L'effet placebo mis à nu

Imaginez : vous avez un vilain mal de crâne, un médecin vous donne une gélule, et bientôt vous allez mieux. Vous dites : "ça marche !" Mais voilà, on vous révèle qu’en réalité, cette gélule était vide (ou contenait simplement du sucre). Votre état s’est amélioré alors que vous suiviez un faux traitement : c'est ce que l'on à l’habitude d’appeler "l’effet placebo". On se représente souvent cet "effet placebo" comme un pouvoir extraordinaire et inexploré de l’esprit sur le corps. Pourtant ce phénomène est très exploré, et des centaines d'études menées depuis le milieu des années 1950 ont révélé presque tous les secrets du phénomène.

Florian Gouthière
Rédigé le , mis à jour le

Distinguer l'effet du médicament de "l'effet placebo"

Dans les études médicales, "l'effet placebo" sert de référence pour savoir si un traitement agit d’une façon spécifique sur le corps. Typiquement, on donne le traitement que l’on désire tester à 100 personnes, une simulation de ce traitement (pour un médicament, une gélule vide ou pleine de sucre) à 100 autres, et l’on compare les symptômes des deux groupes.

L’effet propre d’un médicament, c’est ce qu’il apporte de plus qu’un médicament vide de toute substance active. Le reste, c’est ce que l’on a pris l’habitude de nommer "effet placebo". [1]

 

 

 

Les médicaments ne sont pas les seuls traitements qui peuvent être comparés à une "simulation de traitement". Il suffit d'imaginer un simulacre suffisamment convaincant : on a pu évaluer l'efficacité propre de l'acupuncture en utilisant des aiguilles rétractables, des stimulations au laser en utilisant des LED rouges, et certaines opérations chirurgicales... en ouvrant et refermant le corps du patient, sans rien opérer !

Ce qui serait arrivé quand même…

Mais pour comprendre l’effet placebo, il faut aller plus loin, et regarder les études qui comparent non seulement la thérapie évaluée avec sa simulation, mais qui recensent aussi tout ce qui se passe en l’absence de prise en charge thérapeutique. Ces études qui comparent du "faux" avec du "rien" sont très riches d’enseignements. Pour les maladies les moins graves, on voit qu’une amélioration des symptômes existe même sans traitement.

Rien d’étonnant, si on a un système immunitaire qui fait son boulot : on pourrait dire que c’est l’effet du "temps qui passe".

Autre cause de régression des symptômes avec un faux traitement, pour des maladies bénignes : le fait d'aller voir son médecin lorsque les symptômes sont à leur "pic". Par définition, ils ne peuvent que diminuer après ! Ce que l’on constate chez des patients qui n’ont pas pu rencontrer un médecin.

Dernière cause de rémission sans prise du traitement étudié : l’effet éventuel de traitements pris auparavant, qui auraient mis du temps à agir. Et oui… parfois, on suppose un effet placebo alors que c’est juste un effet retardé.


Cette rémission sans traitement, que l’on pourrait surnommer l’effet "ça serait arrivé quand même", est souvent prise à tort pour l’incroyable effet placebo. Elle en est toutefois une composante. Une synthèse de 2009 montre que cette rémission spontanée représente souvent [2] plus de la moitié de "l’effet placebo" !

Ce qui arrive lorsqu'un acte thérapeutique est simulé

Mais de quoi est composé l’autre moitié de l’effet ? Peut-on expliquer la part d’amélioration qui n’est pas due à l’évolution naturelle de la maladie, mais bien parce qu’un acte thérapeutique est simulé ? La réponse est oui. C’est là encore une addition de plusieurs phénomènes.

Le changement des habitudes dans un contexte thérapeutique

Tout d’abord on a mesuré que le niveau de confiance - envers le médecin et dans le traitement modifie tout un tas de gestes du quotidien du malade. On a déjà fait la démarche de voir un docteur, on se laisse un peu moins aller, on veut guérir : on change ses habitudes. Premier effet.

