Dormir 8 heures d'affilée serait-il contre nature ?

Devant  la fréquence des troubles du sommeil, la question mérite d'être posée, car selon l'Institut national du sommeil et de la vigilance (INSV), 30 à 35 % des 18-50 ans déclarent mal dormir. Doit-on remettre en question notre habitude occidentale de faire une nuit complète ? Selon les recherches d'un historien américain, Roger Ekirch, nos ancêtres coupaient leur nuit en deux : une phase éveillée de 2 heures entre deux cycles de sommeil de 4 heures.

La rédaction d'Allo Docteurs
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Dormir 8 heures d'affilée serait-il contre nature ?

Dans son ouvrage paru en 2005, At Day’s close : night in Times past, Roger Ekirch s'est intéressé à la littérature du Moyen-Âge (500 références, parmi lesquels des textes antiques, des livres médicaux, des journaux, des minutes de procès) au sujet du sommeil. Bilan de ces multiples sources : jadis, on ne dormait pas 8 heures d'affilée comme aujourd’hui, mais deux cycles de quatre heures. Au bout du premier cycle, vers minuit, on restait éveillé pendant deux heures, au cours desquelles on vaquait à quantité d'occupations : lire, prier, fumer, rendre visite à des voisins, faire l’amour, etc., avant de se rendormir pour quatre nouvelles heures.

Le Dr Sylvie Royant-Parola, présidente du Réseau Morphée consacré à la prise en charge des troubles du sommeil, reste sceptique devant cette thèse. "Les écrits de l’époque étaient essentiellement des écrits religieux, et l'on sait que les religieux priaient beaucoup la nuit. Le rythme de sommeil des paysans devait être bien différent, calqué sur celui du soleil."

Selon Roger Ekirch, le rythme de sommeil en deux cycles de quatre heures aurait disparu vers la fin du 17ème siècle. Apparaît alors la lumière artificielle dans les rues, permettant le développement d'une vie nocturne. Puis la Révolution industrielle induit dans la population un nouveau rythme d’activité professionnelle, et par conséquent un nouveau rythme de vie.

"Il est évident que les évolutions techniques ont radicalement modifié les habitudes de sommeil", explique le Dr François Duforez, spécialiste du sommeil. "On le voit aujourd'hui encore, avec tous ces jeunes adultes qui restent connectés le soir aux réseaux sociaux sur Internet et se couchent de plus en plus tard." La pression culturelle, sociale et professionnelle est donc très forte et fait évoluer les rythmes de sommeil. Le Dr Sylvie Royant-Parola rappelle ainsi que "les Chinois dorment quand ils ont sommeil, peu importe l'heure ; ils n'ont pas la même pression horaire que dans le modèle occidental".

Sur le plan physiologique, les recherches de ces dernières années semblent avoir mis en évidence chez les individus deux moments de pression du sommeil : en pleine nuit, autour de 3/5 heures du matin, et dans le milieu de l'après-midi.

"On sait désormais que la durée de sommeil optimum est entre 6 et 8 heures", poursuit François Duforez. Mais il s'agit de 6 à 8 heures par 24 heures. Que le sommeil soit fractionné ou non revient sans doute au même". "Le rythme décrit par Roger Ekirch me fait penser aux expériences de sommeil polyphasiques, notamment la méthode Everyman, très en vogue aux Etats-Unis", renchérit Sylvie Royant-Parola, "où, par des siestes très brèves pendant la journée, on essaie de réduire le temps de sommeil la nuit".

Pour le britannique Russel Foster, chercheur en neurosciences à l'Université d'Oxford, la thèse de l'historien Ekirch permettrait de rassurer toutes les personnes qui paniquent quand elles se réveillent en pleine nuit sans pouvoir se rendormir immédiatement : ce serait un rythme de sommeil "naturel" qu'elles retrouveraient alors. "Je crois surtout que le sommeil est plus adaptatif que ce que l'on croit", tempère en conclusion Sylvie Royant-Parola.

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