Les neurosciences au service de l'armée ?

Une équipe de chercheurs anglais vient de rendre un rapport sur les applications militaires des recherches dans le domaine des neurosciences. D'un côté, ils espèrent une amélioration des performances et de la réhabilitation des soldats. De l'autre, ils soulignent le risque d’armes chimiques très dangereuses.

Géraldine Zamansky
Rédigé le , mis à jour le

"Ce rapport pour la Royal Society fait le point sur la possible utilisation des neurosciences pour améliorer les capacités des combattants et certaines applications sont très excitantes", explique le Pr. Rod Flower, professeur en biochimie pharmacologique à l'Université Queen Mary de Londres. C'est lui qui a dirigé les travaux publiés aujourd'hui par un groupe rassemblant des chercheurs en psychologie, en psychiatrie, en anesthésie, en neurosciences cognitives, ou encore en sécurité internationale. Ces experts ont mis en commun leurs compétences pour tenter de décrypter tous les enjeux d’éventuelles rencontres entre l'univers de la guerre et les recherches sur le fonctionnement du cerveau.

Améliorer les performances des combattants

Le point positif est que "nous pensons que l'usage des nouvelles technologies d'imagerie neurologique pourraient être très utiles dans le cadre du recrutement pour orienter certains individus vers des tâches spécifiques en fonction de leurs aptitudes", poursuit le Pr. Flower. Car les dernières générations de scanners et d'IRM permettraient d'identifier les "cerveaux" les plus compétents dans tel ou tel domaine très précis.

Les cadres de l'armée espèreraient aussi améliorer les performances de leurs troupes avec les techniques de stimulations magnétiques transcrâniennes qui modulent le niveau d'activité des neurones et sont aujourd'hui utilisées pour le traitement des hallucinations auditives dans la schizophrénie. L'objectif serait de d'obtenir des cerveaux dotés de plus de mémoire, de capacités d'apprentissage accrues ou d'une meilleure rapidité de réaction.

Si le recours à la caféine ou aux amphétamines est déjà ancien, de nouvelles molécules beaucoup plus efficaces pourraient aider à combattre la fatigue et diminuer le besoin de sommeil.

L'agence américaine chargée de ce domaine (DARPA, Defense Advanced Research Projects Agency) travaille ainsi sur "des interventions pharmacologiques qui empêcheront les effets délétères du stress sur les combattants", cite le rapport. Et au-delà du champ de batailles, "des produits capables d’effacer les souvenirs douloureux pourraient être particulièrement utiles pour les soldats qui souffrent de stress post-traumatiques", espère le Pr. Flower. Il souligne aussi les espoirs suscités par les recherches sur la moelle épinière dans le traitement des paralysies et sur les membres artificiels pour les personnes amputées.

Le risque des armes biologiques

Malheureusement, qui dit manipulation du cerveau, dit risque de détournement à des fins moins bienveillantes. "Nous sommes inquiets à l'idée que ces mêmes technologies permettent à d'autres de diminuer nos performances", explique le professeur en biochimie pharmacologique. "Nous savons ainsi que plusieurs gouvernements s'intéressent à des agents anesthésiques par exemple, des agents qui altèrent le fonctionnement du système nerveux central."

Le rapport appelle donc toutes les équipes qui travaillent dans ce domaine à être extrêmement conscients de cette menace. Il invite aussi et surtout les autorités nationales à réfléchir aux armes chimiques ou biologiques et à leur encadrement. Il faudrait réviser les textes actuels comme la CWC, (Chemical Weapons Convention of 1993) trop ambigus. L'usage de certains produits est ainsi autorisé pour "l’application de la loi", ce qui laisse des marges d'interprétation dangereuses.

Les auteurs du rapport soulignent en particulier la nécessité de mieux définir la frontière entre ce qui est "autorisé", comme les gaz lacrimogènes pour réprimer les manifestations, d'une part, et des produits qui provoquent des incapacités plus longues, d'autre part, pour l'instant laissés dans le flou. D'où la recommandation la plus précise du rapport : "les pays adhérents à la convention CWC doivent s'atteler à la définition et à l'établissement d’un statut pour les agents chimiques responsables d'effets transitoires mais prolongés tels la perte de conscience, des hallucinations, paralysies ou désorientations." Ils ont le temps de préparer leur copie puisque la prochaine négociation est fixée à 2013.

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