Cancer du poumon : le dépistage organisé permettrait de réduire la mortalité d’au moins 25%

Plusieurs pneumologues français plaident pour un dépistage systématique pour les gros fumeurs. Mais la Haute autorité de santé n’est pas de cet avis.

Maud Le Rest
Rédigé le , mis à jour le
Il n’y aura pas de nouvelles recommandations de la HAS sur le dépistage du cancer du poumon avant 2020
Il n’y aura pas de nouvelles recommandations de la HAS sur le dépistage du cancer du poumon avant 2020

Dépister le cancer du poumon par scanner thoracique chez les personnes à risque pourrait permettre de réduire la mortalité de cette maladie de l’ordre de 25% chez les hommes et de 40 à 60% chez les femmes, d’après une étude néerlando-belge. Ces résultats ont été rapportés début septembre au congrès annuel de l’association internationale pour l’étude du cancer du poumon. En 2011 déjà, une étude américaine appelée NLST avait conclu à une baisse de mortalité de 20% grâce au dépistage. Aussi de nombreux spécialistes, dont ceux de l’Intergroupe Francophone de Cancérologie Thoracique ou du Groupe d’Oncologie de la Société de Pneumologie de Langue Française, sont-ils en faveur d’un dépistage systématique pour les individus à risque, comme c’est déjà le cas aux Etats-Unis.

Une faible proportion de faux positifs

En France néanmoins, une telle mesure ne devrait pas voir le jour avant plusieurs années. En cause, une décision de la Haute autorité de santé (HAS) de 2016, qui met l’accent sur le risque de générer des faux-positifs et sur le danger des irradiations. Deux remarques qui ne passent pas pour le Pr Sébastien Couraud, oncologue et pneumologue aux hospices civils de Lyon, favorable au dépistage. Celui-ci explique en effet que l’étude américaine de 2011 avait ses limites : après un scanner, le test était soit positif, soit négatif. Il y a donc eu 97% de faux positifs. "Néanmoins, l’objectif n’était pas d’implémenter cette technique, mais de montrer qu’elle était possible", note le pneumologue. L’étude néerlando-belge est bien plus précise, selon lui : "Si les nodules sont de taille intermédiaire, on voit comment ils évoluent et on refait un scanner trois mois plus tard. Si ça a évolué de manière suspecte, le dépistage est positif." Une nuance très importante, puisqu’elle réduit grandement le nombre de faux positifs.

Quant à l’argument des irradiations, là encore, de nombreux pneumologues et oncologues se montrent dubitatifs. "Evidemment qu’il y en a. Pour autant, les scanners de l’étude NLST, qui a duré des années 2000 à 2010, ne sont pas les mêmes que maintenant. A l’époque, un scanner, c’était, en moyenne, l’équivalent de six mois d’irradiation naturelle. Aujourd’hui, on peut réduire de deux à trois fois cette dose. Bientôt d’ailleurs, elle sera encore réduite et équivalente à celle qu’on reçoit lors d’une mammographie, par exemple", résume le praticien. Reste le risque de cancer radio-induit. Si le pneumologue reconnaît que le risque zéro n’existe pas, pour lui, l’argument est assez bancal. En effet, un tel cancer met 10 à 30 ans pour se développer, et ici, les individus concernés ont autour de 60 ans. Le risque est donc "acceptable", d’autant qu’il est grandement réduit après 50 ans.

Déceler des cancers à un stade plus précoce

Aujourd’hui, pour le Pr Couraud, les preuves de l’efficacité et des effets bénéfiques du dépistage systématique des individus à risques sont donc largement suffisantes pour commencer à mettre en place des expérimentations, comme c’est notamment le cas en Grande-Bretagne, en Allemagne ou en Italie. Car en France, pour le moment, seule une opération du genre est en cours. C’est le Dr Olivier Leleu, dans la Somme, qui réalise une étude de cohorte sur 1.200 personnes. Néanmoins, après l’avis négatif de la HAS, l’Agence régionale de santé (ARS) a arrêté de subventionner la recherche. L’étude continue malgré tout, et les personnes concernées montrent un réel engouement. Le taux de participation est en effet estimé à 78% sur la population à risque de la Somme. Pour le Pr Couraud, c’est la preuve que les gros fumeurs sont prêts à se faire dépister.

Il n’y aura néanmoins pas de nouvelles recommandations de la HAS sur le dépistage du cancer du poumon avant 2020. Beaucoup trop tard pour le Pr Couraud : une détection précoce du cancer du poumon (au stade 1 ou 2) entraîne une guérison dans 90% des cas. Aussi un dépistage généralisé pour les gros fumeurs et les anciens gros fumeurs permettrait-il, d’après les spécialistes, de sauver 7.500 vies chaque année, soit deux fois plus que le nombre de personnes tuées sur les routes. "D’ici 2020, ça fera donc 15.000 morts en plus", conclut tristement le pneumologue.

"Faut-il instaurer un dépistage organisé du cancer du poumon ?" Sujet diffusé le 6 septembre 2018.