Le conditionnement

Mais il y a un autre effet encore plus impressionnant, qui relève du conditionnement thérapeutique. Depuis l’enfance, le cerveau prend l’habitude de voir le corps aller mieux quand il prend des médicaments. Des travaux ont ainsi montré que si l’on nous donne un faux stimulant (un comprimé dont on prétend qu’il contient de la caféine), notre pression artérielle et notre rythme cardiaque s’emballent. En 2002 [3] et en 2006, des travaux ont montré que si l’on ingère un faux analgésique, le cerveau fait ce qu’il a appris à faire en pareil cas : il augmente le taux de dopamine et d’endorphines qu’il sécrète pour calmer la douleur [4]. C’est vraiment un réflexe pavlovien, c’est du dressage !

Ceci explique des observations étonnantes, tel ce constat dressé par une quinzaine d’études : une gélule rouge vide de toute substance agit mieux comme stimulant qu’une gélule bleue (qui, elle, agit mieux comme relaxant) [5].

Cette composante de "l’effet placebo" marche d’autant mieux qu’on est habitué aux médicaments. Que l’on soit humain… ou pas. Les études vétérinaires montrent que cet "effet conditionnement" est très efficace chez l’animal de laboratoire et l’animal domestique (vaches, souris, cheval, chien…). Ajoutons que si le maître est rassuré, l'animal le sent. Une observation qui nous amène à une dernière composante de l’effet placebo.

Être pris en charge diminue le stress

Rien de plus légitime que d’être angoissé par le fait d’être malade. Or, de nombreuses affections courantes (le plus souvent très gênantes bien que n’engageant pas la santé à très long terme), sont associées à des symptômes dont l’intensité est fortement modulée par l’état de stress. Cela est vrai pour l’asthme, des douleurs articulaires, certaines troubles intestinaux [6] et maladies de peau, ainsi que certaines allergies. Tout comportement rassurantapaise. Ce qui agira sur ce facteur, et sur ces symptômes. Cela est d’autant plus vrai si le prescripteur est convaincu de l’efficacité du traitement.

Cette composante jouera même sur des nourrissons. L’attention portée à l’enfant, le soulagement des parents qui croient donner un vrai traitement, influe sur énormément de symptômes. Des travaux de 2014 [7] ont par exemple porté sur l’efficacité d’eau à peine sucrée sur la toux des bébés, montrant que ce faux traitement réduit la fréquence de la toux, améliore la qualité de sommeil des enfants… et aussi celle des parents.

Et quand ils sont plus grands, cela fonctionne aussi avec le fameux "bisou qui guérit !"

Que reste-t-il d'inexpliqué ou d'un peu magique dans le mille-feuille de l'effet placebo ?

De l’avis de très nombreux chercheurs, l’addition des effets précédemment cités explique l’intégralité de "l’effet placebo". Il n’y a pas de "supplément d’efficacité" qui serait relié à quelque chose d’inconnu. Ou alors ce serait insignifiant par rapport à tout ce qu’on a listé [8].

Un médecin convaincu, une thérapie convaincante… font pour beaucoup dans "l’effet placebo".

Le plus important, dans ce qu’on appelle communément "l’effet placebo", est le contexte de la prise en charge. Un médecin convaincu, une thérapie convaincante (elle peut être très folklorique, ou employer des noms très compliqués… juste pour cette raison) influent sur notre rapport à la maladie. Ce, d’autant plus que la pathologie est bénigne, sensible au suivi du traitement, et au stress.

On le voit, il n’est pas facile pour un patient de savoir pourquoi son état s’améliore, et donc de juger si c’est son médicament qui fait effet, ou s’il s’agit là des conséquences d’un changement général d’attitude, de la réduction de son stress, ou le simple fait du temps qui passe. D’où l’importance d’études cliniques sérieuses. En particulier pour que les personnes atteintes de pathologies lourdes ne se fassent pas refourguer des choses pas plus efficaces, "en propre", qu’un morceau de sucre.

