Cancer de la prostate : un patient lance une pétition pour le remboursement du radium 223

Le radium 223, médicament indiqué dans le cancer de la prostate, n’est pas pris en charge en France car les autorités de santé le jugent trop peu utile. Des médecins et associations de malades n’acceptent pas cette décision.

La rédaction d'Allo Docteurs
La rédaction d'Allo Docteurs
Rédigé le , mis à jour le

Thierry Marteau « se bat ». Contre son cancer de la prostate, mais aussi contre une situation qu’il juge insupportable. Le 5 janvier, ce père de 4 enfants, âgé de 44 ans, a lancé une pétition pour interpeler les pouvoirs public sur le radium 223. Son but : obtenir le remboursement de ce médicament utilisé dans le traitement du cancer de la prostate avec métastases osseuses, non pris en charge en France. A ce jour, son appel a recueilli plus de 1800 signatures.

Un médicament remboursé dans 23 pays

Thierry a été diagnostiqué en octobre 2017. Atteint par des métastases osseuses, il est traité par hormonothérapie et chimiothérapie. « J’en suis à la moitié  de mon protocole de chimiothérapie. La combinaison de ces deux traitements donne de bons résultats pour le moment », admet-il.  Mais, le 31 décembre dernier, il entend parler par « bouche à oreille » d’un autre médicament : le radium 223. « Des membres de ma famille ont été informés de l’existence du radium 223 par les médias. Il se disait qu’il allongeait la survie et améliorait la qualité de vie en soulageant la douleur causée par les métastases osseuses. »

Le produit a obtenu une autorisation de mise sur le marché français en 2013 mais celle-ci reste théorique, car il n’est pas remboursé par la sécurité sociale, et est, de ce fait, très peu prescrit. « Le radium 223 est remboursé dans 23 pays européens et pas chez nous. Quand j’ai pris connaissance de la situation, j’ai ressenti un sentiment d’injustice et d’abandon », lâche Thierry. Dans les jours qui suivent sa découverte, il appelle à la prise en charge de ce « traitement qui a prouvé son efficacité». Avec sa pétition, ce « fou de rugby » entend jouer collectif. « Je ne sais même pas si je suis éligible pour ce traitement. Ma pétition a un unique objectif : que tout le monde puisse en bénéficier et qu’il n’y ait pas de différence entre ceux qui peuvent aller en Belgique et ceux qui ne le peuvent pas. Et aussi, dans un deuxième temps, faire tomber les tabous qui perdurent autour des cancers masculins. »

Mobilisation de patients et de médecins

La voix de Thierry se joint à celle des associations de patients qui réclament l’accès au radium 223 depuis près de 3 ans. « Nous ne prétendons pas que ce produit est toujours efficace. Et, bien sûr, il ne permet pas de guérison. Mais il serait une option de plus à disposition des malades qui pourrait leur faire gagner du temps et leur apporter du bien-être », note Gilles Thibaudault, président de l'APCLP (Association de Patients porteurs d'un Cancer Localisé de la Prostate). Dans leur lutte, les associations sont soutenues par certains médecins spécialistes qui attestent de l’intérêt du produit. Le Pr Karim Fizazi, oncologue à l'institut Gustave Roussy de Villejuif est de ceux-là. Il assure que le médicament améliore la qualité de vie des malades. « Les patients qui le prennent nous disent régulièrement se sentir mieux,  expliquait-il le 28 décembre dernier au micro de France Info. Ils disent que leurs douleurs sont en recul, que leur qualité de vie est meilleure. » L’oncologue rapporte aussi un prolongement du temps de survie des patients. « On sait que, statistiquement, les patients qui reçoivent ce traitement vont vivre plus longtemps que ceux qui ne le reçoivent pas. »  Les études ont montré un bénéfice de 3,6 mois d'espérance de vie médiane comparé au placebo.

