Batterie : quels risques pour l'audition ?

De tous les artistes présents sur une scène de concert, le batteur est certainement celui qui s'expose aux excès sonores les plus importants, en répétition comme en concert. Quels sont les risques encourus par ceux qui manipulent les baguettes ? Comment peuvent-ils se protéger ?

Florian Gouthière
Rédigé le , mis à jour le
Le batteur Anders Johansson devant son instrument (cc-by-sa Heptagon-Anders)
Le batteur Anders Johansson devant son instrument (cc-by-sa Heptagon-Anders)

Le plein de décibels

A quelques dizaines de centimètres de ses cymbales, de sa caisse claire et de ses toms, le batteur est cerné... En plein morceau rock ou punk, le niveau sonore qui atteint ses oreilles s'étale entre 100 et 115 décibels.

Rien de douloureux ? Certes, mais l'exercice n'en est pas moins dangereux.

Chez un individu normal, l'oreille supporte sans dommage un niveau sonore inférieur à 85 décibels. Au-delà, des lésions irréversibles sont susceptibles d'apparaître. Le temps d'exposition tolérable décroit très rapidement.

Si l'on peut écouter 8 heures durant une musique à 85 décibels, il faut se limiter à 4 heures si le niveau sonore est de 88 dB. A 100 dB, le temps d'exposition sans protection est au maximum d'un quart d'heure. Et il n'est que de cinq minutes à 105 dB !

D'autres paramètres aggravent le diagnostic : les sons aigus des cymbales et les bruits soudains sont, comme on va le voir, particulièrement nocifs pour les oreilles.

Augmenter le son de 10 dB revient à multiplier par 10 la puissance sonore. Le niveau sonore d'une conversation normale est de 60 dB ; celui d'un boulevard très passant atteint 70 dB, et le passage d'un aspirateur 75 dB. Un chien qui aboie à quelques mètres de vous offre à vos oreilles une mélodie à 80 dB. Passer la tondeuse vous expose à 90 dB. Il faut crier pour se faire entendre d'une personne située à 1 mètre ! Au-delà de 105 dB, aucune conversation n'est possible avec un interlocuteur placé à la même distance.

Dans notre oreille, un ''pré-ampli'' extrêmement fragile

Les vibrations sonores transmises à l'oreille interne stimulent des groupes de cellules très sensibles (les cellules ciliées externes ou "CCE", voir encadré), qui amplifient sélectivement les fréquences sonores. Ces ondes amplifiées sont converties plus loin en signaux électriques, qui seront décodés par le cerveau.

Ce sont précisément ces CCE – qui font en quelque sorte office de "pré-ampli" – qui sont dégradées par les sons forts. Or, nous n'en possédons que 12.000 ! Et chez les mammifères, ces cellules ne peuvent se régénérer… Toute destruction est irréversible.

Les cellules sensibles aux fréquences les plus hautes - qui correspondent aux sons les plus aigus - sont les plus fragiles ; ce sont elles qui se dégradent avec l'âge...

...ainsi que, chez les batteurs, avec les coups de cymbales ! Sur scène, ils sont les seuls musiciens à être exposés continûment à des fréquences sonores supérieures à 2.000 Hz.

Impulsions sonores

La batterie ne se joue pas pianissimo… Un rapport du CNRS daté de 1998 pointait cette évidence du doigt : il semble un peu ridicule de sermonner un musicien lorsque "le choix artistique, la dimension sociale du groupe nécessitent de taper fort", et "qu'être un batteur bûcheron est considéré comme une valeur positive par le milieu d'appartenance et de reconnaissance musicale."

Mais qu'on le veuille ou non, l'oreille est très fragile. Et selon cette même étude, 70% des musiciens jouant des "musiques amplifiées" (c'est-à-dire tous ceux qui se produisent en concert !) souffrent de troubles auditifs, plus ou moins importants, directement liés à leur pratique.

Les chercheurs notaient que si, pour un certain nombre de musiciens, "le plaisir musical est très lié au fait qu'il y ait prise de risque, comme c'est le cas dans certains sports extrêmes", l'analogie s'arrête là... Car "dans les jeux et sports extrêmes, il y a toujours usage de protections pour permettre des pratiques plus vertigineuses".

Mais pourquoi les zikos seraient-ils les seuls à travailler sans filet ?

Les ondes sonores qui atteignent nos oreilles cheminent le long du conduit auditif vers le tympan. Les vibrations sont alors transmises à trois osselets, puis à la cochlée. Cette structure en colimaçon (dans la partie inférieure de l'oreille interne, voir illustration ci-dessous) abrite des cellules couvertes de cils qui ondulent au gré des vibrations. La longueur des cils conditionne la sensibilité à une gamme de fréquence donnée. Présentes en première ligne, un important groupe de cellules ciliées "externes" (ou CCE) assure essentiellement l'amplification des ondes qui vont atteindre les cellules internes. Celles-ci transforment les vibrations en impulsions électriques rapidement acheminées vers le cerveau.

Mieux vaut prévenir...

Comme on l'a vu, les sons de forte intensité peuvent endommager durablement les cellules ciliées. Un symptôme de l'exposition à des intensités sonores trop élevées peut être l'apparition d'acouphènes (voir encadré), des sons "fantômes" qui persistent plusieurs heures, voire plusieurs jours.

A trop solliciter ces cellules (ou à les soumettre à un stimulus trop intense), celles-ci peuvent même se détériorer au point de produire ces illusions sonores des mois ou des années durant.

