Amiante : "en France, on ne veut pas condamner les décideurs"

Depuis plus de dix ans, les victimes de l'amiante se battent pour obtenir un procès au pénal. Mais elles accusent l'Etat de vouloir enterrer le dossier.

La rédaction d'Allo Docteurs
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Rédigé le , mis à jour le
Entretien avec Michel Parigot, président du comité anti-amiante Jussieu
Entretien avec Michel Parigot, président du comité anti-amiante Jussieu

Les victimes de l'amiante ne décolèrent pas ! Ces dernières semaines, le ministère public et les juges d'instruction ont prononcé plusieurs non-lieux dans des affaires emblématiques. Dernier exemple en date, le 23 novembre 2017, un non-lieu est prononcé dans le dossier Everite. Il concernait une usine de production d'amiante-ciment. Selon les associations de victimes, l'Etat refuse de reconnaître sa responsabilité dans le scandale de l'amiante. Les explications de Michel Parigot, président du Comité anti-amiante de Jussieu.

  • Comment les juges d'instruction justifient-ils les non-lieux ?

M. Parigot : "Ils essaient d'utiliser des arguments scientifiques erronés. En fait, on veut enterrer cette affaire depuis longtemps et avec beaucoup d'arguments. La dernière idée, c'est de dire : on ne peut pas déterminer la date d'intoxication par l'amiante d'une victime particulière et donc on ne pourra jamais trouver qui était responsable à ce moment-là. D'abord, il y a plusieurs pathologies liées à l'amiante et les mécanismes ne sont pas les mêmes. Mais en général, il n'y a pas de date d'intoxication. L'intoxication n'est pas un phénomène ponctuel. La question elle-même ne va pas car on suppose que c'est ponctuel. Le problème, c'est qu'on essaie d'utiliser un argument scientifique qui est erroné. Les juges refusent une expertise scientifique sur ce point-là."

  • Qui souhaitez-vous voir condamner dans cette affaire ?

M. Parigot : "Si on remonte au sang contaminé, dans ce cas-là, il y a eu des condamnations et on a régressé depuis. Cette affaire a fait une sorte de traumatisme. On est allé jusqu'à condamner des politiques. En France, on ne veut pas condamner les décideurs administratifs, politiques ou industriels. On voudrait limiter la responsabilité à ceux qui exécutent. C'est ça le fond du problème pour l'affaire de l'amiante. Derrière, c'est toutes les questions de santé publique. Actuellement, rien ne sort du pôle de santé publique. On ne veut pas instruire ces affaires car la plupart du temps, les vrais responsables sont des décideurs."  

  • Croyez-vous encore à la possibilité d'un procès au pénal ?

M. Parigot : "Je crois qu'on l'obtiendra finalement. Le problème, c'est restera-t-il encore des responsables ce jour-là. Des victimes, il y en aura toujours malheureusement. On est encore à 3.000 décès par an. À la fin de cette catastrophe, on sera entre 150.000 et 200.000 décès liés à l'amiante. Est-ce que la France peut se permettre de ne pas juger une telle affaire alors qu'on sait qu'il y a des responsabilités. On a les preuves de ces responsabilités… Mais, on met tous les obstacles pour ne pas y arriver. C'est un combat. On le mène et je pense qu'à la fin, on l'obtiendra. L'enjeu, ce n'est pas seulement l'amiante. C'est tous les autres produits toxiques auxquels on est confronté et ceux de l'avenir, comme les nanomatériaux."  

  • L'amiante a été interdite en 1997. Depuis quand connaissait-on sa toxicité ?

M. Parigot : "Sa toxicité était connue depuis quasiment un siècle. Mais le panorama complet des maladies liées à l'amiante, c'était 1960. Et la connaissance complète du risque, y compris à faible dose, c'était les années 1970. Quand on a décidé de continuer d'utiliser l’amiante au début des années 1980, on savait qu’on allait vers une catastrophe."