Les secrets d'une sauce par déglaçage

Le déglaçage est une des techniques incontournables de la tradition culinaire française. Vrai intérêt pour les saveurs ou effet de mise en scène devant ses convives ? Raphaël Haumont nous l'explique et nous livre tous ses secrets.

Raphaël Haumont
Rédigé le , mis à jour le


Déglacer veut dire dissoudre à l'aide d'un liquide (vin, consommé, crème fraîche, vinaigre, etc...) les sucs contenus dans un récipient après cuisson pour faire un jus ou une sauce.

Au cours de la cuisson les sucs se forment au fond du récipient. En fin de cuisson, il faut commencer par dégraisser puis déglacer avec le liquide choisi (porto par exemple dans le cas des tournedos Rossini) sur le feu en prenant soin de dissoudre les sucs. Il faut laisser réduire et mouiller au fond au jus au bouillon ou au consommé suivant la recette.

Tournedos Rossini et sauce de déglaçage

La recette du célèbre Tournedos Rossini  :

  • Faites revenir les tournedos dans un beurre noisette.
  • Salez, poivrez et flambez au cognac. Réservez. 
  • Versez le madère dans la poêle pour déglacer, grattez les sucs de cuisson et ajoutez la crème. Salez, poivrez. 
  • Faites épaissir la sauce en remuant bien.
  • Déposez une tranche de foie gras sur chaque tournedos, puis une rondelle de truffe et enfin nappez de sauce. 

Déglacer les "sucs  "

"Suc" vient du latin succus, qui veut dire  sève. On parle de suc végétal et suc animal. Suc végétal serait le jus " excédentaire" qui sort quand on coupe un fruit ou un légume, à l’image de la sève, une sorte de liquide libre dans le produit .

Si vous coupez un oignon, il y a un liquide sur la lame et sur la planche à découper. Il est composé majoritairement de sucres, d’un peu de pectines et de celluloses (paroi qui entoure les cellules). Si ce jus d’oignon est cuit, il a tendance à caraméliser.

Pour la viande, il y a le sang de la viande d’une part, et aussi un liquide type plasma fait de protéines " libres", sorte de sérum, un peu de matières grasses, et des sucres libres. 

Quand cette "sève de viande" va se cuire, cela va aussi provoquer des réactions de caramélisation  : les sucres libres se transforment en longues molécules, ainsi qu'en réactions de Maillard (protéines et sucre). Beaucoup résument ces deux réactions par " la viande qui caramélise ". 

Dans tous les cas, il se forme des pigments bruns, comme le caramel, et des arômes puissants, plus ou moins volatils.  

Où intervient le déglaçage ?

Quand la viande chauffe et se colore, ce jus sort, et forme une couche fine au fond de la poêle. Cela chauffe très vite, cette fine couche se forme, colle un peu, mais il ne faut pas que ça attache trop et que ça ne brûle .

Lorsque on verse dans la poêle très chaude un liquide  : jus de viande, madère, jus de légume etc.… il y a un choc thermique qui va décoller ce film fin avec une forte ébullition. Ensuite, avec une cuillère en bois, il faut décoller doucement les sucs, et mélanger. Il faut faire attention à ne pas gratter la poêle .

L’opération en cuisine, consiste donc à mouiller avec un jus, déglacer, puis faire réduire de nouveau jusqu’à la bonne consistance de sauce. On parle d’ailleurs de glace et demi-glace en cuisine. 

Demi-glace c’est lorsqu'il y a une sauce type fond de bœuf ou veau assez épaisse, brillante, et foncée, et glace c’est lorsque cette sauce a davantage réduite, qu'elle est très concentrée. 

Le mot glace est intéressant, il y a un effet miroir. Glace, vitre, miroir… et donc "déglacer ", comme si on diluait un miroir. 

Le rôle de la matière grasse

La matière grasse apporte du brillant aussi. Une sauce peut être montée au beurre, il faut y ajouter de la crème pour obtenir un effet dense, lustrant et brillant, mais attention dans le déglaçage des sauces comme dans le tournedos Rossini, il ne faut pas mettre trop de matière grasse au début.  

C’est une réduction vive et une transformation des "sucs " de viande et légumes. La matière grasse, en excès, risque de brûler et de donner des goûts amers parasites. Il faut travailler avec peu de matière grasse et c’est seulement quand la sauce est réduite, qu'il est possible de mettre un peu de matière grasse pour apporter du brillant.  

Le choix de l’ustensile 

Il faut un chauffage rapide, il faut donc une grande surface, un très bon conducteur thermique, une évaporation rapide, donc une poêle en métal avec un fond épais est vraiment recommandée . Il faut éviter une casserole trop petite.  

Une fois le déglaçage fait et la réduction jusqu’à consistance réalisée, il est préférable de transvaser dans une petite casserole, et réduire à feu très doux. Ainsi, il n’y a pas de surcuisson sur les bords et ainsi il y a une évaporation lente et une cuisson douce.  

Reste-t-il de l’alcool ou éthanol après cuisson  ?

Le vin est dangereux pour la santé, il faut modérer sa consommation. Les recettes mentionnent souvent du madère, du cognac, du vin rouge… Il est possible de se passer d’alcool dans les recettes, il suffit de remplacer la dose indiquée par un jus de viande, un jus de légume et ce sera très bien aussi. 
Les vins perdent leur acidité dans le déglaçage, il ne reste que leur arôme. 

Pour être plus rigoureux, cela dépend de la durée de cuisson de la sauce . Plus la durée est longue, plus l’alcool disparaît. L’éthanol pur bout à 78°C, donc à ébullition, c’est d’abord l’éthanol qui s’évapore. Au bout d’une heure, il ne reste quasiment plus rien. Le taux d’alcool décroît très vite dès les premières minutes de cuisson. 

Il y a des diagrammes d’équilibres entre l’eau et l’éthanol, et il est très difficile par chauffage (distillation) de séparer l’eau pure de l’alcool pur. On parvient à isoler de mieux en mieux, mais on ne peut garantir 0% éthanol , sans parler de " mémoire" de la sauce, on ne peut écarter l’existence de "traces de ", mais c’est à doses homéopathiques lorsque les cuissons sont longues. 

Une acidité qui disparaît avec la cuisson

Les premières notes volatiles, parfois un peu agressives d’un vin, disparaissent. Quand on chauffe, l’eau s'évapore, les pigments, les arômes non volatils, le sel, le suce, et l’acidité se concentrent. Cette acidité peut être masquée en bouche par le sel ou les arômes eux aussi plus concentrés avec une impression que c’est " moins acide".… 

Certains acides se décomposent avec la chaleur . C'est le cas de l’acide citrique vers 160°C ou de l’acide malique (on le retrouve dans la pomme, les raisins, et de nombreux fruits) vers 120°C . À force de chauffer longtemps, les molécules acides peuvent se dégrader. Ce compromis temps-température réapparaît. 

En réduisant une sauce, les saveurs et l’acidité se concentrent, mais en chauffant longtemps, certains des acides peuvent se dégrader. 

Pour un déglaçage réussi

Valable aussi bien pour les viandes que les légumes :

  • Prenez le soin de rissoler, colorer sans brûler.
  • Garder précieusement les sucs formés au fond des poêles, car ce sont de précieux arômes . 
  • Chauffage intense et vif, puis déglaçage.
  • Cuisson douce et lente de la sauce, vous aurez de belles sauces .