Pérou : le drame des femmes stérilisées de force

Au Pérou, des milliers de femmes vont peut-être enfin obtenir justice après avoir été stérilisées sans leur consentement.

La rédaction d'Allo Docteurs
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Rédigé le , mis à jour le
Chronique de Géraldine Zamansky, journaliste, du 23 mai 2018
Chronique de Géraldine Zamansky, journaliste, du 23 mai 2018

Selon les ONG qui les défendent, elles seraient plus de 200.000 victimes à avoir subi une stérilisation forcée. Car au Pérou, le président Alberto Fujimori  a lancé en 1993 un vaste programme de planification familiale. Cela lui a même valu des applaudissements aux Nations Unies en affirmant que tout reposait sur le consentement des femmes, soit plus de 300.000 volontaires au terme officiel de cette campagne en 1999. Une théorie qui ne correspond absolument pas à la réalité.

Car d'après de nombreux témoignages, à aucun moment, on ne leur a demandé leur aval avant de procéder à la ligature de leurs trompes. Malgré les pressions subies, certaines femmes ont tout de même réussi à faire condamner leur médecin et ont obtenu une indemnité.

Les victimes de stérilisations forcées demandent justice

Ces femmes qui ont obtenu justice n'hésitent pas à continuer leur combat pour toutes les autres victimes, et surtout pour que les véritables responsables soient à leur tour condamnés. Des ONG comme Demus aident toutes ces femmes à récupérer des documents et à constituer un dossier afin de saisir la justice au niveau national en compagnie d'autres associations, et ce malgré les nombreux non-lieux déjà prononcés.

Plus de vingt ans après les faits, le procureur général Luis Landa a enfin ordonné l'inculpation de l'ancien président Alberto Fujimori et de trois de ses anciens ministres de la Santé dans les affaires concernant sept victimes de blessures graves ayant causé la mort et 2.166 victimes de blessures graves.

De nombreux décès

Selon les associations, il y a eu plus de 7 décès. Elles estiment à 18 le nombre de femmes qui ont perdu la vie à cause de la procédure de stérilisation réalisée non seulement sans consentement mais aussi, très souvent, dans des conditions déplorables. Mamerita Mestanza fait partie des cas officiellement reconnus. En 1998, elle a laissé derrière elle sept orphelins. C'est pour ce drame que des ONG péruviennes ont décidé de porter plainte contre leur Etat devant la Commission Interaméricaine des Droits de l'Homme (CIDH).

En 2003, l'Etat péruvien a reconnu ses torts, a indemnisé la famille et s'est engagé à faire une investigation sur l'ensemble des faits. Mais il faudra que la CIDH intervienne une nouvelle fois en 2011 en déclarant qu'il s'agissait de crimes contre l'humanité pour éviter la prescription. C'est grâce à elle que la procédure vient d'être relancée.

Il s'agit d'un espoir pour les familles orphelines et pour toutes les victimes qui ont survécu mais avec de graves séquelles. Des femmes dont les témoignages sont recueillis grâce au répondeur très particulier du "Projet Quipu". Ses membres sont allés dans toutes les régions concernées. Ils ont échangé avec les victimes et distribué des téléphones "relais" pour que chacune puisse confier son témoignage et écouter ceux des autres.
Le principe étant de préserver l'anonymat.

La précarité fait des victimes des cibles faciles. Plusieurs femmes racontent qu'on leur a fait un chantage dans leur centre de santé local : pas d’aide alimentaire pour un enfant malnutri sans stérilisation par exemple... Et même si elles refusaient, elles étaient souvent opérées immédiatement de force. Les infections ont été très fréquentes et graves, avec des douleurs telles qu'un grand nombre de victimes sont devenues incapables de reprendre leurs activités quotidiennes souvent très physiques. S'ajoute aussi le choc psychologique, dans une société où une femme stérile perd une grande part de son statut social.

Des équipes médicales complices

Des quotas étaient fixés avec parfois des centaines de stérilisations à pratiquer en quelques jours. Si les médecins refusaient, ils étaient mutés. Et pour le personnel soignant, aux revenus assez faibles, des rémunérations en liquide ou en alimentation auraient été proposées. Cela expliquerait l'incroyable implication d'infirmières qui allaient chercher les femmes chez elles sous différents prétextes, comme un bilan de santé gratuit pour un enfant...

En plus de pointer du doigt les gouvernants, le procureur général dénonce aussi les intermédiaires régionaux et tous les intermédiaires. Mais il n'est pas sûr que tout le monde arrive sur le banc des accusés. Maria Ysabel, présidente de l'ONG Demus, au coeur de cette procédure, sait que la partie est loin d'être gagnée mais elle espère tout demême que la grande mobilisation actuelle, y compris internationale, permettra aux victimes d'obtenir justice.