Le syndrome de l'auto-brasserie ou quand l'intestin produit de l'alcool...

Un Américain de 46 ans et un Chinois de 27 ans ont en commun le syndrome de l’auto-brasserie. Certaines bactéries présentes dans leurs intestins produisent de l’alcool et les rendent saouls « de l’intérieur »… 

La rédaction d'Allo Docteurs
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Rédigé le , mis à jour le
La bière est comme toutes les boissons alcoolisées, à consommer avec modération !
La bière est comme toutes les boissons alcoolisées, à consommer avec modération !  —  Crédit photo : ©Pixabay - spooky_kid

Personne ne voulait le croire. Quand un habitant de l’Ohio a été arrêté un matin au volant avec un taux d’alcoolémie équivalent à une consommation de dix verres de whisky, les forces de police comme les médecins de l’hôpital étaient sûrs qu’il mentait en affirmant avoir simplement petit-déjeuné.

Le syndrome de l'auto-brasserie

Heureusement, sa tante avait entendu parler d’une maladie étrange : le syndrome de l’auto-brasserie (SAB), c’est-à-dire la production d’alcool par certaines bactéries intestinales. Et quelques semaines plus tard, la preuve de l’innocence du conducteur fut apportée par l’analyse de ses selles. Le coupable était une bactérie dans sa flore intestinale : Saccharomyces cerevisiae, une bactérie utilisée par les brasseurs pour obtenir de la bière grâce à la fermentation.

Dès que cet homme consommait des glucides, ingrédients clés pour ce breuvage, il produisait son propre alcool. Un véritable fléau lorsqu’il voulait conduire en toute sécurité.

Mais ce diagnostic n’a pas mis fin à son calvaire. Pendant les mois d’errances thérapeutiques qui ont suivi, il a même fait une chute en état d’ébriété responsable d’une hémorragie cérébrale. Seuls les spécialistes du Richmond University Medical Centre ont enfin réussi à le traiter en rééquilibrant sa flore intestinale.  Leur hypothèse sur l’origine de ce dérèglement : un traitement antibiotique pris après une blessure au pouce en 2011 aurait laissé une place dangereuse à la levure de bière dans son intestin ! L’équipe médicale a donc publié ce cas haut-en-couleurs dans le BMJ pour faire mieux connaître ce syndrome. L’enjeu est considérable : son diagnostic et sa prise en charge précoces éviteraient notamment des accidents - et de la prison à des personnes que l’on traite de menteurs…

Un jeune chinois saoûl en buvant des sodas

Une histoire similaire a récemment mobilisé les médecins d’un Institut Pédiatrique de Pékin. C’est un jeune homme de 27 ans qui est venu chercher leur aide. Il lui arrivait d’être saoul au point de perdre connaissance après avoir seulement bu des sodas ! Lorsqu’ils l’ont hospitalisé, les médecins ont découvert que son foie était très abîmé, … un état aujourd’hui appelé NASH (non alcoholic steatohepatitis - stéatose hépatique non alcoolique),  le « syndrome du foie gras », plutôt associé à l’obésité et au diabète.

Mais devant le profil atypique de leur patient, ses médecins sont partis sur la piste du syndrome de l’auto-brasserie.. et n’ont trouvé aucune levure caractéristique dans son microbiote intestinal ! A force de persévérance, une autre bactérie a été identifiée en quantité anormale : Klebsiella pneumonia. Une souche particulière capable de produire beaucoup d’alcool dans un intestin rempli d’aliments sucrés, particulièrement prisés du patient.

Un espoir de traitement contre la "maladie du foie gras" ?

Intrigués, les médecins l’ont alors cherchée chez d’autres patients souffrant de NASH. La bactérie était très présente dans plus de 60% des cas. L’hypothèse d’un lien de causalité a donc été testée chez la souris. Et quelques mois plus tard, l’équipe vient de publier ses conclusions dans Cell Metabolism : "Notre étude montre que K. pneumonia est très probablement une des causes de NASH, explique le Pr Jing Yuan. Cette bactérie abîme votre foie exactement  comme l’alcool… sauf que vous n’avez pas le choix". L’espoir, c’est de réussir, là aussi, à mieux diagnostiquer ce phénomène. "Aux stades précoces, cette maladie du foie gras est réversible, poursuit-il. Si on peut identifier la cause plus tôt, nous pourrions mettre en œuvre un traitement rapidement et même éviter l’atteinte du foie".  Mais l’équipe ne donne pas de nouvelles du patient qui a permis cette surprenante découverte…