MICI : tout savoir sur les traitements et la recherche

Ce 19 mai a lieu la Journée mondiale des maladies inflammatoires chroniques intestinales (MICI), dont la maladie de Crohn et la rectocolite hémorragique font partie. On estime qu'il y a plus de 240.000 cas de MICI en France actuellement et ces maladies peuvent se révéler très invalidantes. Le point sur les traitements actuels et à venir avec le Pr Laurent Beaugerie.

Dr Charlotte Tourmente
Dr Charlotte Tourmente
Rédigé le , mis à jour le
MICI : tout savoir sur les traitements et la recherche

En quoi consiste le traitement des poussées ?

Caractérisées par une inflammation d'une partie des parois du tube digestif, les MICI évoluent sous forme de poussées, des périodes avec des symptômes intestinaux variables selon la localisation des lésions. Selon les patients, les poussées sont plus ou moins fréquentes et s'améliorent plus ou moins.

"Ce sont deux maladies chroniques qui ne se guérissent habituellement pas spontanément, explique le Pr Laurent Beaugerie. Il y a donc deux types de traitement : celui de la poussée et le traitement de fond de la maladie. Lorsque l'on commence un traitement de fond, on sait donc que l'on part sur des dizaines d'années".

Les corticoïdes (la cortisone) sont le traitement de référence des poussées. Leur action anti-inflammatoire puissante permet de réduire l'inflammation au niveau des lésions intestinales lors des poussées, et donc les symptômes. Le traitement est poursuivi quelques jours à pleine dose puis réduit progressivement. Les corticoïdes sont connus pour leurs effets indésirables, comme les maladies métaboliques (diabète, syndrome de Cushing), les atteintes musculaires (amyotrophie) et osseuses (ostéoporose, ostéonécrose).

"Nous sommes très sélectifs sur les indications de la cortisone, précise-t-il, car il y a beaucoup de contre-indications (abcès, diabète insulino-dépendant, problèmes psychiatriques, ostéoporose sévère, patient coronarien obèse…). En fait, c'est un joker utilisé ponctuellement pour passer un cap, mais ce n'est pas un traitement au long cours".

Le budésonide (Entocort®, Mikicort®) a une place à part pour son action prépondérante sur l'iléon (fin de l'intestin grêle), ce qui le rend indiqué en première intention dans les formes légères à modérées, localisées à l'iléon de maladie de Crohn. Comme il passe peu dans la circulation sanguine, ses effets indésirables sont minimisés par rapport aux autres corticoïdes.

Autre thérapeutique de la poussée, le traitement nutritionnel, utilisé chez les enfants notamment puisque la MICI entraîne un risque important de dénutrition et de retard de croissance. "Il s'agit d'une alimentation de façon artificielle par le biais d'une sonde naso-gastrique, détaille le médecin, il a un effet anti-inflammatoire propre, qui est encore mal compris".

Quels sont les différents traitements de fond ?

Plusieurs classes de médicaments sont utilisées.

  • les dérivés du 5 amino-salicyliques, ou 5 ASA. "Ce sont des cousins germains de l'aspirine, c'est un très bon traitement de fond de la rectocolite hémorragique", expose le Pr Beaugerie, ils sont donnés par voie générale en traitement de fond, à raison d'une prise quotidienne, ou par voie locale (par suppositoires en cas d'atteinte du rectum ou par lavement pour les atteintes limitées au rectum et à la partie gauche du côlon). Ils agissent en ayant une action directe sur la muqueuse intestinale et sont aussi parfois utilisés durant les poussées d'intensité faible à modérée de maladie de Crohn.
  •  les immunomodulateurs/immunosuppresseurs conventionnels :

1/ l'Imurel® (azathioprine): "c'est un traitement majeur, en une prise quotidienne par comprimés, explique le médecin. Il est donné pendant des années et est bien toléré par les patients".

Parmi les effets indésirables, on recense les infections virales, des nausées et plus graves, les cancers, liés à un traitement très prolongé, à type de cancers de la peau et de lymphome, notamment après 50 ans.

2/ le méthotrexate. "Il est indiqué dans la maladie de Crohn uniquement, en cas d'échec de l'Imurel® ou en association avec des anti TNF", précise le spécialiste. Il est donné sous forme d'injection sous-cutanée ou intramusculaire mais reste peu utilisé. Il peut notamment entraîner des nausées, des douleurs abdominales et diminuer les globules blancs.

  • les anti TNF. Ces anticorps monoclonaux sont représentés par l'infliximab (Remicade®) par voie intraveineuse et l'adalimumab (Humira®) et le golimimab (Simponi®, utilisé dans la rectocolite hémorragique seulement), par voie sous-cutanée. Ils peuvent entraîner des infections bactériennes, particulièrement chez les personnes âgées, constate-t-il. Il y a un risque modérément accru de mélanome. Ils sont bien tolérés à l'exception d'un problème cutané de psoriasis, qui peut conduire à l'arrêt du traitement. "Les contre-indications sont les infections importantes, dont la tuberculose, l'insuffisance cardiaque. Et les effets indésirables sont des infections, des effets cardiaques (syncope, insuffisance cardiaque,…), des atteintes dermatologiques (psoriasis) ou neurologiques".

"On considère qu'en cas de maladie très sévère, on donne d'emblée l'imurel® associé à un anti TNF et dans les formes moins sévères, on peut essayer l'Imurel® tout seul", précise le Pr Beaugerie.

