamentaux au sens où cet interdit va organiser la société. S’il n’y a pas de normalité bien définie, en ce qui concerne les pratiques sexuelles librement consenties, nous constatons tout de même que certaines relèvent de l’anormal, du pathologique et nécessitent du soin ou de la sanction.