Oui, les femmes se forcent encore à faire l'amour

Se forcer un peu à faire l'amour, pour contenter l'autre ou parce "qu'il le faut"... L'idée de devoir des relations sexuelles régulières à son partenaire reste ancrée dans le couple et repose davantage sur les femmes. Comment sortir de cette obligation et réinventer une sexualité plus épanouissante ?

Dr Charlotte Tourmente
Dr Charlotte Tourmente
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40% des hommes moins de 30 ans admettent ne pas vérifier systématiquement que leur partenaire est consentante avant un rapport sexuel.
40% des hommes moins de 30 ans admettent ne pas vérifier systématiquement que leur partenaire est consentante avant un rapport sexuel.  —  Shutterstock

33% des Françaises ont déjà eu rapport devant l'insistance de leur partenaire et 37% ont déjà vécu une situation de non consentement, d'après le dernier rapport du Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes.    

Pourquoi les femmes se sentent-elles parfois obligées de faire l'amour ? Le désuet devoir conjugal aurait-il laissé un héritage pesant sur la sexualité d'aujourd'hui ? C'est le postulat que fait Fanny Anseaume, dans son livre Le devoir conjugal, on en est où après me too ?, publié aux éditions Leduc.

L'obligation d'un dû sexuel pèse sur les femmes

Ce terme semble issu d'une autre époque, après la libération sexuelle de la femme, la pilule, le mouvement Me too... Pourtant, sa définition fait écho au rapport du Haut conseil.   

Selon Fanny Anseaume, le devoir conjugal, "c'est faire passer sa non envie après l’envie de l'autre et son plaisir à lui." 

"C'est une notion qui peut trouver son origine dans la Bible, issue des droits et de devoirs des époux avec une notion de réciprocité, remet l'autrice dans le contexte historique. Cela a doucement glissé vers un dû sexuel des femmes envers les hommes sous prétexte que les femmes ne désiraient pas vraiment, étant donné qu’on attendait d’elles qu’elles soient prudes. Aujourd'hui, dans la loi il y a une obligation de communauté de lit et de vie, avec une fidélité du couple mais il n'y a pas d'obligation sexuelle."

Même si cette obligation n'est pas explicitement inscrite dans la loi, elle s'appuie sur des croyances, des héritages, des discours, des pratiques issus de siècles de patriarcat. "La sexualité se construit dans un système, reprend l'autrice. On jouit forcément dans un contexte. On désire selon des codes."  

Or la sexualité et le couple hétérosexuels actuels se sont construits dans un système patriarcal, dont il est impossible de faire abstraction. 

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Le consentement en questions

Inévitablement, ce "sentiment d’obligation" à avoir des relations sexuelles questionne le consentement, incontournable au 21e siècle.   

"Parler du consentement me parait primordial pour bien identifier en quoi la sexualité lourde de ses héritages patriarcaux est déséquilibrée, explicite Fanny Anseaume. Dans ces structures inégalitaires, le désir des hommes prévaut généralement sur l'envie ou la non envie des femmes et leur consentement."   

Malgré l'égalité en droits, hommes et femmes ont intériorisé la hiérarchisation du désir. Ce qui biaise forcément la notion de consentement.   

En pratique, entre un consentement clair et le viol, il y a toute une palette de nuances : se laisser tenter de façon consentie, céder devant l'insistance (qui n'est pas synonyme de consentir), jusqu'à être forcée proprement dit, ce qui relève d'un viol. 

 "Comme l'explique la philosophe Marie Darrieussecq dans le documentaire Sexe sans Consentement, ces zones grises seraient acceptables s'il y avait une grande confiance entre les sexes et si les logiques de domination n'étaient pas systématiquement les mêmes", souligne dans son livre Fanny Anseaume.       

Les hommes, inconscients de l'obligation sexuelle

Dans un sondage IFOP en 2019 portant sur le consentement, 24% des hommes de 18 à 24 ans pensent que beaucoup de femmes disent non alors que c'est en réalité oui. 40% des moins de 30 ans admettent ne pas vérifier systématiquement que leur partenaire est consentante avant un rapport sexuel (contre 24% de l'ensemble des hommes sondés).

"Il me semble que la plupart des hommes n’ont pas conscience du 'devoir conjugal' ou de ce sentiment d’obligation, évalue Fanny Anseaume. Plus encore, même si bien des hommes ne soumettent pas leur partenaire à une pression sur ce sujet, il y a une montagne d’éléments extérieurs, comme la norme ou la morale, et intérieures comme l’envie de plaire, le désir d’intimité… qui amènent les femmes à accéder à des relations sexuelles alors même que le désir charnel pur n’est pas présent au début des ébats. Je crois que c’est une notion qui échappe à la plupart des hommes."   

Dans des structures patriarcales, les femmes apprennent très tôt que leur valeur passe par le regard et le désir des hommes. De plus, elles sont moins poussées à se connecter à leurs propres désirs sexuels. 

Elles développent alors des raisons plus complexes que les hommes pour avoir un rapport : le fait d'être désirable et aimable (qui confirme leur valeur), l'envie de faire plaisir, la peur qu'il aille voir ailleurs. Ce schéma est très intégré dans les couples.

Comment rétablir l'équilibre ?

Accepter le poids de l'histoire sur les couples hétérosexuels est une première étape dans la compréhension. Prendre conscience de l'obligation que ressentent parfois les femmes est également une étape incontournable, aussi bien pour les hommes que pour les femmes.   

Réfléchir sur son histoire, sur son désir, sur ce qui est excitant et ne l'est pas, sur l'affirmation de soi, de son désir et de son non-désir, donne aussi des pistes pour prendre du recul sur des réflexes et des comportements qui relèvent presque d'automatisme. Cette réflexion est parfois plus simple avec un regard extérieur neutre, même s'il faut dépasser l'impudeur de se livrer à un sexologue ou psychologue.   

D'autre part, réhabiliter le consentement devrait se faire même dans des couples de longue durée, où bien souvent il passe à l'as par habitude.

 "Les hommes pourraient prendre une vraie place dans la sexualité, non comme conquérant mais comme partenaire afin de créer une intimité bénéfique aux deux parties, estime Fanny Anseaume. En se demandant par exemple ce qui est séduisant pour leur partenaire. Le simple fait de sentir que l'autre se pose la question de ce qui est excitant est érogène : c'est être vue par l'autre, reconnue en tant qu'être désirant..."   

Quant aux femmes, prioriser leurs désirs, à l'instar des hommes, ferait gagner en qualité le rapport sexuel et en plaisirs. Par ricochet, c'est le couple qui sortira vainqueur d'un désir plus égalitaire. 

Quels sont les désirs sexuels des français  ?
Quels sont les désirs sexuels des français ?  —  Le Mag de la Santé - France 5