Comment le cannibalisme a protégé une tribu d'une maladie cérébrale

Le cannibalisme a parfois ses bons côtés... La consommation de cerveau humain a rendu une tribu de Papouasie-Nouvelle Guinée résistante à une maladie neurodégénérative : le kuru, semblable à la "maladie de la vache folle".

La rédaction d'Allo Docteurs
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Rédigé le , mis à jour le
La tribu Fore est l'une des multiples tribus de Papouasie-Nouvelle Guinée, en Océanie (Image d'illustration) - Vidéo : ''Du cannibalisme à la découverte des prions", chronique du Dr Bruno Halioua, historien de la médecine
La tribu Fore est l'une des multiples tribus de Papouasie-Nouvelle Guinée, en Océanie (Image d'illustration) - Vidéo : ''Du cannibalisme à la découverte des prions", chronique du Dr Bruno Halioua, historien de la médecine

Dans les années 1950, une épidémie frappe les Fores, une tribu isolée de Papouasie-Nouvelle Guinée. Signifiant frisson, le kuru est en réalité une maladie neurodégénérative, qui se propage rapidement dans la tribu, tuant, au pic de l'épidémie, 2% de la population chaque année. La maladie, causée par des prions, est proche de celle de la vache folle. Inquiets, les scientifiques décident alors, dès les années 1960, d'enquêter sur les origines de cette mystérieuse maladie. Les rites funéraires des Fores les interpellent particulièrement. En signe de respect pour leurs morts, les femmes et les enfants consommaient en effet (jusqu'à l'interdiction de la pratique) le cerveau du défunt avant l'enterrement. Les hommes, se contentaient quant à eux de déguster la chair. Observant que le kuru touchait principalement les femmes, les chercheurs ont alors compris que la consommation de cerveau était à l'origine de la maladie.

Étonnement, certains Fores semblaient totalement immunisés contre le kuru, suggérant aux scientifiques l'idée qu'il existait une résistance transmise de génération en génération. Le 10 juin dernier, l'origine de cette résistance a été identifiée par une équipe de recherche britannique, dont les travaux sont publiés dans Nature. La résistance proviendrait de mutations génétiques protectrices. Pour vérifier leur hypothèse, ils ont implanté ces gènes à des souris. Selon eux, les résultats ne pouvaient pas être plus clairs, car l'ensemble des souris génétiquement modifiées sont devenues résistantes non seulement au kuru, mais également à d'autres maladies du même type, comme Creutzfeldt-Jakob ou la vache folle.

Un gène protecteur contre la formation de prions

Le point commun entre toutes ces maladies est qu'elles sont causées par des prions, un agent infectieux à l'origine de nombreuses pathologies cérébrales. Les protéines du prion sont capables de changer de forme pour s'agréger les unes aux autres et endommager ainsi le cerveau. La mutation génétique protectrice des Fores empêche justement que ces protéines changent de forme et ne deviennent un prion. Le mécanisme d'infection est alors bloqué.

Cet incroyable exemple d'évolution Darwinienne est extrêmement rapide et montre l'adaptation humaine en pleine action. Comme tous les caractères nouveaux acquis par les hommes ou les animaux au cours de l'histoire, l'apparition de cette mutation résulte du simple hasard. Mais elle a pu être transmise de génération en génération, car elle permettait à ceux qui la possédaient de mieux survivre. Ainsi, grâce à cette sélection naturelle, la tribu Fore a pu se repeupler car de plus en plus d'habitants portaient la mutation protectrice. Une version similaire de ce gène a d'ailleurs été retrouvée au Japon et en Europe. Pour les chercheurs, cela suggère que les mêmes conditions sont probablement apparues dans ces régions. A savoir cannibalisme et épidémie de kuru…

Les infections à prions seraient à l'origine de maladies bien plus connues que le kuru, comme la maladie d'Alzheimer et de Parkinson. Les chercheurs espèrent ainsi que leur découverte pourra aider à développer des traitements, au delà des frontières de Papouasie-Nouvelle Guinée.

par Léa Galanopoulo, journaliste Allodocteurs.fr

Source : A naturally occurring variant of the human prion protein completely prevents prion disease. E. Asante et al. Nature, juin 2015. doi:10.1038/nature14510