Une réévaluation nécessaire des données

Le Pr François Desgrandchamps, chef du service d'urologie de l'hôpital Saint-Louis, à Paris, se montre plus réservé sur le radium 223. Il rappelle que pour que la collectivité prenne en charge un médicament, il est nécessaire de savoir qui va vraiment en bénéficier. « Le problème c’est qu’avec ce genre de produit, les études sont menées de telle sorte qu’elles ne permettent pas de savoir quels patients « dans la  vraie vie » vont répondre favorablement au traitement. Il y a des gens chez qui il va fonctionner et d’autres, pas du tout. Avec des médicaments chers -ce qui est le cas avec le radium 223-, si il faut traiter 10 patients pour qu’un seul ait une amélioration de quelques mois de survie, il faut savoir qui est ce patient. Sinon, et si l’amélioration du service n’est pas suffisante en moyenne, l’absence de remboursement s’entend. »

Le médecin rappelle que, si ce type de médicament est innovant, il appartient à une classe thérapeutique déjà bien connue.  « Le radium 223 est un radiotoxique qui va se fixer sur les métastases. Les radiotoxiques ne sont pas nouveaux. Celui-ci est de nouvelle génération, mais nous ne parlons pas ici d’une révolution dans le traitement du cancer de la prostate métastasé, ni même du traitement de la dernière chance : il y a des alternatives. »

La bonne solution, pour le Pr Desgrandchamps, serait de réétudier les données scientifiques disponibles sur le radium 223, de manière à identifier les malades qui répondent vraiment au traitement. " Les médecins pourraient ainsi demander un remboursement, non pas pour tout le monde, mais au cas par cas, dans le cadre d'une autorisation temporaire d'utilisation (ATU), pour leurs patients qui ont le plus de chances de bénéficier du traitement. A ce jour, ce sous-groupe de meilleurs répondeurs n'est pas connu, les étude sont en cours."

L’urologue s’inquiète des fausses idées que peuvent se faire les patients face à ce genre de polémiques. « Les malades avec cette pétition, peuvent avoir l’impression qu’on leur cache sciemment l’existence de médicaments auxquels de ce fait, ils n’ont pas accès. Ce qui n’est pas le cas. »

Faible amélioration du service médical rendu, selon la HAS

Le traitement par le radium-223 est onéreux (5000 euros par injection, avec un protocole de soin qui en prévoit 6), mais certains anticancéreux coûtent également des milliers d’euros et sont remboursés à 100% par la sécurité sociale. « La question de la négociation du prix n’a pas été abordée », admet Olivier Jérôme, président de Cerhom (une association de patients touchés par les cancers masculins), aussi très engagé dans la lutte auprès des pouvoir publics pour obtenir le remboursement. Si le médicament n’a pas obtenu de remboursement, c’est qu’il n’a pas réussi à convaincre la HAS (Haute Autorité de Santé) de son intérêt, sur la base des éléments d’étude qui lui ont été présentés.

A deux reprises, la HAS a estimé qu’il apportait un « progrès thérapeutique mineur » par rapport au placebo. La réflexion autour du radium 223 s’inscrit dans une période où la désillusion autour des nouveaux (et très coûteux) anticancéreux arrivés ces dernières années sur le marché européen est très grande. D’après une étude anglaise, seules 51% des indications de ces thérapeutiques sont en pratique associées à une  amélioration de la survie ou de la qualité de vie des patients par rapport aux traitements déjà existants. Au total, 23 médicaments sur les 68 étudiés ont amélioré la survie. Mais pour 11 d’entre eux, ce bénéfice n’était pas cliniquement significatif selon les chercheurs, qui s’alarment des potentiels patients lésés et des importantes ressources sociétales gaspillées  en raison du bas niveau de preuve avec lequel ces nouveaux anticancéreux ont été acceptés sur le marché.

Contacté par nos confrères du Parisien, le ministère de la Santé assure être « sensible » à la question du radium 223. Les patients, quant à eux, n’ont pas encore reçu de réponse mais continuent naturellement d’espérer. « Nous attendons impatiemment des réponses du gouvernement »,  conclut Olivier Jérôme.