Autre symptôme courant de cellules abîmée : l'hyperacousie (hypersensibilité de l'oreille à certains sons), ou la fatigue auditive (les sons perçus sont étouffés, cotonneux; un temps de récupération dans un endroit calme est indispensable).

Mais la dégradation est parfois plus discrète : ne fonctionnant plus, les cellules ciliées n'amplifient plus certains sons (CCE) ou ne transmettent plus de signaux vers le cerveau (CCI). Il est hélas trop tard pour faire quoi que ce soit.

Roger Taylor, l'ex-batteur du groupe Queen, incapable de comprendre la moindre conversation sans aide auditive depuis la cinquantaine, pourra en témoigner...

L'acouphène est un bruit subjectif (sensation sonore dissociée d'un stimulus extérieur) qui est perçu au niveau de l'oreille ou du crâne. Il existe de nombreux types d'acouphènes. Certains sont le symptôme de problèmes vasculaires (anomalies des vaisseaux de l'oreille), d'autres découlant d'un traumatisme (exposition à un son trop fort qui a endommagé les cellules cilliées, accident de plongée). Le "son" perçu varie du simple tintement métallique au bruit d'une tondeuse à gazon.

La protection auditive est ton amie !

Les protections auditives réalisées à partir d'une empreinte de l'oreille sont très confortables, mais sont parfois moins performantes que des bouchons à filtres de très bonne qualité, moins coûteux. Encore faut-il les mettre ! (cc-by-sa AGoodGuinness)
Les protections auditives réalisées à partir d'une empreinte de l'oreille sont très confortables, mais sont parfois moins performantes que des bouchons à filtres de très bonne qualité, moins coûteux. Encore faut-il les mettre ! (cc-by-sa AGoodGuinness)

Il n'existe pas de moyen de préparer ses oreilles à l'écoute de sons violents. Pas de gymnastique du tympan, pas de footing de la cochlée...

Des bouchons d'oreilles et des casques anti-bruit atténueront l'intensité sonore qui atteint le tympan, et prolongeront donc directement le temps d'exposition sans risque : chaque palier de 5 dB franchi permet de doubler le temps passé à jouer !

Attention : toutes les gammes de fréquences ne sont pas atténuées uniformément par ces protections auditives. Certains dispositifs diminuent plus les fréquences moyennes que les sons très graves et les très aigus (la différence peut dépasser les 15 dB !). Les bouchons en mousse sont généralement boudés des musiciens car, s'ils protègent très bien, ils restituent un son de mauvaise qualité, du fait de ce filtrage très inégal. Certains bouchons intègrent des filtres passifs qui restituent beaucoup mieux les sons, les meilleurs modèles permettant des atténuations de près de 35 dB (ils sont alors bien plus efficaces que des bouchons réalisés à partir de l'empreinte de l'oreille).

Quoiqu'il en soit, il vaut mieux privilégier un dispositif confortable et agréable, qui sera porté systématiquement, à un dispositif très efficace porté épisodiquement (l'idéal étant de porter en permanence le dispositif le plus efficace, mais quel batteur accepterait de répéter ou de se produire sur scène avec un énorme casque de chantier ?).

Ôter la protection, ne serait-ce que quelques minutes "pour profiter du son pur", est une bien mauvaise idée. Si l'on a déjà épuisé son oreille 5 minutes à 115 décibels, tout son qui dépassera les 85 décibels est à proscrire, et il faudrait arrêter de jouer jusqu'au lendemain !

Quid de la batterie électrique ?

Même si l'on joue avec une batterie électronique, il faut rester maître du niveau sonore. L'origine du son à beau être "synthétique", le problème reste le même, et les règles d'expositions qui s'imposent au musicien sont identiques. Si, alors qu'on porte un casque, il faut "pousser le son" pour rivaliser avec les autres instruments du groupe, le port des bouchons d'oreilles s'impose... ou, ce qui est beaucoup mieux, toucher deux mots au dilettante en charge de la sonorisation.

Une protection auditive portée en continu qui atténuerait de 35 dB l'intensité des graves et des aigus autoriserait le batteur à jouer 8 heures par jour sans inquiétude pour sa santé auditive (pour le reste, il faut voir avec ses voisins).

L'acoustique des salles de répétition et de concert

Les conditions dans lesquelles le batteur – et son groupe – jouent peuvent fortement influer sur la puissance sonore qui atteint leurs oreilles.

Comme l'observaient les auteurs du rapport du CNRS cité plus haut, les caractéristiques acoustiques des salles de répétition sont, "la plupart du temps, déplorables". Dans ces lieux "inadaptés", les musiciens "se plaignent de la réponse acoustique, qui rend impossible une mise en équilibre satisfaisante des instruments."

Or, expliquent les chercheurs, une sonorisation qui n'est pas optimisée "limite la progression du niveau technique des musiciens sur le plan musical". Elle les pousse "à augmenter les niveaux sonores qui privilégient “la force” du son et les sensations vibratoires,
 [les habituent] à des balances et des équilibrages qui dénaturent les effets musicaux…".

L'amélioration du confort d'écoute, en favorisant "une utilisation plus compétente du matériel de sonorisation", permettrait de réduire sensiblement les risques auditifs… Selon eux, la surface de la salle de répétition ne doit pas être inférieure à 30 m2, son volume devant être d'au moins 90 m3.

Le batteur doit se tenir à distance respectueuse des hauts parleurs. Et la réverbération doit être totalement contrôlée.

Ces conseils sont également valables sur scène !