Les compléments alimentaires ne soulagent que votre portefeuille

La prise de suppléments vitaminiques ou minéraux permet-elle réellement de prévenir l'apparition de maladies chroniques ? Trois études scientifiques d'envergure, publiées le 17 décembre 2013 dans la prestigieuse revue médicale Annals of Internal Medicine, démontrent qu'acheter ces produits "revient à jeter son argent par les fenêtres"...

Florian Gouthière
Rédigé le
Les compléments alimentaires ne soulagent que votre portefeuille

Les médecins garants du sérieux éditorial de la revue Annals of Internal Medicine, à la lumière de trois nouvelles études publiées dans leurs colonnes, se sont fendus d'un éditorial cinglant : "Trop, c'est trop : arrêtez de gâcher votre argent dans les compléments alimentaires et les suppléments vitaminiques" !

"La plupart des suppléments minéraux et vitaminiques ne présentent aucun avantage clair", résument-ils. "[Ils] pourraient même être nocifs chez les adultes bien nourris, et ne doivent pas être utilisés pour la prévention des maladies chroniques !"

Ce cri d'alarme n'a rien de gratuit. Utiles pour compenser certaines carences alimentaires avérées (notamment, dans le contexte d'une hospitalisation), ces médicaments sont très largement consommés dans les pays développés... alors que les preuves de leur inutilité, pour des adultes ne souffrant pas d'une maladie particulière, s'accumulent au gré des études épidémiologiques.

Trois nouvelles études sans appel

Une étude française, publiée fin octobre 2013 dans le British Journal of Nutrition, rappelait qu'une alimentation équilibrée est largement suffisante pour apporter à l'organisme tous les nutriments qui lui sont nécessaires pour fonctionner.

Pour ce qui est de la prévention des maladies, les trois études présentées dans Annals of Internal Medicine conduisent à des conclusions tout aussi défavorables quant à l'utilisation de ces produits.

La première de ces recherches a porté sur l'analyse de vingt-sept expérimentations cliniques relatives à des suppléments vitaminiques, administrés à différents dosages et sous différentes combinaisons à plus de 400.000 participants, sur dix ans. Au terme de leurs analyses, les chercheurs concluent que les arguments en faveur "du moindre bénéfice" de ces produits, en terme de prévention des cancers, "sont minces" : un effet extrêmement modéré, "à la limite de la signification statistique", est suggéré pour la prévention des cancers "chez l'homme"... Aucune supplémentation n'a révélé d'effet sur la prévention des maladies cardiovasculaires.

Les auteurs observent que les préconisations actuelles aux Etats-Unis, relatives à la prise de compléments alimentaires, sont basées sur des observations in vitro et in vivo chez l'animal – et donc dans des conditions expérimentales très particulières...

La deuxième étude publiée par Annals of Internal Medicine s'est intéressée à l'éventuel effet protecteur d'une prise quotidienne de suppléments vitaminiques sur le déclin des fonctions cognitives humaines. Menée sur près de 6.000 hommes de plus de 65 ans, sa conclusion est sans appel : aucune différence n'a été observée dans l'évolution des performances cognitives, ni même celles relatives à la mémoire verbale, entre les personnes prenant une dose quotidienne de vitamines et celles prenant un placebo. Les dosages standards actuels de supplémentation sont, tout du moins, trop faibles pour révéler le moindre effet chez des patients qui se nourrissent normalement.

La troisième étude, menée sur près de cinq ans auprès de 1.708 patients, portait sur l'intérêt d'une supplémentation massive en 28 vitamines pour prévenir les récidives de maladies cardiovasculaires. Comparées à la prise de placebos, même "à fortes doses", cette supplémentation "n'a pas réduit de façon statistiquement significative les événements cardiovasculaires chez les patients". (1)

Des dangers avérés

L'ingestion inconsidérée de compléments alimentaires n'est malheureusement pas sans risque.

Une étude publiée dans The Lancet en 2003 recensait les cas cliniques d'interactions malheureuses entre un traitement médical et les composés présents dans les suppléments ou entre les vitamines elles-mêmes. De nombreux cas d'infarctus du myocarde, d'insuffisance hépatique, d'hémorragie (et leurs conséquences) étaient ainsi énumérés...

