Ondes électromagnétiques : la guerre des lobbies

Le lobbying, c'est travailler en coulisses, tenter de faire pression, d'influencer les pouvoirs publics et plus concrètement la réglementation. Les ondes électromagnétiques, c'est-à-dire les ondes des téléphones portables, des antennes relais, de la wifi n'échappent pas à la règle. Le 23 janvier 2014, une proposition de loi pour réglementer l'exposition à ces ondes électromagnétiques a été examinée à l'Assemblée nationale et les lobbies ont joué un rôle important. Les explications avec Rudy Bancquart.

La rédaction d'Allo Docteurs
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Rédigé le , mis à jour le

Dans le dossier des ondes électromagnétiques, il est souvent difficile d'y voir clair et les lobbies n'y sont pas pour rien. D'un côté, il y a le lobby des opérateurs qui financent de nombreuses études pour démontrer l'innocuité des ondes. De l'autre, il y a le lobby des associations dont les plus virulentes posent comme postulat que les ondes sont dangereuses et qu'il faut protéger la population, témoignages d'électrosensibles à l'appui. Il n'est donc pas facile pour le législateur de se faire un avis d'autant plus que le sujet est extrêmement technique.

Ondes électromagnétiques : la législation en France

En France, peu de personnes s'en souviennent mais il y a eu le Grenelle des ondes en 2009. Ce débat n'a pratiquement rien donné, beaucoup d'associations ont claqué la porte. Mais en janvier 2013, il devait y avoir du changement : les écologistes souhaitaient faire voter un principe de précaution sur les ondes électromagnétiques. Le but : limiter la puissance des antennes relais et réglementer l'usage du wifi dans toutes les structures accueillant des jeunes enfants. Le lobby des associations pensait alors avoir gagné la partie.

Des mesures qui font pschitt

La proposition de loi de la députée verte Laurence Abeille de 2013 a capoté avant même d'être examinée, elle a été reportée sine die. Laurence Abeille était furieuse, elle n'a pas hésité à accuser clairement et publiquement l'influence des lobbies. La veille de cette décision, Fleur Pellerin, ministre de l'Economie numérique présentait ses vœux à la FFT (Fédération française des télécommunications). Laurence Abeille a alors reproché à Fleur Pellerin d'avoir cédé aux sirènes des lobbies.

Par ailleurs, les lobbies avaient d'autres relais notamment à l'Académie de médecine. Le Dr André Aurengo, à propos de la loi, regrettait "une initiative fondée sur un flou scientifique et règlementaire (...) de nature à renforcer artificiellement chez nos concitoyens un sentiment de défiance injustifié". André Aurengo, chef du service de médecine nucléaire à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris, est un ancien du conseil scientifique de Bouygues Telecom.

Le discours des opérateurs pour convaincre les députés

Il faut savoir que l'Etat est actionnaire de France Telecom. Il a donc un intérêt économique direct et il ne faut pas entraver le marché par une législation contraignante. Par ailleurs, les opérateurs insistent sur le service public que doit garantir l'Etat en leur laissant poser des antennes relais là où ils le souhaitent.

Autre argument : il ne faut pas passer à côté du développement numérique, des possibilités qu'offre Internet, les réseaux sur la croissance et les emplois notamment avec la 4G, dont la vente des licences a déjà rapporté 4 milliards d'euros à l'Etat. Avec la 4G, les Français devront racheter de nouveaux portables, il y a donc toute une économie.

Ondes électromagnétiques : quels effets sur la santé ?

L'Anses (agence de sécurite sanitaire) a rendu un avis en octobre 2013 qui aurait pu mettre tout le monde d'accord sur les mesures à adopter. Ils ont en effet analysé 300 études internationales et l'Anses ne conclut pas à un "effet sanitaire avéré chez l'homme" et ne propose donc pas de "nouvelles valeurs limites d'exposition de la population".

Elle constate cependant le ressenti de ceux qui se définissent comme électro-hypersensibles, et l'existence d'un effet biologique chez l'homme (le seul effet avéré consiste en une variation de la fréquence des ondes cérébrales au cours du sommeil). Sur cette base, l'Anses recommandait par exemple l'utilisation des kits mains libres "par mesure de précaution".

Cet avis en demi-teinte n'a mis personne d'accord.

Une nouvelle proposition de loi à l'étude

Dans ce contexte, Laurence Abeille a renouvelé sa proposition de loi le 23 janvier 2014. Laurence Abeille, proche des associations, se base sur les effets biologiques des ondes pour proposer sa loi affirmant même que "nous sommes à l'aube d'un terrible problème de santé publique". Ce n'est évidemment pas ce que pensent les lobbies des opérateurs, qui savent que cette fois ils ne pourront pas reporter la loi.

Les lobbies des opérateurs ont alors utilisé une autre stratégie. Leur but cette fois-ci est de l'affaiblir. Pour cela, ils ont ciblé des députés de choix comme Laure de la Raudière, ancienne directrice de France Telecom d'Eure-et-Loir. Ils les ont persuadés de proposer des amendements, c'est-à-dire des textes qui vont modifier la loi d'origine. Laure de la Raudière reconnaît même avoir repris des amendements rédigés par les opérateurs eux-mêmes : "Le groupe UMP et moi-même étions opposés à cette proposition de loi. J'ai donc déposé des amendements que j'ai rédigés moi-même et d'autres qui m'ont été envoyés par les opérateurs". Dans ce cas, nous sommes en droit nous demander à quoi servent nos députés ?

Pour le moment le lobby des associations a marqué un point. La loi prévoit une modération de la puissance des antennes relais dans les lieux où les émissions sont les plus élevées, l'interdiction de la publicité vantant les produits de téléphonie à destination des moins de 14 ans et l'obligation pour les opérateurs de préconiser l'usage d'un kit mains libres et l'interdiction de la wifi dans les établissements accueillant des enfants de moins de trois ans.

Mais cette loi doit encore passer devant le Sénat en juin 2014 où elle pourra être modifiée. Selon nos informations, les lobbies des deux parties sont déjà à la manœuvre. Affaire à suivre….

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