Addiction aux jeux : plus d’un million de joueurs à risque modéré en France

Les Français sont moins nombreux à jouer aux jeux d’argent et de hasard qu’il y a cinq ans, mais ils y jouent de façon plus excessive selon Santé publique France. Une addiction encore trop banalisée et trop peu soignée.

Laurène Levy
Rédigé le , mis à jour le
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Image d'illustration.  —  Crédits Photo : © Shutterstock / Alexander Kirch

Loto, jeux à gratter, paris sportifs ou poker en ligne… En 2019, 47,2 % des Français âgés de 18 à 75 ans déclarent avoir joué au moins une fois à un jeu d’argent et de hasard au cours de l’année écoulée, selon l'analyse du Baromètre de Santé publique France(1) par l'Observatoire des jeux (ODJ) et l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) publiée le 30 juin 2020.

1,37 million de joueurs problématiques

Et si en cinq ans, la part des Français de 18-75 ans déclarant pratiquer les jeux d’argent et de hasard a globalement diminué de 10%, davantage de joueurs présentent un profil à risque. Ainsi, en 2014, Santé publique France comptait 4,6% de joueurs problématiques (3,8 % de joueurs à risque modéré et 0,8% de joueurs excessifs) contre 6% en 2019 (4,4% joueurs à risque modéré et 1,6 % de joueurs excessifs).

Ce qui représente sur l’année écoulée 1,37 million de joueurs problématiques, dont un million à risque modéré et 370.000 joueurs excessifs. "À eux seuls, ces joueurs génèrent près de 40 % du chiffre d’affaires des différentes activités " observe Santé publique France.

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Du jeu modéré vers le jeu excessif

Globalement, en 2019, les joueurs sont donc moins nombreux, mais plus "addicts" qu’en 2014. Alors que le comportement des joueurs "à risque modéré" ne possède encore que "peu de conséquence négative sur vie professionnelle ou familiale", celui des joueurs excessifs exerce un "vrai retentissement" sur la vie de tous les jours et implique souvent des dettes et un abandon des autres activités, détaille la docteure Sarah Coscas, psychiatre addictologue à l’hôpital Paul Brousse à Villejuif (Val-de-Marne).

Problème : "tous les joueurs excessifs ont d’abord été à risque modéré, c’est un phénomène progressif" précise la spécialiste. Et, en France, "jouer constitue quasiment une banalité". Ainsi, les jeux, comme l’alcool, bénéficient d’une "vision positive, récréative et même sympathique". Pourtant, le glissement vers une pratique excessive et addictive peut être très rapide.

Des hommes jeunes, de milieu modeste et peu actifs

Quel est le profil de ces joueurs à risque ? Il s’agit majoritairement d’hommes jeunes, selon Santé publique France. Ceux-ci vont davantage se tourner vers "les paris sportifs et les jeux en ligne" quand "les femmes préfèrent les machines à sous et les jeux de grattage" précise la docteure Coscas. Car dans tous les cas, les joueurs privilégient souvent un jeu en particulier, "comme pour toutes les addictions" ajoute-t-elle.

Autre particularité de ces joueurs excessifs : ils appartiennent "à des milieux sociaux modestes", et ont "un niveau d’éducation et des revenus inférieurs à ceux des autres joueurs" détaille Santé publique France. Ils sont également "moins actifs" sur le plan professionnel et "plus fréquemment chômeurs" précise l’agence sanitaire. Et justement, "le glissement vers l’addiction s’opère souvent quand la personne se retrouve avec une perte d’activité ou des difficultés personnelles" explique Sarah Coscas.

Identifier, prévenir et soigner

Mais il est très rare que les patients consultent uniquement pour une addiction au jeu. Et, lorsque c’est le cas, c’est souvent très tardivement, lorsque le patient présente "des dettes, des dépressions secondaires aux dettes, des vols voire des violences intrafamiliales ou des actes de délinquance pour obtenir l’argent nécessaire au jeu" dévoile la psychiatre.

Pour elle, il est désormais indispensable de poser la question du jeu en consultation, sans quoi le médecin risque de passer à côté d’une éventuelle addiction. "Parmi les patients soignés à l’hôpital Paul Brousse, le jeu, même sans être excessif, est extrêmement fréquent" note-t-elle d’ailleurs.

Un manque de structures adaptées

Au-delà de ce rôle diagnostique du médecin, quelles sont les pistes pour prévenir et encadrer l’addiction aux jeux ? Le gouvernement a déjà mis en place depuis 2010 un message de prévention dans les publicités pour les jeux d’argent et de hasard du type "Jouer comporte des risques : endettement, dépendance et isolement, appelez le 09.74.75.13.13(2)". Mais, de l’avis de la docteure Coscas, cela "n’a pas changé grand-chose". Il existe aussi un site internet : Joueurs info service, avec un messagerie instantanée accessible 7j/7 de 8h à minuit.

En parallèle, cette spécialiste préconise d’ouvrir des centres de soins capables de recevoir les joueurs problématiques car "les patients se plaignent souvent de pas avoir structures près de chez eux pour se soigner" témoigne-t-elle.

Protéger les mineurs en priorité

Mais pour Sarah Coscas, la cible prioritaire est la même que pour l’alcool : les mineurs. Car la vente de jeux d’argent et l’accès aux jeux en ligne aux plus jeunes ne sont toujours pas réglementés : "malgré les lois, il n’y a pas de contrôle" déplore la psychiatre.

Et comment encadrer l’accès aux jeux en ligne quand on ne sait pas qui se trouve derrière l’écran ? Aujourd’hui, "on sous-estime énormément les risques des jeux en ligne" s’inquiète-t-elle, à la fois pour les plus jeunes mais aussi pour les adultes.

Une préoccupation confirmée par les derniers chiffres de Santé publique France, qui rapporte que "le jeu en ligne a concerné 16,1 % de l’ensemble des joueurs en 2019 contre 7,3 % en 2014". Pire, s’agissant des paris sportifs en hausse de 60% en cinq ans, "Internet est désormais le support majoritaire, le jeu en ligne étant passé pour cette activité de 26,1 % à 61,0 %".

Sur internet, l’addiction dépasse cependant les jeux d’argent et s’étend de façon plus générale à tous les jeux, aux applications, et se mêle même à l’addiction aux écrans aux conséquences propres sur la santé mentale, physique et sur les interactions sociales.

 

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(1)Enquête réalisée auprès d’un échantillon représentatif de 10.352 Français âgés de 18 à 85 ans, dont 4.720 joueurs dans l’année.
(2)Numéro anonyme et non surtaxé du Service national d'information, d'écoute et d'aide concernant les problèmes de jeux d'argent et de hasard Joueurs info service, ouvert 7j/7 de 8h à 2h.