Maltraitance infantile : pourquoi encore tant de drames ?

En France, un enfant meurt tous les cinq jours sous les coups de ses parents. Faute de recommandations claires et précises, les professionnels de santé peinent à repérer et signaler les maltraitances infantiles.

Dr Anne Sikorav
Dr Anne Sikorav
Rédigé le , mis à jour le
Maltraitance infantile : pourquoi encore tant de drames ?

Chaque année, environ 50.000 plaintes pour violences physiques sur enfant sont déposées et 20.000 pour agressions sexuelles. En moyenne, 72 enfants meurent tous les ans de violences parentales, soit un enfant tous les cinq jours. Et plus de la moitié des victimes ont moins d'un an.

Plusieurs formes de maltraitances

Violence physique ou psychologique, agressions sexuelles ou négligences, il existe plusieurs types de maltraitance infantile. Et quel que soit le type, la maltraitance a des effets dévastateurs à court et à long terme sur le développement de la personne.

Problème : elles sont encore mal repérées et donc mal signalées par les professionnels de santé. Ainsi, une étude publiée le 17 novembre 2021 dans le JAMA Network Open a comparé les différentes recommandations de diagnostic de maltraitance de 15 pays, publiées entre 2010 et 2020. 

Des consignes de diagnostic divergentes

Conclusion de l'étude : les documents de référence sont divergents… ce qui crée le flou chez les praticiens. Sur quelles lésions fait on un diagnostic de maltraitance ? Quels sont les éléments qui doivent alerter chez un nourrisson ? Quels examens doit-on faire ? Autant de questions sans réponse claire.

"Même pour certains services de pédiatrie, (en France), c'est en partie compliqué " témoigne le Dr Andréas Werner, vice-président de l'Association Française de Pédiatrie Ambulatoire. "Tout le monde n'a pas accès à certains d'examens d'imagerie " explique-t-il par exemple. 

Le besoin de recommandations claires et précises

Les résultats de l’étude sont formels : il faut établir un consensus international afin de produire des recommandations claires et homogènes pour aider les professionnels de santé à diagnostiquer la maltraitance infantile. 

"La difficulté et la complexité des situations, ainsi que le fort sentiment d’isolement du professionnel, expliquent la nécessité de mettre à la disposition des professionnels des informations claires et précises pour les aider dans le repérage des violences chez l’enfant", Haute Autorité de Santé

Pouvoir partager ses doutes avec un confrère qui connaît le dispositif de protection de l’enfance, notamment pour les médecins libéraux isolés, est aussi particulièrement important.  
Un diagnostic de maltraitance posé au contraire à tort peut "détruire une famille", "c'est vraiment très compliqué, et c'est une raison de plus pour laquelle les recommandations doivent être claires", souligne le Dr Werner.  

Les professionnels de santé à l'origine de 5% des signalements seulement

Sans ces recommandations, les signalements manquent : seuls 5% des signalements sont effectués par des professionnels de santé. "Il faut être conscient que lorsqu'on voit les chiffres du nombre de maltraitance théorique dans un pays et le nombre de diagnostic que l'on fait... on se rend compte que forcément, on a pu passer à coté " alarme le Dr Werner.

En plus du manque de recommandation et de la difficulté du diagnostic, le manque de vigilance ou de réactivité, la méconnaissance du dispositif de protection à mettre en place ou encore la peur d’une dénonciation par erreur et la mise en avant du secret médical sont des pistes d'explications.

En France, c'est la Haute Autorité de Santé qui définit à l'heure actuelle les pratiques à adopter pour les professionnels de santé lors d’une suspicion de maltraitance.

"Protéger l’enfant est un acte médical et une obligation légale. Le médecin ou un autre professionnel de santé n’a pas à être certain de la maltraitance, ni à en apporter la preuve, pour alerter l’autorité compétente", Haute autorité de santé

Des dysfonctionnements à tous les niveaux

Mais le manque de signalement des professionnels de santé n'est pas le seul frein à la prise en charge des maltraitances. Dans son rapport de mai 2018, déjà, l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) pointait du doigt des dysfonctionnements ou des "occasions manquées" à tous les niveaux du dispositif de protection à l’enfance : dans les structures médico-sociales, le système éducatif, mais aussi le système judiciaire. 

Ainsi, dans un tiers des morts violentes, les dangers – et parfois même les violences – étaient suspectés, voire connus, par l’entourage, qu'il soit familial, amical ou professionnel. Mais parfois l’alerte n’est pas faite, ou trop tard, explique le rapport, "par manque de vigilance, crainte de conséquences ou méconnaissance des procédures". Et la transmission des informations entre les services médico-sociaux peut elle-même être aussi défaillante.  

Bébé secoué  —  Magazine de la santé

Mieux accueillir les enfants en danger

En attendant des recommandations claires et homogènes, le déploiement en France des Unités d'accueil pédiatriques des enfants en danger (UAPED) devrait contribuer à une uniformisation des pratiques dans le dépistage des maltraitances et le parcours de soins des mineurs victimes. C’est un axe fort du plan de lutte contre les violences faites aux enfants, décidé par le ministère des Solidarités et de la Santé, et soutenu par la Société française de pédiatrie médico-légale. 

Une centaine d’UAPED seront établies en 2022, d’après l’annonce faite le mercredi 17 novembre par le secrétaire d'Etat à l'Enfance, Adrien Taquet. 

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