Les hommes ne laissent pas les souris de laboratoire indifférentes...

Une étude internationale révèle que l'odeur des mâles de l'espèce humaine - mais pas celle de nos femelles - provoque une réaction de stress chez les souris, qui entraîne une diminution de leurs réactions à certains stimuli. Ces résultats, s'ils étaient confirmés, obligeraient les scientifiques à repenser la façon dont ils conduisent leurs expériences...

La rédaction d'Allo Docteurs
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Les hommes ne laissent pas les souris de laboratoire indifférentes...

Dans ses locaux de l'Université McGill de Montréal, le professeur Jeffrey Mogil coordonne depuis de nombreuses années des études sur les conséquences du ressenti de la douleur sur le comportement. Pour pouvoir étudier la réaction de nombreux animaux à un niveau de douleur donné, les chercheurs injectent un dosage très précis d'une substance inflammatoire.

Plusieurs collaborateurs de Jeffrey Mogil s'étonnaient, toutefois, du temps souvent anormalement long mis par cette substance pour agir chez ces souris. Le produit utilisé était-il frelaté ?

En visionnant les vidéos des expériences, un membre de l'équipe observa que le produit commençait toujours à faire effet au moment où les scientifiques quittaient la pièce pour prendre leur pause. Simple hasard ?

Pour en avoir le cœur net, les chercheurs ont observé le comportement des souris dans deux situations : soit le laborantin chargé de réaliser la piqûre quittait la pièce dès son travail terminé, soit celui-ci restait dans la pièce de façon passive, en lisant un livre, une demi-heure durant. La douleur ressentie par les souris était évaluée à l'aide d'une mesure des contractions des muscles de leur face.

Les hommes font de l'effet

Comme le suspectaient les chercheurs, en l'absence d'être humain dans les parages, l'effet de la substance était toujours immédiat. En revanche, le produit inflammatoire agissait à retardement lorsque le laborantin en présence... était un homme. Au vu de cette première série d'expériences, les femmes n'avaient aucun effet antalgique sur les rongeurs.

Les chercheurs ont réitéré l'expérience avec une petite variante. Au lieu de laisser un individu - masculin ou féminin -  dans la pièce, ils ont abandonné sur une chaise des T-shirts portés une nuit durant. En présence des T-shirts d'hommes, l'intensité de la douleur ressentie (et son temps de survenue) était très significativement plus faible qu'en présence d'un vêtement porté par une femme.

La perception d'une senteur masculine par les souris (mâles et femelles) semblait donc provoquer un phénomène antalgique puissant.

Peu importe l'espèce

En collaboration avec plusieurs laboratoires étrangers, les chercheurs ont réalisé une troisième série d'expériences au cours desquelles les odeurs diffusées n'étaient plus celles d'humains, mais celles de chats, de chiens, de rats et de souris. Le résultat fut, là encore, parfaitement clair : seules les odeurs mâles déclenchent le phénomène analgésique chez les souris de laboratoire, peu importe l'espèce.

La senteur doit être celle d'un mâle qui n'est pas familier à l'animal. Au fil des heures, l'effet se dissipe. Et si la souris a respiré, toute une après-midi durant, les effluves d'un mâle donné, celles-ci seront incapables de déclencher le phénomène.

Un stress analgésique

Des prélèvements sanguins ont permis de comprendre le mécanisme à l'oeuvre : la présence d'odeurs mâles stresse tout simplement les souris. Or, les substances chimiques sécrétées par un organisme stressé ont pour effet de diminuer l'intensité de la douleur ressentie. En présence d'un producteur de testostérone, les souris ont une réaction "comparable à celle observée après avoir enfermé les rongeurs dans un tube pendant 15 minutes ou les avoir forcées à nager pendant trois minutes", précisent les scientifiques.

"[Ces résultats] suggèrent que le sexe de l'expérimentateur est l'une des principales causes des difficultés rencontrées par les scientifiques pour reproduire les expériences sur l'animal", explique dans un communiqué Robert Sorge, qui a dirigé les expériences dans le laboratoire de Jeffrey Mogil. Or, observe-t-il, ce paramètre n'est jamais mentionné lorsqu'un protocole expérimental est décrit dans une étude scientifique.

Jeffrey Mogil observe pour sa part que ce sérieux problème peut être facilement résolu, "en apportant des changements simples aux méthodes expérimentales." En effet, "puisque les effets de la présence masculine diminuent au fil du temps, l'expérimentateur pourrait demeurer dans la même pièce que les animaux avant le début de l'essai. À tout le moins, le texte des articles publiés devrait préciser le sexe de l'expérimentateur ayant procédé aux tests de comportement." 


Source : Olfactory exposure to males, including men, causes stress and related analgesia in rodents. R.E. Sorge, J.S. Mogil et coll. Nature Methods, 28 avril 2014. doi:10.1038/nmeth.2935