Le traitement de fond est-il obligatoire ?

Selon le spécialiste, dans la maladie de Crohn, chez environ 10 à 20% des patients, on va pouvoir se passer de traitement de fond et simplement surveiller la maladie, à condition que le traitement de la première poussée ait bien fonctionné et que les marqueurs de l'inflammation (comme la calprotectine) soient à taux normal. La surveillance comporte également une IRM de l'intestin et/ou des coloscopies.

Sur quoi porte la recherche ?

D'après le Pr Beaugerie, deux pistes sont particulièrement intéressantes et relativement avancées :

  • la modulation du système immunitaire par des lymphocytes de type T régulateurs (anti-inflammatoires). Ils sont cultivés en laboratoire puis réinjectés au patient. "On fait une guerre biologique avec les propres constituants du malade, précise-il. C'est une technique prometteuse, en phase 2 et si tout se passe bien, ce serait disponible dans environ 5 ans".
     
  •  l'injection sous la peau d'interleukine 2 une molécule immunorégulatrice (qui régule le système immunitaire). La fréquence des injections est hebdomadaire.

Et la greffe ?

"Pour le moment, la greffe de moelle ou de cellules souches est un procédé agressif et dangereux, analyse le médecin, elle agit en remettant à zéro le système immunitaire mais la maladie finit souvent quand même par réapparaître". Ces techniques restent toutefois toujours à l'étude.

Quelles sont les autres pistes ?

"On a beaucoup parlé des larves de parasite que l'on fait manger aux malades pour stimuler le système immunitaire. Le but est de réduire le déséquilibre immunitaire, sur le principe de la vaccinothérapie". Cette piste n'est pas vraiment récente, mais est encore étudiée.

Le médecin devient plus enthousiaste en parlant de la modulation de la flore intestinale. "L'objectif est de changer le microbiote intestinal, car on sait que la flore intestinale est de mauvaise qualité et affaiblie dans les MICI, raconte-t-il. Il y a en effet une "dysbiose" : le nombre de bactéries ainsi que leur répartition ne sont pas normaux. La piste est donc de rétablir la flore intestinale en modulant la composition du microbiote". Pour cela, trois alternatives ont été étudiées et sont détaillées par le médecin :

  • les probiotiques (qui sont des bactéries) : aucun n'a fait vraiment à ce jour la preuve de son efficacité durable.
  • les prébiotiques (qui sont des précurseurs des agents bactériens) : là non plus, pour le moment, il n'y a pas d'efficacité démontrée.
  • la transplantation fécale : "on pousse dehors une partie de la flore du malade avec une purge, explique-t-il et on change la flore en injectant les bactéries provenant d'un donneur sain soit par lavement, soit par coloscopie".

Les concepts sont bien assis mais le premier essai vient seulement de démarrer à l'hôpital Saint-Antoine. Plusieurs questions demeurent : faut-il transplanter la flore en une ou plusieurs fois ? Pourra-t-on un jour avoir une flore artificielle diverse ? "Actuellement, la transplantation fécale rentre dans le domaine du soin pour l'infection à Clostridum difficile afin d'éviter la rechute, mais pas encore pour les MICI", détaille le Pr Beaugerie.

Enfin, dans un futur plus proche, de nouveaux traitements biologiques devraient sortir. Il s'agit d'anticorps de synthèse fabriqués pour aller neutraliser telle ou telle voie de l'inflammation.

"Une classe est déjà disponible en ATU (autorisation temporaire d'utilisation), en attente d'une commercialisation : le védolizumab, en traitement de fond. Il se donne par perfusion intraveineuse et agit en bloquant la migration des lymphocytes depuis les capillaires jusqu'à l'intestin", raconte-t-il. Il est actuellement réservé aux maladies qui ne sont pas contrôlées avec les traitements existants.  Ce sont donc des médicaments de deuxième ou de troisième ligne.

L'Ustékinumab, déjà commercialisé en dermatologie (sous le nom de Stelara®), bloque deux interleukines et il se donne par voie sous-cutanée. Le dossier d''AMM, autorisation de mise sur le marché, ne sera pas déposé avant 2016 mais il y a déjà un essai sur plusieurs centaines de patients, on attend le résultat de la phase 3. Une recommandation temporaire d'utilisation (qui permettrait de le prescrire à certains malades) sera étudiée à l'automne.

Le spécialiste conclut ainsi que "l'objectif actuel est de cicatriser les lésions intestinales elles-mêmes, avec deux idées : prévenir une progression sournoise des lésions et éviter un cancer lié à l'inflammation chronique de l'intestin (au bout de sept à dix ans, les patients sont à risque d'avoir un cancer)".

La balance bénéfices/risques au cœur des MICI

La recherche porte aussi sur la mesure de la balance bénéfices/risques. "On raisonne de plus en plus pour bien peser les bénéfices (qualité de vie des patients, absence de poussées, réduction de l'inflammation) mais aussi mesurer les risques des traitements (infections, cancers), estime le Pr Beaugerie. On développe actuellement des modèles d'aide à la décision intégrant les données d'efficacité et de complications des traitements, pour nous aider à personnaliser la stratégie thérapeutique, en ayant sur un terrain individuel précis une efficacité attendue importante au prix de risques les plus légers possibles".

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