Grande injustice dans l'attribution des greffes de rein

La vitesse d’attribution des greffons n’est pas la même en fonction des zones géographiques, alerte l’association Renaloo, qui saisit le Défenseur des droits.

Maud Le Rest
Rédigé le , mis à jour le

"Les inégalités en termes de greffes de rein sont un sujet très sensible, mais il faut que les choses avancent", assène le Pr Lionel Rostaing, néphrologue au CHU de Grenoble. En France en effet, ces greffes fonctionnent d’après le principe du "rein local" : en cas de prélèvement des reins sur un donneur décédé, l’établissement hospitalier peut décider d’en réserver un pour ses patients. Résultat : les malades inscrits dans un centre qui prélève peu connaissent d’impressionnants délais d’attente. L’Agence de biomédecine estime qu’aujourd’hui, 44% des reins prélevés sont attribués selon ce principe. Pour médiatiser ce système qu'elle juge inique, l’association Renaloo, qui regroupe des patients de maladies rénales, a décidé de saisir le Défenseur des droits, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) et le ministère de la Santé.

"Les inégalités se sont creusées, et aujourd’hui, elles augmentent"

Les chiffres de l’Agence de biomédecine montrent en effet d’extrêmes disparités : à l’hôpital Foch, dans les Hauts-de-Seine, un patient devra attendre, en moyenne, 60,2 mois. A l’inverse, au CHU de Caen, un malade recevra son greffon en moyenne 13,1 mois après son inscription sur liste d’attente. Au-delà même du nombre de prélèvements effectués par le centre, ces disparités dépendent de facteurs démographiques, épidémiologiques et sociologiques. L'Île-de-France, très peuplée, en est un bon exemple, comme le souligne Magali Leo, responsable du plaidoyer de Renaloo : "La spécificité de cette région, où les patients attendent le plus longtemps, c’est que la population est plus jeune. Il y a aussi moins d’accidents de la route qu’ailleurs, [donc moins de reins disponibles, ndlr] et davantage de refus de dons."

Pour Magali Leo, le principe du rein local n’a plus de raison d’être en 2018 : "On a créé ce système dans les années 1970 pour soutenir l’activité des centres de greffe. Mais on s’est depuis aperçu que cela entraînait une sanctuarisation des reins. Les inégalités se sont creusées, et aujourd’hui, elles augmentent." Ces disparités peuvent avoir des conséquences dramatiques pour les patients. En effet, plus les délais d'attribution sont longs, plus la mortalité après la greffe est importante.

"L'Agence de biomédecine veut encourager le don de rein entre vivants." Sujet diffusé le 17 octobre 2017.

Aujourd’hui, l’objectif de Renaloo est double : faire en sorte de modifier le principe du rein local, et informer le public des inégalités territoriales qui en découlent. "Ces données sont publiques, mais le chemin pour y accéder n’est pas du tout intuitif ! Il faut que les patients sachent qu’ils peuvent aller s’inscrire dans un autre centre, à condition que celui-ci donne son accord. On peut parfois réduire son délai d’attente en se déplaçant de quelques centaines de km…", résume Magali Leo.

En attendant, pour le Pr Rostaing, une autre solution pour réduire les temps d’attente est envisageable : "On pourrait avoir davantage recours à des donneur vivants, comme ça se fait déjà en Norvège, par exemple." Mais ces dons ne sont, à l’heure actuelle, que trop rares. En 2016 en effet, sur les 3 615 greffes de reins réalisées en France, seules 576 l'ont été grâce à un donneur vivant. Ce type de greffe offre pourtant de meilleurs résultats que celles réalisées à partir d'un donneur décédé : les trois quarts sont encore fonctionnelles 10 ans après l'intervention. "Le système le plus juste serait néanmoins de créer un pool national de distribution en prenant en compte la compatibilité et le temps attendu", conclut le Pr Rostaing.

Le prélèvement d’un rein est sans danger. "Il n'y a pas réellement d'âge limite pour donner, les médecins auront plus tendance à parler d'âge « biologique », c'est-à-dire l'état de santé du donneur potentiel", précise Renaloo sur son site Internet. En outre, pour donner, il n’est pas nécessaire d’avoir un groupe sanguin compatible avec celui du malade.