Notes et références

[1] Voir notamment : Are Treatments More Effective than Placebos? A Systematic Review and Meta-Analysis. J. Howick et coll. PLoS One. 2013 doi: 10.1371/journal.pone.0062599

[2] Lorsque l’on regarde ces données dans le détail, on voit que certaines pathologies sont plus ou moins sujettes à cette régression spontanée des symptômes. L’effet "ça serait arrivé quand même" compte pour les deux tiers de l’effet placebo d’un faux traitement contre les nausées. Elle vaut pour la majeure partie de l’efficacité d’un faux antidépresseur. Elle n’entre que dans un tiers de l’effet d’un analgésique pour une douleur chronique. Il faut noter que cet effet est négatif pour le traitement de l’insomnie : sans traitement, les symptômes s’aggrave. A l’inverse, donner un faux traitement à une personne expérimentant une douleur très intense a moins d’effet qu’une absence de prise en charge thérapeutique. Pire : la douleur perçue s’aggrave, car dans cette situation, l’attente du patient traité est très forte. Celui qui n’a pas pris de gélule n’en attend rien, et prend son mal en patience…

Voir : Spontaneous improvement in randomised trials : meta-anlysis of three-armed trials comparing no treatment, placebo, and active intevention. L.T. Krogsboll et coll. BMC Medical Research Methodology, 2009. doi:10.1186/1471-2288-9-1

[3] Placebo and Opioid Analgesia – Imaging a Shared Neuronal Network. Predrag Petrovic et al. Science (2002) doi:10.1126/science.1067176

[4] Une modification sensible de l’activité cérébrale est aussi visible avec de faux antidépresseurs. Les travaux sur l’effet placebo montrent que pour les dépressions légères ou modérées, l’effet propre de la plupart des antidépresseurs apparait marginal (autrement dit, les facteurs liés à la prise en charge sont bien plus importants que ceux liés à l’action d’une molécule sur le cerveau). En revanche, pour les dépressions les plus sévères, l’effet des antidépresseurs est très largement supérieur à celui d’un faux médicament. L’intérêt thérapeutique de ces médicaments pour les dépressions sévères fait donc peu débat. Sur ce sujet, se référer notamment à :

  • Initial Severity and Antidepressant Benefits: A Meta-Analysis of Data Submitted to the Food and Drug Administration. I. Kirsch et al. PLoS Med. 2008. doi:10.1371/journal.pmed.0050045 (à noter que certains aspects de ces travaux ont été remis en perspective par Horder et al., sans pour autant invalider les conclusions évoquées dans cette note)
  • Antidepressant Drug Effects and Depression SeverityA Patient-Level Meta-analysis. J. C. Fournier et al. JAMA. 2010 doi:10.1001/jama.2009.1943
  • Lessons learned from placebo groups in antidepressant trials. M.S. Mora et al. Philos Trans R Soc Lond B Biol Sci. 2011. doi:10.1098/rstb.2010.0394 http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC3130402/pdf/rstb20100394.pdf

[5] Si le phénomène est évoqué dès les années 50, la première étude permettant sa confirmation date de 1970. A noter que cet "effet couleur" est confirmé chez des populations non-occidentales.

[6] Le chercheur Ted J. Kaptchuk est ainsi l’auteur de très nombreuses études sur l’efficacité de traitements simulés sur le syndrome du colon irritable.

[7] Placebo Effect in the Treatment of Acute Cough in Infants and Toddlers: A Randomized Clinical Trial. I.M. Paul et al. JAMA Pediatr. 2014. doi:10.1001/jamapediatrics.2014.1609.

[8] Certains scientifiques vont plus loin, en observant que certaines études cliniques surestiment l’effet placebo dans un certain nombre de cas. D’importantes synthèses montrent ainsi que lorsque les cliniciens ont confiance dans un type de médicament (par exemple, une classe d’antidépresseur), leur évaluation de l’amélioration de l’état des patients est bien plus positive que ne le juge les patients eux-mêmes. Cette évaluation "trop positive" se porte sur tous les groupes suivis, ceux qui prennent le traitement testé, et le groupe qui suit le traitement simulé. Résultat : la part de "l’effet placebo" semble avoir doublé en dix ans ! Mais lorsque l’on ne se réfère qu’au ressenti des patients, on voit qu’il n’en est rien.

Sur d’autres indices de la surestimation de l’effet placebo, se référer notamment à : Three-Armed Trials Including Placebo and No-Treatment Groups May Be Subject to Publication Bias: Systematic Review. Y.H. Koog et al. 2011 doi:10.1371/journal.pone.0020679

Voir également un article très complet signé en 2011 par Jean Brissonet, intitulé Placebo, es-tu là ?