Des travaux de 2005 ont également démontré que la supplémentation en bêta-carotène (vitamine A) accroissait le risque de cancer chez les fumeuses, du fait d'interactions avec des composés présents dans le tabac. (2) La même année, des travaux publiés dans Annals of Intenal Medecine démontraient qu'une supplémentation en vitamine E était associée avec un accroissement de "tous les risques de mortalité".

Une industrie florissante

Les articles publiés dans Annals of Internal Medecine ont suscité l'ire du syndicat professionnel des industriels de la supplémentation alimentaire.

Dans un communiqué, ces derniers affirment que les dangers précédemment évoqués concernent une partie infime de la population. D'autre part, ils rappellent que des études ont démontré l'efficacité de l'apport vitaminique pour la prévention des cancers chez les hommes ou du développement de la cataracte. Ils se gardent toutefois de mentionner que les travaux évoqués ont été abondamment critiqués, dès leur publication, du fait de nombreux biais méthodologiques...

Aux Etats-Unis, près de la moitié de la population utiliserait des compléments alimentaires, selon le National Health and Nutrition Examination Survey. Douze milliards de dollars sont dépensés chaque année sur ce territoire pour l'achat de suppléments vitaminiques et minéraux. Il est donc peu étonnant que les industriels soient si rapidement monté au créneau contre Annals of Internal Medicine, la revue suggérant que l'argent inconsidérément dépensé dans ces produits pourrait tout simplement être utilisé... pour améliorer la qualité des repas des consommateurs.

 

A LIRE AUSSI

Sources :
- Enough Is Enough: Stop Wasting Money on Vitamin and Mineral Supplements, E. Guallar, S. Stranges, C. Mulrow, L. J. Appel, E.R. Miller III Ann Intern Med. 2013, doi:10.7326/0003-4819-159-12-201312170-00011
- Vitamin and Mineral Supplements in the Primary Prevention of Cardiovascular Disease and Cancer: An Updated Systematic Evidence Review for the U.S. Preventive Services Task Force, S. Fortmann, B.U. Burda, C.A. Senger, J. S. Lin, E.P. Whitlock, Ann Intern Med. 2013, doi:10.7326/0003-4819-159-12-201312170-00729 (article en libre accès)
- Oral High-Dose Multivitamins and Minerals After Myocardial Infarction: A Randomized Trial, G. A. Lamas, R. Boineau, C. Goertz, D. B. Mark, Y. Rosenberg, M. Stylianou, T. Rozema, R. Nahin, L. Lindblad, E. F. Lewis, J. Drisko, K. L. Lee (Trial to Assess Chelation Therapy) Ann Intern Med. 2013, doi:10.7326/0003-4819-159-12-201312170-00004
- Long-Term Multivitamin Supplementation and Cognitive Function in Men: A Randomized Trial, F. Grodstein, J. O'Brien, J. Hee Kang, R. Dushkes, N. R. Cook, O. Okereke, J.E. Manson, R. J. Glynn, J. E. Buring, J.M. Gaziano, H.D. Sesso, Ann Intern Med. 2013, doi:10.7326/0003-4819-159-12-201312170-00006
- Sociodemographic, lifestyle and dietary correlates of dietary supplement use in a large sample of French adults: results from the NutriNet-Santé cohort study, C. Pouchieu, V.A. Andreeva, S. Péneau, E. Kesse-Guyot, C. Lassale, S. Hercberg, M. Touvier British Journal of Nutrition, 2013. doi:10.1017/S0007114513000615
- Adverse events associated with dietary supplements: an observational study M.E. Palmer, C. Haller, P.E. McKinney, W. Klein-Schwartz, A. Tschirgi, S.C. Smolinske, A. Woolf, B. M. Sprague, R. Ko, G. Everson, L. S. Nelson, T. Dodd-Butera, W.D. Bartlett, B.R. Landzber, Lancet 2003. doi :10.1016/S0140-6736(03)12227-1
- Dual Association of beta-carotene with risk of tobacco-related cancers in a cohort of French women. M. Touvier, E. Kesse, F. Clavel-Chapelon, M.C.  Boutron-Ruault, J Natl Cancer Inst. 2005. doi:10.1093/jnci/dji276

En France, 14,6% des hommes et 28,1% des femmes consommeraient "plus de trois fois par semaine" des compléments alimentaires (au premier rang desquels du magnésium et des vitamines B6 et C), selon une étude réalisée auprès de 79.786 Français, publiée fin octobre 2013 dans la revue British Journal of Nutrition. Ces suppléments sont consommés sans avis médical dans 45% des cas.